Côte d'Ivoire. Dur à cuire mais cuit quand même

Publié le par Un monde formidable

Dur à cuire mais cuit quand même par Jean Claude Kongo (L’Observateur. Ouagadougou. 05/04/11)

Les choses se seront allées à une vitesse vertigineuse en Côte d’Ivoire ces dernières heures. Et de toute évidence, on approche de la fin d’un certain monde : le très illégal Laurent Gbagbo vit certainement ses dernières heures aux commandes de ce pays, qu’il gouverne très illégalement depuis le verdict des urnes du 28 novembre qui consacra la victoire de son rival, Alassane Ouattara.

Tant pis pour lui et tant mieux pour tous. Mais on ne pourra s’empêcher de le dire, l’homme est au plus bas mot un dur à cuire. Et à la réflexion, on se surprend à penser que les troupes d’ADO, si elles avaient été commises seules à la tâche, auraient eu de la peine à déloger le président sortant. Tout au plus et à supposer que les FRCI aient pu en venir à bout, il aurait fallu à tout le moins qu’elles fassent l’amère expérience d’une victoire à la Pyrrhus. On n’en est pas là, mais on remarquera qu’il aura fallu l’intervention de la force Licorne et de l’ONUCI pour décider Gbagbo, le rebelle, à songer un tant soit peu à la reddition. L’homme se résout alors enfin à envisager la possibilité de son départ.

Et alors tout se met en branle à cet effet : c’est son ministre des Affaires étrangères qui se rend à l’ambassade de France pour « négocier » la fameuse reddition de son mentor. C’est également des généraux proches du président sortant qui appellent le représentant de l’ONUCI à bien vouloir recevoir les armes des combattants portant label « Gbagbo ». C’est également le chef d’état-major de l’armée de Gbagbo qui affirme que les hommes qu’il commande ont arrêté les combats depuis 10 heures 30 mardi matin. On l’aura compris, le camp Gbagbo hisse le drapeau blanc.

Et on ne s’embarrasse même plus des circonlocutions habituelles pour qualifier la capitulation. Les carottes sont cuites, la cause est entendue, il faut dorénavant s’inscrire dans la logique du vaincu, qui s’inscrit alors obligatoirement dans la dynamique de celle des vainqueurs. Mais de toute évidence, cela ne devrait pas se passer comme sur des roulettes. La France, par exemple, exige un document signé de la main du président sortant, qui traduise sans ambages sa renonciation au pouvoir et reconnaisse explicitement la victoire du plus opiniâtre de ses ennemis : Alassane Ouattara. Pourquoi exiger pareil document ? Paris connaît Laurent Gbagbo mieux que personne.

L’homme s’est forgé une réputation de renard politique et, dans tous les cas, on le comprend, deux précautions valent toujours mieux. On aurait pu imaginer que l’homme, au point où il est rendu, signerait ledit document sans ciller. Et que, peut-être, il le ferait, une grimace en coin, mais qu’il le ferait quand même : lorsqu’on a tout perdu et qu’on cherche à sauver sa tête, il est des concessions que l’on s’oblige à faire. Mais là aussi, Gbagbo étonne : même militairement vaincu, il se refuse à reconnaître la victoire de son éternel rival. Et pourtant, à l’heure actuelle, Gbagbo n’est même plus maître de son propre lendemain.

Et c’est bien ce qui pousse à se demander ce que représentent ce que l’on appelle fort pompeusement « négociations » en cours. Le mot sert sans doute à sauver les apparences, mais au fond, en l’occurrence, il ne signifie pas vraiment grand-chose. De quelle force dispose un vaincu en matière de négociation ? On comprend l’inquiétude, la hantise de Laurent Gbagbo en ce moment. Il recherche absolument une double sécurité : celle juridique qui lui octroie une bien nécessaire immunité, et l’autre, physique, qui le mette à l’abri d’une chasse aux sorcières, lui garantisse la vie sauve, à lui, à sa famille et sans doute aussi à ses proches parmi les plus proches.

Mais à la toute limite, il devra se contenter de ce qu’on trouvera bon pour lui. Sans plus. Une ironie bien mordante d’un sort qui se révèle implacable pour un homme qui se sera révélé cynique, moqueur, gouailleur et qui se retrouve en ce moment pris au piège du cercle vicieux d’une pratique qu’il a pourtant adorée du temps de sa splendeur. Un homme qui aura dédaigné toutes les sorties honorables pour se résoudre, en toute extrémité, à emprunter celle qu’on l’obligera à prendre, la tête basse et la queue entre les jambes.

Publié dans Afrique de l'Ouest

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