Cameroun. Pas de droit à la santé dans les prisons

Publié le par unmondeformidable

Cameroun : pas de droit à la santé dans les prisons Par Charles Nforgang (Syfia -  23-12-08)

Les détenus camerounais, démunis pour la plupart, sont exposés aux maladies de toutes sortes en raison de conditions de vie et d'hygiène effarantes. Ils se font racketter pour accéder aux douches et aux toilettes. Et s'ils tombent malades, ils n'ont que peu d'espoir d'être soignés. Quelques actions tentent d'améliorer leur sort.

"Grand frère, je suis malade. J’ai faim ! Je n’ai personne : juste 50 Fcfa pour moi", supplie Willy, détenu à la prison centrale de Douala depuis un an. Il montre sa jambe entaillée d'une profonde plaie. "Le seul traitement que je reçois depuis, c’est un lavage avec du permanganate et des gouttes de Bétadine", ajoute-t-il. Au dispensaire de la prison, on lui a prescrit des antibiotiques à acheter au dehors. Abandonné par sa famille, il ne compte plus que sur le passage d’une Ong locale ou d'un des religieux catholiques qui viennent parfois apporter de l’aide aux prisonniers démunis.

Massés derrière la grille qui les sépare du portail d’entrée des visiteurs, d'autres détenus se mettent eux aussi à quémander. Ici, pas d’uniforme : chacun s'habille comme il peut. Amaigris, certains flottent dans des vêtements sales faute d'avoir les moyens de compléter leur maigre ration alimentaire journalière : 150 g de haricots et de maïs bouilli. Tous ces cheveux ébouriffés, ces dents jaunies, ces sourcils blancs de poussière en disent long sur les conditions d'hygiène dans l'établissement. Maladies de peau, fièvres intermittentes, toux rebelles, etc. sont le lot de nombreux prisonniers… "Nous ne pouvons faire qu’avec ce qu’on a, se défend sous anonymat un membre du personnel soignant. Notre dispensaire ne dispose que des médicaments de première nécessité, qui sont par ailleurs insuffisants face à la forte demande." Chaque prison au Cameroun reçoit une dotation financière annuelle par détenu pour les soins et le fonctionnement de son dispensaire. Celle de Douala encaisse 4 000 000 Fcfa (6100 €) pour ses 3 500 pensionnaires soit environ 1 100 Fcfa (1,74 €) par an par personne ! Avec un médecin et six infirmiers, elle figure pourtant parmi les établissements les moins mal lotis du pays...

Des conditions de vie déplorables favorisent toutes sortes de maladies (tuberculose, paludisme, diphtérie, choléra…) et leur propagation. Prévues pour moins de 7 000 pensionnaires, les 73 prisons camerounaises en accueillent plus de 20 000. La surpopulation est telle que les détenus pauvres, très nombreux, dorment à même le sol, dans des huttes aménagées, les couloirs des cellules, les chapelles et parfois en plein air.

L'hygiène est à l'avenant : tout nouvel arrivant doit verser 500 Fcfa (0,75 €) par semaine pour être autorisé à utiliser les toilettes et les douches. L'argent est collecté par des prisonniers, chargés par les gardiens, débordés, de faire régner la discipline. Les pauvres se lavent donc rarement. Aux odeurs corporelles s'ajoute la puanteur des fosses d'aisance, situées à un mètre des dortoirs. Les prisonniers punis et ceux qui n'ont pas de quoi payer les vident, la nuit, à l’aide de seaux et déversent leur contenu dans des rigoles qui traversent la prison. Il faut aussi payer pour avoir un espace pour dormir, un lit ou un matelas. Ces nouveaux maîtres de la prison n’hésitent pas à bastonner les récalcitrants. Un prisonnier confie sous anonymat que l’argent est ensuite partagé avec les gardiens et les responsables de l’administration du pénitencier concerné. Accusation que confirme Hippolyte Sando du Programme d’amélioration des conditions de détention et de respect des droits de l’homme (Pacdet) dans son livre Derrière les murs, l’enfer : l’univers carcéral en question, paru en 2005.

Malheur à celui qui tombe malade ! Même les prévenus, qui représentent les trois quarts de la population carcérale camerounaise, ne peuvent bénéficier d’une consultation en dehors de la prison ou d’une évacuation sanitaire qu’après accord du procureur. Du fait des lenteurs administratives, l'autorisation arrive parfois après le décès du malade. Quant aux détenus déjà condamnés, ils doivent, après avis motivé du médecin, attendre l’aval du régisseur de la prison. "Les personnes incarcérées sont tellement malhonnêtes que tous leurs actes sont suspects, justifie sous anonymat un administrateur des prisons. Ils n’hésitent pas à prendre le large. C’est pourquoi il faut bien juger celui qui sollicite des soins à l’extérieur de la prison avant de se décider." Il n'est pas rare que, transportés en urgence mais trop tard à l'hôpital, les prisonniers décèdent après leur admission. En août dernier, à la suite d’un incendie à la prison centrale de Douala qui avait fait 9 morts, plusieurs brûlés n’ont même pas été hospitalisés. Seuls les détenus les plus aisés échappent à ce sort inhumain. Ils obtiennent facilement, parfois à coup de bakchich, des évacuations sanitaires ou des consultations externes.

Un décret de 1992 portant régime pénitentiaire était censé humaniser les prisons. "Mais entre les vœux proclamés des textes et la réalité, il y a tout un fossé", dénonçait aussi H. Sando dans son livre. L'action du Pacdet a contribué depuis à faire dératiser et désinfecter les dix prisons principales du pays, et vacciner tous les détenus des régions du Nord où sévit la méningite. Elle a en outre permis que 200 millions de Fcfa (305 000 €) soient mis à la disposition des dix centrales pour améliorer les soins et l'accès aux médicaments.

"Nous voulons arriver à un stade où il n’y a plus de discrimination dans les soins dans les prisons, où on n’a plus besoin d’être nanti pour avoir de meilleurs soins", insiste Hippolyte Sando. Mais avant, "chaque prison doit justifier de la présence d’un comité de gestion de cette dotation afin de lui assurer une bonne traçabilité", ajoute-t-il. Une allusion aux détournements de fonds, un mal qui aggrave la grande misère des prisonniers camerounais.

Publié dans Afrique centrale

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