Bénin. Les chasseurs traditionnels jouent les justiciers
Bénin. Les chasseurs traditionnels jouent les justiciers par Daniel Biaou Adjé (Syfia - 07-08-2009)
Au centre et au nord du Bénin, des chasseurs traditionnels, sollicités par les forces de sécurité, traquent les malfrats qu'ils tuent souvent sur-le-champ. Une solution dénoncée par les acteurs de la société civile qui demandent que les bandits soient arrêtés et jugés.
Bernard Placa, la trentaine, aime raconter ses exploits de chasseur traditionnel aux prises avec les bandits. Il se rappelle cette nuit de mai dernier quand ses camarades et lui ont reçu du chef brigade (CB) de la gendarmerie de Bembérékè (535 km au nord de Cotonou, au Bénin) la nouvelle d’une attaque de véhicules de voyageurs. "Armés de fusils tachetés de sang de poulet et le corps bardé d’amulettes anti-balles, nous nous sommes enfoncés avec le CB dans la forêt, à la recherche des bandits, relate avec fierté Bernard Placa. Au second jour, nous les avons appréhendés après en avoir abattu au moins six." Tout comme lui, ses camarades des autres communes du centre et du nord du Bénin arrêtent rarement les malfrats pour les faire juger : ils les tuent. En mai 2009, ils en ont liquidé quatre à Béroubouay (580 km au nord de Cotonou) ; déjà en 2008, ils en avaient tué six à Tchaourou (400 km au nord de Cotonou). "C’était une boucherie !", commente Sabi Gado Daabo, un chef d’arrondissement. Pour éviter ces exécutions sommaires, Denis A. Yérima, préfet des départements du Borgou-Alibori, au nord du pays, a demandé en juin dernier aux maires d’organiser des formations sur les droits de l’Homme au profit des chasseurs. En attendant, ces derniers continuent d’assister les forces de l’ordre dans la lutte contre l’insécurité sur les routes du centre et du nord du Bénin.
Plus que d’autres régions, ces zones de collines et de montagnes, bordées de forêts, sont propices aux opérations des coupeurs de route. Ces derniers ont extorqué des millions de francs CFA aux commerçants, hommes d’affaires et usagers de ces routes non éclairées, mais très fréquentées, qui relient Cotonou au nord du pays et qui mènent aussi au Niger, au Burkina-Faso, au Togo et au Nigeria. Au début de 2006, les brigands avaient redoublé de cruauté, violant les femmes, tuant les passagers à coups de gourdins, coupe-coupe ou fusils… "Nous ne disposons pas de statistiques précises, mais on enregistrait plusieurs attaques par semaine", confie Élie Chabi, le CB de Tchaourou.
De sources policières à Parakou, la principale ville du centre du pays, la plupart des bandits ont de 15 à 35 ans, parlent des langues locales, tels le bariba et le peulh, utilisé aussi au Niger et au Nigeria. Dans ce dernier État, les actes de grand banditisme sont légion et débordent souvent du côté béninois. Plusieurs braquages de banques commis ces trois dernières années à Cotonou étaient le fait de voleurs en provenance du Nigeria. La recrudescence du trafic de drogue et d’armes à feu, du fait de la porosité des frontières et des conflits au Tchad, dans le Delta du Niger, etc., renforce l’insécurité au Bénin. Si certains sont "des jeunes inexpérimentés armés de gourdins", selon Roukaya, une ménagère braquée en début d’année, d’autres sont des professionnels munis d’armes sophistiquées et censés avoir des pouvoirs surnaturels. "Quand ils sont sur le point d’être arrêtés, ils se volatilisent magiquement !" assure Sabi G. Daabo. Les forces de sécurité sont d’autant plus impuissantes qu’elles ont peu d’armes et peu d’effectifs. "En principe, le ratio est de un gendarme pour 100 habitants, or nous en avons moins d’un pour 1 000!", se désole sous anonymat un CB. C'est pourquoi, dès août 2007, Félix Hessou, ancien ministre de l’Intérieur, en avait appelé aux chasseurs traditionnels à cause de leur bonne connaissance du terrain et de leurs soi-disant pouvoirs magiques.
En cas d'attaque, le CB et les chasseurs s’informent par téléphone. "Avant toute chose, nous sacrifions au dieu Ogou pour demander sa protection, révèle Félicien Meka, membre d’une confrérie. Dès que nous retrouvons les traces des bandits, nous prélevons de la terre de leurs empreintes et faisons des incantations pour arrêter leur progression, les endormir ou les faire revenir à l’instant même sur le lieu de leur crime avec le butin !" Les autorités nient avoir demandé aux chasseurs de procéder à des exécutions sommaires. "En fait, on nous dit en cachette 'Faites seulement', ce qui veut dire 'Tuez-les'", confient sous anonymat des chasseurs. Au Tribunal de première instance de Parakou, les hommes de droit évitent d’aborder la question, car c’est un "sujet délicat", selon l’un d’eux. Élie Chabi se réjouit que, grâce aux chasseurs, "on n’enregistre maintenant qu’un braquage par semaine". Le maire de Parakou, et le préfet des départements du Borgou-Alibori les jugent "très efficaces !" Enthousiastes, les populations, les commerçants et des maires donnent de l’argent, des torches, des munitions, etc. aux chasseurs. Des présents jugés insuffisants par les récipiendaires qui en demandent plus. Déjà, certains parmi eux se sont improvisés juges dans leurs villages et rackettent les habitants. Des responsables d’organisations de la société civile s'inquiètent. Tout en condamnant les actions des bandits, ils rappellent que le Bénin est un État de droit, signataire de plusieurs conventions internationales sur les droits de l’Homme.
"Cela pourrait dégénérer en règlements de compte, car ces chasseurs n’ont aucune notion de droit, prévient Balbilas Gbaguidi, du Centre de défense des droits de l’Homme à Parakou. L’État doit les amener à éviter les exécutions sommaires afin que les bandits soient jugés." Le secrétaire général de la Communauté musulmane de Parakou, Al Hadj Naro Assouma Wahab, est amer : "Dans un Etat civilisé, on utilise les moyens légaux pour assurer la sécurité des citoyens et non des chasseurs arborant des gris-gris. Si ces derniers sont vraiment utiles, qu’on les recrute pour les former !"