Canada. L'expulsion des Blancs de Kahnawake indispose Ottawa

Publié le par Un monde formidable

L'expulsion des Blancs de Kahnawake indispose Ottawa par Hélène Buzzetti (Le Devoir. Québec.10 février 2010).

La décision d’expulser les Blancs de la réserve a été mal reçue par le ministre des Affaires indiennes, Chuck Strahl, mais aussi par le chef libéral, Michael Ignatieff, et la présidente de Femmes autochtones du Québec inc., Ellen Gabriel.

Ottawa — La décision du conseil de bande de Kahnawake d'expulser de la réserve toute personne n'étant pas Mohawk fait de plus en plus de mécontents. Dans le lot, il y en a un de taille: le ministre fédéral des Affaires indiennes lui-même, Chuck Strahl. Il n'interviendra toutefois pas, la loi étant du côté des Mohawks.  Interrogé sur ce qui se produit ces jours-ci à Kahnawake, le ministre Strahl a tout d'abord dit que la décision du conseil de bande «rend beaucoup de gens mal à l'aise». Harcelé par les journalistes, il a fini par reconnaître qu'il était du nombre. «Je suis mal à l'aise avec cela», a-t-il reconnu. C'est la première fois qu'un ministre fédéral, responsable des réserves indiennes au Canada, se prononce sur les politiques de pureté du sang en territoire mohawk.

Conseil de bande souverain

Le ministre a toutefois insisté à plusieurs reprises pour dire que le conseil de bande de la réserve était souverain et avait le droit de prendre ce genre de mesures. «Beaucoup de gens sont mal à l'aise avec cette décision, mais c'est une décision que le conseil de bande a le droit de prendre, a assuré M. Strahl. Ce n'est pas comme s'ils n'avaient pas le droit de le faire ou qu'il n'y avait pas d'assises constitutionnelles pour le faire. Ils peuvent le faire. Nous pouvons tous avoir une opinion sur le sujet, mais il n'y a pas de doute que c'est légal. Ils peuvent le faire en toute légalité.»

Le ministre a précisé qu'une partie du malaise venait du fait que les expulsions auront pour effet de séparer des couples et des familles. Ce sont surtout des hommes mariés à des femmes mohawks qui sont visés. «Nous devons être respectueux, a-t-il ajouté. Que j'aime cette décision ou pas, il revient au conseil de bande de prendre les décisions qui s'appliquent à leur territoire. Il ne revient ni à moi ni au gouvernement de prendre ces décisions et nous ne prendrons pas ces décisions.»

En 1999, Chuck Strahl et ses collègues réformistes de l'opposition s'étaient opposés avec virulence à l'accord d'autonomie de la bande nisga'a de Colombie-Britannique justement parce que basée sur une citoyenneté raciale. Leur chef, Preston Manning, faisait même un lien avec l'accord du Lac-Meech, conçu pour plaire au Québec, mais qui déplaisait au reste du pays. Les réformistes avaient stoppé les travaux du Parlement en forçant la Chambre des communes à voter jour et nuit pendant deux jours 471 amendements au traité, souvent de simples changements de ponctuation.

Protéger la culture

Le chef de bande de Kahnawake, Michael Delisle, a confirmé à La Presse la semaine dernière que les non-Mohawks de la réserve seraient invités à partir. Ils ont dix jours pour le faire. Vingt-six personnes sont visées. Si ces personnes n'obtempèrent pas, leur identité sera rendue publique. L'objectif, explique-t-on, est de s'assurer que ce territoire — la réserve — mis à la disposition des autochtones afin d'assurer leur survie culturelle et identitaire, reste le leur. Permettre à n'importe qui de s'y établir rendrait caduc le principe même de réserve. «Ce n'est pas quelque chose de plaisant à faire, concède le porte-parole du chef, Joe Delaronde. Chaque fois que cela arrive, on se fait taper dessus, on nous compare à des nazis.» M. Delaronde soutient que cet enjeu est constant dans la communauté et que c'est à la demande des résidants que l'éviction a été concoctée. «Le fait est que les réserves sont réservées aux autochtones.»

Dans l'édition d'hier du Devoir, Louis Bernard, ancien secrétaire général du Conseil exécutif du Québec sous René Lévesque (*), s'est porté à la défense du conseil de bande au nom de la survie culturelle. «Nous sommes près de six millions de Québécois francophones et nous craignons pour notre sécurité identitaire, comme l'a constaté la commission Bouchard-Taylor. Ils ne sont que 8000 Mohawks à Kahnawake. Comment pourraient-ils permettre que, par mariage ou cohabitation, de plus en plus de non-Mohawks viennent s'établir sur leur territoire?»

Dissidence

Le groupe Femmes autochtones du Québec inc. n'est pas d'accord et critique ce repli sur soi. Sa présidente, Ellen Gabriel, déplore le fait que la mesure brise des familles. «Il est important de clarifier que les avis d'éviction ne respectent pas les coutumes et traditions mohawks, écrit-elle dans une lettre ouverte. Au contraire, ces lettres d'éviction témoignent du degré de colonisation de l'esprit de certains peuples autochtones. [...] Qu'un conseil de bande, quel qu'il soit, perpétue les politiques de la Loi sur les Indiens les place dans le camp des oppresseurs».

Depuis au moins 1981, le conseil de bande de Kahnawake se dote de mesures pour que seuls les Mohawks habitent dans la réserve. Une telle mesure a été contestée devant les tribunaux en 1993 par Mary Deer parce que son mari était, comme environ 200 autres, visés. La cause n'est toujours pas réglée, 17 ans plus tard. Le chef libéral, Michael Ignatieff, a été le premier à se prononcer publiquement contre cette mesure la semaine dernière, qu'il juge «inacceptable». Il a dit comprendre l'objectif de préservation culturelle, mais a quand même invité le conseil de bande à revoir sa décision.

(*) À la défense de Kahnawake par Louis Bernard - Ex-candidat à la direction du Parti québécois et secrétaire général du Conseil exécutif sous René Lévesque. (Souce Le Devoir. 09/1010)

Tout Québécois francophone soucieux de préserver son identité culturelle et celle de sa nation devrait comprendre instinctivement le geste fait récemment par le Conseil mohawk de Kahnawake d'exiger que les personnes qui ne sont pas membres de la communauté mohawk quittent le territoire de la réserve. C'est un geste de défense identitaire tout à fait analogue à celui que le Québec a fait en adoptant la Charte de la langue française.

Depuis 400 ans, les Mohawks ont réussi à préserver leur société distincte malgré toute la pression sociale, économique et culturelle à laquelle ils ont été soumis au Québec, au Canada et aux États-Unis. Ils ont presque perdu leur langue et ont perdu une large partie de leur capacité de se gouverner eux-mêmes. Ils ont perdu la plus grande part du territoire que le roi de France avait réservé à leur intention sur la rive sud près de Montréal. Il ne leur reste, comme rempart principal de leur identité collective, qu'un petit territoire à l'entrée sud du pont Mercier. Ils tiennent à le défendre, comme ils l'ont toujours fait, comme la prunelle de leurs yeux. Qui pourrait les blâmer?

Nous sommes près de six millions de Québécois francophones. Et nous craignons pour notre sécurité identitaire, comme l'a constaté la commission Bouchard-Taylor. Ils ne sont que huit mille Mohawks à Kahnawake. Comment pourraient-ils permettre que, par mariage ou cohabitation, de plus en plus de non-Mohawks viennent s'établir sur leur territoire? Quand on connaît les relations de plus en plus étroites et fréquentes entre les personnes dans nos sociétés contemporaines, combien d'années, pensez-vous, cela prendrait-il avant que le caractère mohawk du territoire ne s'atténue et ne vienne même à disparaître?

Je connais bien les Mohawks de Kahnawake. En 1999, j'ai participé à la négociation de dix ententes qui sont le fondement des relations que le Québec entretient avec eux et, présentement, je participe à la révision de ces ententes. J'apprécie énormément leur fierté nationale et leur désir d'assurer la continuation de leur communauté millénaire.  Je sais de manière certaine qu'ils n'entretiennent aucun mépris à l'égard de leurs voisins non mohawks et qu'ils veulent développer avec eux des relations fondées sur la compréhension et le respect mutuel. À nous de les comprendre et de les aider dans cette tâche difficile. La présence parmi nous d'une communauté mohawk vibrante et dynamique est une richesse pour le Québec.

 

 

Publié dans Discriminations

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