Belgique. Le travail domestique, un esclavage si profitable

Publié le par Un monde formidable

Belgique : le travail domestique, un esclavage si profitable par André Linard, Jihène Dhib (Syfia Belgique - 24-07-2009)

Le travail domestique se transforme souvent en quasi-esclavage en Europe lorsqu’il est fourni par des migrants. Contrairement aux idées reçues, les employeurs exploiteurs ne sont pas tous des riches, et les victimes ne souhaitent pas nécessairement en sortir.

Au début 2009, trois jeunes Maghrébines ont révélé à Bruxelles (Belgique) être l’objet de menaces de la part d’une famille princière des Émirats Arabes Unis. Quelques mois plus tôt, elles s’étaient échappées d’un grand hôtel local ; elles y étaient confinées dans une suite, au service des membres de cette famille, avec interdiction de sortir. Aujourd’hui, ces jeunes femmes subissent pression et menaces en vue de leur faire accepter un dédommagement en échange du retrait de leur plainte.  Ce n’est là qu’un cas de plus d’un phénomène déjà connu : le travail domestique, non répréhensible en lui-même, débouche souvent en Europe sur un quasi-esclavage. A la mi-mai, un colloque organisé à Bruxelles par le ministère de l’Emploi a surtout fait apparaître… que la situation n’a guère évolué ces dernières années. L’enquête publiée en 2006 par la journaliste Inge Ghijs* – la première du genre en Belgique – garde toute son actualité. Ses constats rejoignent ceux du Comité français contre l’esclavage moderne (CFEM), actif depuis des années.

Par définition, le travail domestique est fourni pour le compte de particuliers dans une maison, c'est-à-dire à huis clos. Le travailleur se charge de l’entretien de la maison, de la garde des enfants et d’autres tâches en échange du gîte, du couvert et d’une rémunération appropriée. Il a droit à des temps de repos. Mais la réalité est souvent tout autre. En Europe, engager des domestiques autochtones coûte cher, et rares sont ceux qui acceptent ces servitudes. Beaucoup des employés de maison sont dès lors recrutés à l'étranger, et rarement déclarés. Avec l’élargissement de l’Union Européenne en 2004, la concurrence entre les étrangers est devenue si forte que les salaires ont baissé. En cas de problème, le ou la domestique dispose, en théorie, d’un recours au tribunal du travail. Mais, dans les faits, se plaindre c’est risquer le renvoi au pays d’origine ; de plus, l’employeur exploiteur est souvent protégé par son statut, diplomatique ou social.

Ces migrants économiques arrivent en effet en Europe dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à leurs proches restés au pays. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Europe compterait plus de 100 millions de travailleurs domestiques venus d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique et de plus en plus d’Europe de l’Est. Leur "contrat" stipule souvent qu’en cas de rupture, ils devront rembourser tous les frais occasionnés pour eux : billet, visa touristique, trajet en bus vers la ville, vêtements, frais de téléphone… Beaucoup s’endettent. Arrivés à destination avec un visa de touriste, ils se voient confisquer leurs papiers par l’employeur et se trouvent ainsi privés d’existence légale.  Commence alors, pour un grand nombre, un enfer au quotidien. Les patrons sont souvent au courant des risques encourus : le travail au noir et l’emploi d’illégaux sont en effet passibles d’amendes pouvant atteindre 25 000 €. Mais, les victimes, clandestines sur le territoire, hésitent à se plaindre et à témoigner, d’autant qu’elles connaissent rarement la langue, les lois du pays et leurs droits. Selon le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, 195 victimes seulement ont porté plainte en Belgique en 2008.

Les diplomates et ambassadeurs d’Afrique et du Moyen-Orient ont la plus mauvaise réputation, en tant qu’employeurs. L’immunité diplomatique les protège de la Justice, en tout cas selon la thèse dominante parmi les juristes, que certains contestent cependant.  Mais si la condamnation des diplomates pour traite d’êtres humains est un combat souvent perdu d’avance, celui des domestiques placés chez des particuliers n’est pas plus aisé. En effet, il est très difficile pour un domestique de prouver qu'il a été maltraité. C’est sa parole contre celle de son patron. Sans preuve, l’affaire est souvent classée. Au tribunal, en tout cas. Parce que des suites, il y en a, souvent, dans le pays d’origine. Le livre d’Inge Ghys révèle en effet que de véritables réseaux d’envoi de domestiques existent dans certains pays, au sein de familles, de clans, de groupes ethniques. C’est le cas au Maroc, aux Philippines, en RD Congo et – exemple bien connu en Belgique – en Équateur. Ce sont alors souvent des pauvres qui organisent l’exploitation d’autres pauvres, et se vengent sur les familles en cas de problème avec l'employeur.

En fin de compte, le domestique exploité a plus besoin, pour survivre et envoyer de l’argent à sa famille, de son employeur que celui-ci n’a besoin du travailleur, facilement remplaçable. Les fuites et les dénonciations sont donc rares et tout indique que l’esclavage domestique a encore de l’avenir. Malgré tout, des Etats, des ONG et des institutions internationales comme l’OIT** tentent de réglementer ce type de travail pour qu’il devienne un emploi comme les autres, sans abus. La Conférence internationale du Travail 2010, à Genève, devrait se saisir de cette question afin de mieux protéger les domestiques.

*Esclaves domestiques : humilié(e)s, violé(e)s, caché(e)s, d’Inge Ghijs, Edition Luc Pire, Bruxelles (2006).

** Travail décent pour les travailleurs domestiques, Genève, 2008.

 

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