Afrique du Sud. Un vice-ministre recommande de «tirer sur les salauds»

Publié le par Un monde formidable

Afrique du Sud. Un vice-ministre recommande de «tirer sur les salauds» par Valérie Hirsh. Johannesburg (Le Temps.CH. 16/11/09)

Dans un pays où la violence provoque une cinquantaine de morts par jour, le gouvernement décide d’employer la manière forte à un an de la Coupe du monde de football

«Tirer sur les salauds, sur les durs à cuire, les criminels incorrigibles!»: tel est l’appel lancé vendredi par le ministre adjoint de la Police.

Fikile Mbalula a demandé à ses pandores de «tirer pour tuer» afin de venir à bout de la criminalité record qui ravage son pays, qui accueillera l’an prochain la Coupe du monde de football. Même si le nombre de meurtres (une cinquantaine par jour) a diminué de moitié depuis la fin de l’apartheid, la criminalité violente augmente d’année en année: les attaques contre des commerces sont en hausse de 41% entre 2008 et 2009, les cambriolages de maisons ont progressé de 27% pendant la même période, les «car-jackings» (attaques d’automobilistes) de 5% et les violences sexuelles de 10%.

«Il y aura des victimes innocentes, c’est inévitable», a reconnu Fikile Mbalula, en répondant aux journalistes qui s’inquiétaient de la mort récente de trois passants. Le 3 novembre, à Johannesburg, des policiers ont abattu un enfant de 3 ans, passager à l’arrière d’une voiture que conduisait son papa: le garçon tenait en main un bout de métal, que des gabelous un peu nerveux ont confondu avec un revolver.

Le même jour, un jeune de 20 ans, qui buvait une bière avec des copains devant une maison dans une township, a eu le tort de s’enfuir quand des policiers ont voulu l’embarquer, sans raison. Il a été abattu sur-le-champ. Le 11 octobre, la police, qui poursuivait un voleur de voitures, a tué une femme, en se trompant de véhicule. Depuis 2007, les bavures policières se multiplient: en deux ans, la police a tué 71 passants – et 274 criminels – pendant des interventions.

Cela n’empêche pas le gouvernement de multiplier les déclarations guerrières, comme s’il voulait rassurer les visiteurs étrangers avant la Coupe du monde de foot, en juin prochain.

Contrairement à son prédécesseur Thabo Mbeki, qui jouait volontiers la politique de l’autruche, le président Jacob Zuma admet que la criminalité de son pays est «anormale». Pour la combattre, la police recrute à tour de bras: elle est passée de 120000 hommes, il y a trois ans, à 180000 hommes et dépassera 200000 hommes d’ici à 2013! Plus de policiers, qui pourront retourner le feu plus facilement: le gouvernement va déposer un projet de loi d’ici à la fin de l’année.

«J’ai des problèmes sérieux avec les policiers qui n’utilisent pas leur force de feu, a expliqué le ministre de la Police, Bheki Cele. Ils doivent viser les criminels à la tête.» Zuma lui-même estime a que «les criminels ne faisant pas de coups de semonce, à partir du moment où ils sortent une arme, la police doit agir».

Chaque année, il est vrai, une centaine de policiers sont tués par des gangsters souvent très violents.

Mais est-ce la bonne politique? «Plutôt que de changer la loi, il faudrait améliorer la formation des policiers, qui sont mal préparés pour affronter des criminels armés», estime Anthony Minnaar, professeur de droit criminel à l’Université de Pretoria. Pour l’organisation non gouvernementale Nicro (Institut national pour la prévention de la criminalité et la réinsertion des délinquants), «tirer pour tuer» ne peut que conduire à l’anarchie et n’aura pas d’effet dissuasif sur les criminels». Les hommes en bleu vont penser qu’ils ont désormais les coudées franches. Comme ces policiers du Kwazulu-Natal, qui ont vengé la mort d’un collègue qui enquêtait sur la violence dans les taxis collectifs en exécutant six patrons noirs de taxis. L’un d’eux, tué en février, avait même obtenu une décision judiciaire interdisant à la police de l’assassiner!

Vendredi soir, Jacob Zuma s’est voulu rassurant: «La loi ne donne pas liberté aux policiers de tuer.» Mais les Sud-Africains se demandent néanmoins s’ils doivent craindre leur propre police…

 

Publié dans Afrique australe

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