Balade dans les cafés
Un café au French K-wa par Rémi Yacine (El Watan. 25/05/09)
Tout est dans la simplicité. Pourquoi consommer modérément quand on peut abuser de bonnes choses ? Pourquoi se contenter d’un verre, d’un café quand la culture s’offre délicieusement à vous ? Au French K-wa, café plus populaire que bobo, installé discrètement rue Planchat dans le XXe arrondissement de Paris, les plaisirs se mélangent joyeusement. On y vient par curiosité, on y revient par fidélité.
Par confort surtout, assuré de ne pas être déçu. Faut dire que le programme, concocté par le boss, Jilali, tient du miracle. On peut y croiser Mohamed Arkoun, Benjamin Stora, le dernier groupe rap malien, Cheikh Sidi Bémol, du gnawa marocain, des chanteurs brésiliens… Eclectique le menu. Alors, des rencontres, on en fait forcément. Des intellos, des artistes, des amis perdus de vue, des critiques, des journalistes, des voisins du coin… Des discussions s’enchaînent, favorisées par des cocktails maison. La recette est éprouvée. Il y a des milliers de cafés à Paris. Pour s’en distinguer, certains jouent sur les prix, d’autres sur une programmation musicale ou des rencontres thématiques.
Au French K-wa (http://www.myspace.com/lefrenchkwa), Jilali a décidé de conjuguer tout ça. Un melting-pot détonant. L’originalité est au rendez-vous. Si des notes rebelles montent de la salle de spectacle, ne vous étonnez pas si vous découvrez un groupe hard rock kabyle (si si ça existe) en train de s’époumoner. Et total respect pour le couscous (gratuit le mercredi) du chef. Jilali est aussi derrière le piano... de cuisine. Un bémol dans cette cascade de louanges. La cave gagnerait un peu à s’algérianiser. Un peu de Mascara et Médéa pour les amateurs ne seront pas de trop. Rien contre un chouia de patriotisme vitivinicole ! ( http://www.myspace.com/lefrenchkwa)
Les Cafés maures de Constantine : Le bon vieux temps de Qahwet El Djezoua par S. Arslan (El Watan. 15/07/08)
La tradition du café d’El Djezoua, en référence à l’ustensile avec lequel on prépare cette boisson, est restée ancrée durant des décennies sur la place constantinoise, avant de se perdre à la faveur des changements imposés par la modernité.
« Avant l’indépendance, une bonne vingtaine de cafés maures sur la soixantaine que comptait la ville servaient encore le fameux café d’El Djezoua et ne désemplissaient pas de la journée, mais après, l’avènement des cafés modernes a complètement bouleversé les choses », regrette un gérant de café qui se rappelle encore ces célèbres qaâdate dans les vieux cafés, appelées aussi tarbiâte (pluriel de tarbiaâ), (s’asseoir en tailleur), garnies de bancs et de smarate, sorte de tapis traditionnel confectionné avec de l’alfa, où le client peut déguster un café préparé traditionnellement sur la braise dans un ustensile appelé El Djezoua dans une sorte de réservation en briques, par rais El Oudjak, patron des lieux.
« Contrairement à ce qu’on pouvait croire, le café moulu, soigneusement conservé, est préparé d’une manière très professionnelle, car le chef doit le servir selon le goût de ses clients », nous dira un vieil amateur de ce genre de boisson, que certains préfèrent consommer plus ou moins corsée. « On pouvait même avoir droit à un café tellement corsé que le cafard peut même marcher à sa surface », rappelle un autre, comme pour évoquer une anecdote, citée par ceux qui aiment boire encore ce genre de café. Les souvenirs des cafés d’antan continuent toujours d’être cultivés par les nostalgiques. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de ce patrimoine de la ville, même si certains gérants de ces lieux essaient de sauvegarder leur vocation première, lieux de rencontres conviviales qui réunissent toutes les corporations et les couches de la société. « La majorité de ces cafés de la Vieille ville a complètement disparu, alors que certains ont laissé place à des magasins pour meubles, des bazars ou des boucheries », nous dira Sid Ali Bouaziz, membre de l’association des Amis du musée, qui nous rappelle aussi certains lieux à valeur symbolique pour les anciens habitants de Souika.
On citera surtout le café d’El Hafsi dans l’ex-rue Viviani (aujourd’hui Zaâbane) qui a disparu, alors qu’en face, celui des Chouafnia (en référence aux chiffonniers qui le fréquentaient) était aussi célèbre pour avoir abrité les réunions des moudjahidine durant la guerre de libération. On raconte même que la police française y avait découvert une cache d’armes à l’époque. Les souvenirs des cafés de Ould Bouya, dans l’ex-rue Perrégaux (actuel Mellah Slimane), celui de Belattar, dans le quartier de Chatt ou encore celui de Boulsane, à la place d’El Batha, restent toujours vivaces. Seul le café Boutmeyra, près du quartier de Zelaïqa, semble avoir survécu pour devenir un café banal, alors que d’autres ont soit fermé ou changé d’activité.
On citera les cafés de Saïfi à Zenqet Lamamra, celui de Bouaârour à l’ex-rue Casanova, celui de Boucherit à Rahbet Essouf, Benyamina, dans le vieux quartier d’Arbaïne Cherif. Seul le café de Nedjma, plus connu par El Gofla, en référence au surnom de son premier propriétaire hadj Khodja Laâdjabi, qui l’avait ouvert en 1928, actuellement le plus ancien de la ville, semble pérenniser encore les bonnes traditions d’antan, même si on ne peut plus avoir droit à une bonne tasse de café d’El Djezoua de nos jours.
La rose pourpre du cœur. Balade dans les cafés du Caire par Adlène Meddi (El Watan. 29 août 2006)
« Exotic khaless ! ». C’est complètement exotique, ironise notre guide cairote en traversant Khan Khalili en ce soir d’accalmie climatique. Khan Khalili, le souk des échoppes touristiques et des vendeurs qui vous coupent carrément la route avec des « ahlan bacha » ou des « welcome » automatiques.
Des touristes rodent à l’intérieur d’une carte postale. Inutile de résister d’aller prendre un café au célèbre café Fichawi juste à côté. Le café porte le nom de Hag Fahmi Fichawy, un foutouwa (chef de bande) qui y avait ses habitudes depuis les années 1930 et qui continua à fréquenter l’endroit jusqu’en 1969, quand on détruisit une partie du site. On raconte ici qu’il rendît l’âme le soir du début des travaux de démolition.
Le roi Farouk aimait aussi s’attabler les après-midi de week-end dans ce café avec sa cour et toute la rue était alors fermée. Le mobilier du café, coincé entre deux parois d’une ruelle animée, date de cette époque monarchique, avec ses grands miroirs et les portraits du roi déposés en 1952. Le café, qu’on peut boire ziyada (très sucré), mazboutt (moyennement sucré), âriha (avec une pointe de sucre) ou encore çada (sans sucre), est payé 3 livres égyptiennes. Le café presse est pratiquement inexistant. On peut également fumer un narguilé aux aromes de toffah, mélange de tabac et de mélasse de fruits, souvent de la pomme. C’est l’endroit hanté par le spectre de Naguib Mahfouz et des grands écrivains et créatifs de l’Egypte. Mais les temps changent : les serveurs arborent des tee-shirts sérigraphiés au nom de l’illustre enseigne, le carrelage a été refait à neuf. « Les choses changent », commente-t-on au Caire qui compte jusqu’à 30 000 cafés de tous les genres. Et tous les goûts sont servis.
Direction Maqha al houriya, café de la liberté, place Elloûq, en face du marché couvert du même nom, qui date de la période othomane. C’est le seul café du Caire où on sert également de la bière (les bières locales, Sakkara et Stella, sont les plus consommées, à 12 livres égyptiennes la bouteille de 75 cl). Vieux mobilier, fenêtres ouvertes sur la grande place mais obstruées à la base. « Le conservatisme avance en Egypte, cet endroit en pâtit déjà et je ne pense pas qu’il va durer encore longtemps », nous apprend notre guide qui explique que ce café est le lieu de rendez-vous des critiques littéraires et des joueurs de jeux d’échec. A peine une ruelle plus loin et l’on tombe sur le fameux café dit de Nadwa thaqafiya (rencontre culturelle), état-major des poètes cairotes depuis des dizaines d’années. Autant qu’à Viennes en Autriche, les cafés cairotes remplissent une fonction de lieu de rencontre sociale et culturelle et même politique.
Au Maqha el boustane, le café du jardin, près de la place centrale de Talaât Harb (ex-Selmane Bacha), ce sont des cinéastes, des peintres, des sculpteurs et des universitaires qui se donnent ici rendez-vous sur la terrasse éclatée entre deux trottoirs. Un thé, une chicha et des débats sur l’art, la culture et le Mondial de football. L’événement berlinois a carrément submergé le décor des cafés cairotes. Pour deux livres égyptiennes de bonus, on peut s’installer sur la terrasse face à l’écran de télévision suivre les rencontres sportives en dégustant café et tabac parfumés à volonté. Sur le trottoir d’en face, d’autres clients poursuivent leurs discussions interrompues de temps à autres par des cris des aficionados du ballon rond, lorsque le match s’anime d’un tir cadré ou d’un coup-franc controversé. Non loin de là, le légendaire Café riche où trône le portrait géant de la diva Oum Kalthoum (prononcez Kalssoum), qui fréquentait l’établissement depuis sa jeunesse. C’est aussi l’endroit par excellence du prix Nobel Naguib Mahfouz dont la photo bien en évidence témoigne de sa fidélité de plusieurs décennies. De nombreux autres portraits de personnalités des arts et des lettres ornent les murs de ce café situé rue Talaât Harb, décor début de siècle où s’organisaient des rencontres philosophiques une fois par semaine. Mais pour le moment, le patron dit qu’il a ralenti son activité : le café n’ouvre que pour quelques clients et la restauration n’est prévue que quelques fois par semaine.
Bon, il reste quand même le Club grec, au troisième étage d’un immeuble en plein Maydan Talât Harb avec sa terrasse fleurie et les intellectuels et artistes qui se donnent rendez-vous sur place avant de descendre vers le After Eight, bar-dansant, avec un DJ et un jazz band pour assurer l’ambiance (minimum de la consommation 40 livres égyptiennes) ou poursuivre les discussions au Grillon ou à l’Estoril, excellents établissements du centre-ville. Les familles cairotes ont également le plus beau café du monde à leur disposition, ouvert toute la nuit avec vue panoramique et plafond d’étoiles.
Au Kobri Al Djamâa, pont de l’université, des dizaines de familles s’installent sur les trottoirs du pont bruyant surplombant le majestueux fleuve du Nil. Autour de thés et de narguilés, assis sur des chaises pliables, l’on vient profiter de l’air du soir qui monte du bahr (la mer, c’est ainsi qu’on nomme le Nil). Sinon, pour les amateurs de la lecture, la librairie Diwan sur la rue du 26 Juillet au Zamalek, la cafétéria de la librairie ouverte jusqu’à minuit, offre des cafés et autres boissons. On s’installe sur des chaises au beau milieu de l’établissement, on sirote sa boisson tout en feuilletant un ouvrage ou une revue. Et ça ne désemplit jamais.
Pour les gens plus attirés par le bruit et la fureur des nuits chaudes, il y a l’ancien cabaret du centre-ville, le Shérazade ou l’Africano du côté du boulevard des Pyramides avec son ambiance africaine. La rue Mohammed Ali, anciennement quartier général des nuits chaudes du Caire, a perdu de son éclat et il n’en reste que la sulfureuse réputation. Mais personne ne s’en inquiète dans ce Caire bouillonnant qui ne dort pas : il y aurait 12 000 danseuses du ventre en Egypte soit une pour 5000 habitants.