Canada. Question d'identité

Publié le par unmondeformidable

Canada. Quatre ans sans voir leurs six enfantspar Agnès Gruda (La Presse Canadienne.  13/11/09)

Un couple de réfugiés congolais attend depuis quatre ans que ses enfants viennent le rejoindre à Montréal. Manque de pot: le dossier est traité à l'ambassade du Canada à Nairobi, au Kenya, qui accuse des retards monstrueux.

Dans la chambre des enfants, les lits superposés n'ont pas encore été montés. Ils sont encore dans leurs boîtes de carton appuyées contre un mur. Sur une étagère, il y a des jeux de Monopoly, de Scrabble et de bataille navale. Tout ce qui manque dans cette chambre d'enfant, ce sont... les enfants. «Quand je vois une famille dans la rue, je me dis: pourquoi pas moi?» confie Chantal Nganseke Mbu d'une voix brisée.

Cette réfugiée politique de 43 ans n'en peut plus d'attendre. Elle a dû quitter son pays, la République démocratique du Congo, en 2005. Son mari, Alphonse Nsumba Balulame, l'attendait à Montréal. Le couple a reçu l'asile politique en décembre de la même année. Dès que leur situation a été régularisée, Chantal et Alphonse ont entrepris les démarches pour faire venir leurs six enfants, restés à Kinshasa. Après un parcours du combattant dans les dédales de l'Immigration canadienne, ils ne savent toujours pas quand ils pourront voir leurs trois fils et leurs trois filles, maintenant âgés de 11 à 26 ans. 

Ce n'est pas faute d'avoir remué ciel et terre. Mais leur dossier est une accumulation d'envois restés sans réponse, de demandes répétées de documents déjà fournis, quand il ne s'agit pas carrément d'erreurs. En juin dernier, l'ambassade du Canada à Nairobi, où sont traités tous les dossiers congolais, a informé Chantal Nganseke Mbu que sa demande serait traitée dès qu'elle obtiendrait son statut de résidente permanente. Pourtant, elle possède ce statut depuis plus de deux ans! Chaque nouveau délai crée de nouvelles embûches. Un exemple: les passeports congolais des six enfants sont arrivés à échéance en cours de route. Les parents ont dû jouer du coude pour les renouveler. Ce qui a créé des délais supplémentaires. À un moment, Chantal et Alphonse étaient convaincus que tout était sur le point de se régler. Ils ont déménagé dans un appartement assez grand pour accueillir leurs enfants. Maintenant, ils tournent en rond dans ces pièces vides. «Je suis une mère qui souffre, dit Chantal. Je pourrais mourir sans revoir mes enfants.»

Chantal et Alphonse ne sont pas les seuls dans cette situation. L'ambassade de Nairobi dessert 18 pays africains. Et elle accuse des délais carrément «scandaleux» dans le traitement des demandes de visa, dénonce le Conseil canadien pour les réfugiés dans un rapport publié la semaine dernière. Les agents d'immigration canadiens à Nairobi sont aux prises avec une charge de travail impossible. Et les demandeurs de visa, eux, subissent «des épreuves considérables sur les plans physique, économique et psychologique» en raison des très longues périodes d'attente, selon le Conseil. La moitié des demandes de réunification familiale traînent pendant plus de deux ans, alors qu'elles se règlent en 14 mois dans l'ensemble des autres bureaux. Pour la réunification avec des enfants, il faut compter 25 mois. Ailleurs, c'est six mois.

Ottawa reconnaît que la situation aux bureaux de l'immigration de Nairobi est problématique. «Nous nous affairons à élaborer des solutions visant à réduire les délais de traitement», affirme Kelly Fraser, porte-parole du ministère de l'Immigration, dans un courriel envoyé à La Presse. Mme Fraser explique la situation par le volume de dossiers à traiter, et aussi par les tensions politiques au Kenya, qui empêchent Ottawa d'envoyer du personnel temporaire pour désengorger le système.

«Le bureau de Nairobi n'a pas les ressources nécessaires compte tenu de sa tâche», confirme Janet Dench, du Conseil canadien pour les réfugiés. Mais ce bureau est aussi mal géré, selon elle, ce qui explique les pertes de dossiers, par exemple. Et puis, selon Mme Dench, il y a aussi une question d'attitude. Ce sont les agents d'immigration de Nairobi qui avaient refoulé la Canadienne Suaad Hagi Mohamud, soupçonnée d'usurpation d'identité*. Janet Dench n'est pas étonnée que cet incident se soit produit précisément à l'ambassade du Canada au Kenya. «Il y règne un véritable climat de suspicion», dit-elle.

En attendant qu'Ottawa mette de l'ordre dans cette ambassade, Chantal et Alphonse envoient une bonne partie de leurs salaires à leurs enfants. Et ils meurent d'inquiétude. La violence est omniprésente à Kinshasa. «Nos enfants sont des ados, on ne sait pas à quoi ils peuvent être mêlés», dit Chantal. Elle se démène depuis trois ans pour que ses enfants la rejoignent dans son logement du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Jusqu'à maintenant, chaque nouvel espoir l'a conduite à un mur.

 

* Canada. Qui voyageait vraiment avec le passeport de Suaad Mohamud? par Agnès Gruda
(La Presse Canadienne. Ottawa. 01/10/09)

Ottawa mène une campagne de discrédit contre Suaad Hagi Mohamud, cette Canadienne qui a été détenue au Kenya, au printemps dernier, sous une accusation de fausse identité, dénonce l'opposition à Ottawa. «Le gouvernement maintient sa version des faits et force Suaad Mohamud à défendre son identité une nouvelle fois», a déploré hier le député libéral Dan McTeague, porte-parole en matière d'affaires consulaires.

 «J'ai parlé avec Suaad à plusieurs reprises pendant qu'elle était au Kenya, et je suis absolument convaincu que, chaque fois, c'était bien Suaad», renchérit Joe Volpe, député d'Eglington-Lawrence, la circonscription torontoise où vit Mme Mohamud.

 Elle a été arrêtée en mai dernier à l'aéroport de Nairobi et n'a pu rentrer au Canada qu'en août, après qu'un examen de son ADN eut prouvé son identité. Elle a intenté une poursuite de 2,5 millions contre le gouvernement fédéral. 

Lundi, Ottawa a présenté sa défense à la Cour fédérale. La pièce de résistance de son argumentation: une déclaration sous serment de Paul Jamieson, l'agent d'immigration qui, après l'avoir interrogée à trois reprises, a conclu que la personne qui voyageait avec le passeport de Suaad Mohamud était, en fait, sa soeur Jihane. Le premier interrogatoire a été réalisé au téléphone le 21 mai, jour de son arrestation. Paul Jamieson l'a ensuite rencontrée les 22 et 25 mai. La jeune femme était censée avoir vécu 10 ans à Toronto; pourtant, elle ignorait le nom du lac Ontario et ne savait pas comment se rendre dans des endroits connus tels que le centre Eaton, dit M. Jamieson dans sa déposition. Elle ignorait aussi ce qu'est un formulaire T4 et ne pouvait nommer aucun premier ministre canadien, présent ou passé. Plusieurs de ses réponses étaient «vagues et évasives», dit Paul Jamieson, qui a depuis été muté à l'ambassade canadienne en Afrique du Sud.

Lors de la deuxième entrevue, Paul Jamieson a demandé à la jeune femme la date de naissance de son fils, le nom de l'école qu'il fréquentait et le nom d'un de ses professeurs. Elle s'est trompée de deux jours dans la date d'anniversaire et a été incapable de se souvenir du nom d'un enseignant. L'agent d'immigration cite des contradictions dans les réponses de la jeune femme, qui a d'abord dit étudier au Humber College, puis au Seneca College. Quand Paul Jamieson lui a demandé de nommer ses frères et soeurs, elle a dressé une liste qui ne correspondait pas à celle de sa demande d'immigration. Plusieurs membres de la fratrie, dont sa soeur Jihane, ne figuraient plus dans son portrait de famille. De plus, dit M. Jamieson, la jeune femme mesurait 6 ou 7cm de moins que ce qui était écrit sur le permis de conduire de Suaad Mohamud. Et elle ne portait pas les mêmes lunettes que sur la photo qui avait été prise d'elle à son entrée au Kenya. Soupçonnant qu'il pouvait avoir devant lui Jihane, la soeur cadette de Suaad, l'agent d'immigration a appelé la jeune femme par ce prénom. Celle-ci a alors souri, et M. Jamieson a vu dans ce sourire une preuve supplémentaire à l'appui de sa théorie.

«J'ai déjà tout entendu ça», soupire Joe Volpe, selon qui la défense du gouvernement est basée sur des détails non pertinents. «Si la personne qu'ils avaient devant eux était Suaad, il fallait la ramener à la maison, et non la remettre aux autorités kényanes. Sinon, il fallait chercher la vraie Suaad. C'est ça, le fond de l'affaire. Pas la forme de ses lunettes», s'indigne-t-il.

Dans un courriel envoyé aux médias hier, l'avocat de Mme Mohamud, Raoul Boulakia, reproche au gouvernement d'avoir produit une déclaration sous serment limitée «qui a conduit certains à remettre en question ma conviction que Suaad est Suaad, qu'elle a toujours été Suaad, et que Suaad n'a jamais permis à personne de prendre sa place». Il y joint une photo de Mme Mohamud prise le jour de son départ pour le Kenya, sur le chemin de l'aéroport. Elle y porte des lunettes semblables à celles qu'elle arbore le jour où elle a été interrogée par M. Jamieson.

Joint par La Presse, M.Boulakia a fait remarquer que Paul Jamieson conclut sa déposition en disant que, à l'époque, il «était convaincu» d'avoir devant lui une femme qui avait usurpé son identité. «Il ne dit nulle part que, encore aujourd'hui, après les tests d'ADN, il croit toujours que ce n'était pas Suaad.»

Publié dans Amérique du Nord

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