Afghanistan. La désillusion démocratique des Afghans
La désillusion démocratique des Afghans.Par Benoit Bringer, Kaboul (Source : Le Temps. 17/08/09)
A trois jours de l’élection présidentielle, la démocratie telle que l’Occident souhaite l’implanter ne convainc plus.
Alors que les Afghans s’apprêtent à élire pour la deuxième fois de leur histoire un président, la désillusion est grande parmi la population. La promesse de l’instauration d’une démocratie faite par la communauté internationale et le gouvernement Karzaï après la chute des talibans leur paraît bien lointaine. «Tout est joué d’avance. Que l’on vote ou que l’on ne vote pas, le résultat est déjà écrit, s’insurge Samin Afzal un étudiant de 20 ans. Ces élections n’ont pas de légitimité. Ce sont les Etats-Unis qui tiennent les ficelles et le président Hamid Karzaï est leur marionnette.» Comme beaucoup de jeunes Afghans qui auraient eu pour la première fois l’occasion de glisser un bulletin dans l’urne, il n’ira pas voter, déçu par les promesses non tenues et la corruption des autorités. «De quelle démocratie parle-t-on, s’interroge Farid Ahmad, un autre étudiant de 20 ans. La démocratie exportée par l’Occident? Cela ne peut pas fonctionner ici. Nous avons besoin d’une démocratie afghane basée sur notre héritage islamique.»
Les innombrables affiches électorales placardées sur les murs de Kaboul n’y changent rien. La campagne présidentielle n’enthousiasme pas les Afghans. «Il n’y a pas de rassemblements de supporters spontanés, explique l’analyste Haroun Mir. Pour attirer les gens dans leurs meetings, les grands candidats paient des intermédiaires qui rassemblent du monde et offrent des repas gratuits.» Si les Afghans ne portent que peu d’intérêt à ce scrutin, c’est aussi que son issue ne fait guère de doute. Malgré son impopularité, Hamid Karzaï a toutes les chances d’être réélu, grâce aux alliances qu’il a su passer avec les chefs de guerre, parfois peu fréquentables, pour s’assurer leur soutien et celui de leurs supporters.
Couper les doigts de ceux qui auront voté
Mais pour Haroun Mir, c’est surtout l’insécurité qui risque de remettre en question le caractère démocratique de ce scrutin. «Je ne suis même pas sûr que dans les jours qui viennent l’on soit encore capable de tenir les élections, confie Haroun Mir. La menace des talibans est bien réelle, surtout dans le sud du pays.» Les insurgés ont en effet appelé la population à boycotter le scrutin, multipliant les intimidations. Sur les murs de la mosquée de Kandahar (sud) une affiche annonce clairement la couleur: «Vous ne devez pas participer aux élections car nous allons prendre pour cible les bureaux de vote, prévient-elle. Nous punirons sévèrement tous ceux qui iront voter.» Un commandant insurgé de la ville de Zabol (sud-est) a de son côté déclaré dans un prêche que les talibans couperaient tous les doigts portant la trace de l’encre indélébile avec laquelle on marque les votants. Dans certaines régions tenues par les rebelles, les forces occidentales et les autorités du pays n’ont toujours pas pu mettre en place de bureaux de vote. Selon la Commission électorale indépendante afghane, plus de 10% d’entre eux pourraient rester fermés à cause des violences. «Nous avions prévu 7000 bureaux sur l’ensemble du territoire, explique son président, le docteur Azizullah Lodin, nous n’avons pour l’instant pu en ouvrir que 6200.»
L’inquiétude gagne même la capitale, Kaboul. En perpétrant samedi au cœur de la ville un attentat qui a tué sept civils afghans et blessé des soldats étrangers devant le siège de l’OTAN à proximité de l’ambassade américaine, les talibans ont prouvé qu’ils pouvaient créer le chaos dans la zone la plus sécurisée d’Afghanistan. Pour leur part, les forces internationales et afghanes disent avoir la situation sous contrôle. Dans la nuit de samedi à dimanche, elles ont lancé une opération militaire dénommée Tandar 5 dans la province de Khost, dans l’est du pays, tuant plus de 30 talibans.
Déstabilisation du pays
La communauté internationale redoute qu’une faible participation due à une démotivation des Afghans et aux menaces des talibans ne remette en cause la crédibilité du scrutin et ne déstabilise un peu plus le pays. Dans un ultime effort, les forces occidentales tentent de sécuriser les zones les plus à risques. L’armée américaine a lancé une nouvelle offensive dans la ville du sud de Dahaneh, aux mains des insurgés. Mais ces opérations ont un prix. Depuis la chute des talibans, jamais les pertes humaines dans les rangs étrangers n’ont été si élevées: 35 soldats occidentaux ont perdu la vie en Afghanistan depuis le début du mois d’août. Un soldat britannique a d’ailleurs été tué samedi soir, portant à 201 le nombre de victimes au sein du contingent britannique depuis 2001.