Australie. Le temps des rêves est-il revenu?
Le temps des rêves par Audrey Pulvar (France Inter. 09/11/10)
Allez on va prendre du champs, on part loin, à 17 000 km de la France hexagonale. L’Australie. Là bas, Julia Gillard a parlé hier de respect et de reconnaissance, pour les 470 000 Aborigènes restant sur le territoire d’Australie, y compris dans le Détroit de Torrès. La Chef du Gouvernement australien annonce la tenue, d’ici un à trois ans, d’un référendum inscrivant dans la Constitution la primauté des Aborigènes dans la découverte et le peuplement du pays.
En 1999, un référendum en ce sens avait échoué. Cette fois, Julia Gillard veut donner à cette consultation un maximum de chance d’aboutir, après consensus sur les mots qui seront choisis. Oui, pourraient dire les 22 millions d’Australiens, les Aborigènes étaient le peuple premier d’Australie. Et de fait, historiens et anthropologues ont depuis longtemps déterminé qu’ils sont arrivés par la mer, il y a entre 40 000 et 70 000 ans sur la terre d’Australie. Vivant en complète autarcie, ils étaient, sur une superficie vaste comme 14 fois l’hexagone, entre 300 000 et 1 000 000 à parler plus de 200 langues et des centaines de dialectes, peut-être jusqu’à 700, au moment où débuta la colonisation européenne.
En 1770, James Cook prenait possession des deux tiers du territoire pour le compte de la couronne britannique. Alors débutait leur cauchemar. Considérés comme l’un des peuples les plus vieux du monde, sinon le plus vieux, les Aborigènes d’Australie, hier maîtres chez eux, ne représentent aujourd’hui que 2,5% de la population du pays, regroupés dans leurs «homelands», ces lieux qu’ils considèrent comme le berceau des ancêtres de leurs différents groupes, des réserves, rebaptisées «communautés». Il ne reste qu’une soixantaine de leurs centaines de langues et dialectes, disparus à force d’être assimilés par les colons -des condamnés de droits communs et des prisonniers politiques- à la langue du diable, et donc interdits.
Il y a deux ans, c’est par un discours très solennel prononcé devant le Parlement australien qu’un début de reconnaissance leur a enfin été accordé. L’alors Premier ministre, travailliste, Kevin Rudd, présentait aux Aborigènes les excuses officielles du pays, pour les deux cents ans de prédation et de persécution auxquels ils avaient été soumis et surtout pour les générations volées, ces milliers d’enfants, métisses, arrachés à leurs mères Aborigènes et placés d’autorité dans des familles blanches ou des orphelinats. Une politique qui a subsisté jusqu’aux années 70.
Avec les Européens étaient aussi arrivées les maladies, dévastatrices, l’alcoolisme, l’asservissement. Des fléaux qui eux, ont traversé les temps : aujourd’hui un Aborigène vit 11 ans et demi en moyenne de moins qu’un autre Australien. Une Aborigène, 8 ans de moins.
Dans un pays aussi riche que l’Australie, le taux de pneumonie chez les nouveaux-nés Aborigènes est le plus élevé au monde et leur première cause de mortalité. On passera sur les statistiques concernant leur taux d’emploi ou d’emprisonnement.
On a presque du mal à croire que le fondement de la culture aborigène, le fameux temps des rêves, celui d’avant la création de la terre, ait survécu. Le temps des rêves, ou la création du monde et de toute forme de vie par de grands esprits et animaux géants, ce rapport fantasmagorique et tellement sensitif des Aborigènes à l’air, la terre, l’eau, la lumière ou encore les plantes.
L’Australie change, l’Australie bouge. Elle fait face, avec de plus en plus de cran, à son passé et se rend bien compte que la construction de son avenir ne peut s’imaginer sans cet examen de conscience. Le temps des rêves serait-il revenu ?