Arabie Saoudite. Cheikh Adel Al-Kalbani, “le Barack Obama saoudien”.
L’ouverture, c’est lui par Robert Worth,(The New York Times - 23.07.2009)
Adel Al-Kalbani, 49 ans, deux épouses et douze enfants, imam de la Grande Mosquée de La Mecque. S’il n’est que l’un des neuf imams de ce haut lieu de l’islam, il est le seul – et le premier – Noir à se voir attribuer cette charge par le roi. Tout un symbole, donc.
Une nuit – il y a deux ans environ –, le cheikh Adel Al-Kalbani a rêvé qu’il était imam à la Grande Mosquée de La Mecque, la ville sainte de l’Islam. A son réveil, il écarta cette vision, y voyant une manifestation de vanité. Réputé pour sa belle voix, Kalbani est un homme imposant, portant une longue barbe, mais il est surtout noir et fils d’immigrants pauvres originaires du Golfe arabo-persique. La charge de mener la prière à la Grande Mosquée est un immense honneur, traditionnellement réservé à des Arabes de souche. Quelle ne fut donc pas sa surprise lorsqu’il décrocha son téléphone en septembre dernier pour s’entendre dire que le roi Abdallah l’avait choisi pour être le premier Noir à mener la prière dans la cité sainte de La Mecque. Quelques jours plus tard, des centaines de millions de musulmans découvraient sur leur écran de télévision le visage – indubitablement africain – du cheikh Adel et sa voix grave de baryton, résonnant à travers la Grande Mosquée.
Depuis, le cheikh Adel Al-Kalbani est affectueusement surnommé “le Barack Obama saoudien”. Bon nombre d’observateurs ont vu dans cette nomination une preuve supplémentaire de la volonté d’ouverture et de tolérance professée ces dernières années par le roi Abdallah. “Le roi essaie de dire à tout le monde qu’il compte gouverner ce pays comme une nation unie, sans racisme ni ségrégation”, a déclaré Kalbani, qui a été imam de la mosquée de Riyad pendant vingt ans. Comme la plupart des Saoudiens, le cheikh Adel affirme que le racisme n’a rien à voir avec l’Islam, qui prêche l’égalitarisme. Officiellement, c’est en raison de ses aptitudes dans la récitation du Coran que le cheikh Adel, aujourd’hui âgé de 49 ans, a été choisi. A l’instar des huit autres imams de la Grande Mosquée, Kalbani n’officie que pendant le mois du ramadan. Mais le message envoyé par le roi est parfaitement clair.
La couleur de peau n’a pas été le seul handicap social qu’a dû surmonter le cheikh Adel. Son père, arrivé en Arabie Saoudite dans les années 1950, était originaire de Ras Al-Khaimah, ville aujourd’hui située dans les Emirats arabes unis, et travaillait comme simple fonctionnaire dans l’administration. Issu d’une famille modeste, Kalbani a travaillé pour la compagnie aérienne saoudienne tout en suivant les cours du soir à l’Université du roi Saoud.
Ce n’est qu’ensuite qu’il se lance dans les études religieuses, apprenant soigneusement le Coran et étudiant la jurisprudence islamique. En 1984, il passe un examen national pour devenir imam et officie brièvement à la mosquée de l’aéroport de Riyad. Quatre ans plus tard, il obtient un poste à la mosquée du roi Khaled, un grand bâtiment blanc situé non loin des bureaux des services de renseignements.
Du point de vue théologique, le cheikh Adel reflète la tendance de ces vingt dernières années en Arabie Saoudite. Dans les années 1980, il a rencontré Oussama Ben Laden et Abdullah Azzam, l’un des chefs du djihad combattant l’invasion soviétique en Afghanistan. Sympathisant de prime abord avec leurs vues radicales et partageant leur hostilité face à l’Occident, Kalbani a ensuite pris ses distances, notamment après les attentats du 11 septembre 2001.
A présent, l’imam soutient avec enthousiasme la politique du roi Abdallah visant à limiter le pouvoir des religieux extrémistes et à moderniser les systèmes judiciaire et éducatif du pays. C’est un lecteur du quotidien progressiste Al-Watan. Comme la plupart des imams, le cheikh Adel mène une vie bien réglée : il dit la prière cinq fois par jour à la mosquée, puis rentre chez lui retrouver ses deux épouses et ses douze enfants. Les vendredis, il prononce également un sermon. En se souvenant de l’instant où son téléphone a sonné, en septembre dernier, Kalbani sourit et marque un silence. Puis il sort son ordinateur portable et montre une vidéo de lui sur YouTube, récitant le coran à la Grande Mosquée de La Mecque. “Dire le coran devant des milliers de personnes ne me pose aucun problème, explique-t-il. Mais ici, dans ce lieu sacré, c’est tellement différent des autres lieux de prière. Cela vous donne un sentiment de fierté mais aussi de crainte face à Dieu tout-puissant.”