Afghanistan. L'opium, nerf de la guerre
Afghanistan - L'opium, nerf de la guerre par A. Castonguay ( Le Devoir.Ca. 27/06/07)
Les talibans, les terroristes et autres trafiquants ont réalisé un chiffre d'affaires de 2,3 milliards $US
Mauvaise nouvelle pour les troupes de l'OTAN qui combattent la guérilla dans le sud de l'Afghanistan: la principale source de revenu des talibans, l'opium, ne semble pas près de se tarir. Un nouveau rapport de l'ONU indique que la culture et la production d'opium sont hors de contrôle. Cette situation inquiète les autorités canadiennes à Kaboul.
Les chiffres ont de quoi faire peur. En 2006, les talibans, terroristes d'al-Qaïda et autres trafiquants de drogue qui participent à la déstabilisation de l'Afghanistan ont empoché 2,34 milliards $US grâce à l'opium, une hausse de 200 millions en un an. Cette somme équivaut à ce que le Canada a dépensé sur le plan militaire en Afghanistan depuis 2001 (2,544 milliards $CAN).
La culture du pavot a fait un bon de 121 % entre 2005 et 2006 dans les provinces du sud du pays. Les provinces d'Helmand et de Kandahar à elles seules comptent pour 62 % de la culture d'opium en Afghanistan. Or la production totale du pays est maintenant à l'origine de 92 % de la circulation mondiale d'opium, une proportion record (voir tableau).
Lors du passage du Devoir à Kaboul, fin avril, les hauts fonctionnaires canadiens avaient été mis au parfum des chiffres à venir de l'ONU. Déjà, le rapport préliminaire qui circulait était accablant. «Il n'y a aucun doute, la situation se détériore», avait alors soutenu un haut fonctionnaire canadien ayant requis l'anonymat. «Le lien entre l'opium et le conflit est direct. C'est la drogue qui finance les insurgés et qui leur permet d'acheter les mines, les bombes et les fusils qu'ils utilisent contre nous», expliquait ce fonctionnaire canadien en poste à l'ambassade.
Que faire? C'est la grande question que les pays occidentaux continuent de se poser. «Si on avait la réponse, elle serait en vigueur!, lance le haut fonctionnaire. C'est une situation complexe et le débat continue.» Les États-Unis ont choisi de procéder à des éradications massives des champs de pavot, ce qui explique la hausse de 210 % des éradications en un an, même si les kilomètres carrés détruits (153 km2) ne sont rien comparativement au total de la surface cultivée (1650 km2).
Plus de 170 laboratoires de transformation ont aussi été détruits, ce qui représente 20 % de toutes les installations mises hors service en 2006 dans le monde. Dans son rapport, l'ONU souligne d'ailleurs que le nombre de laboratoires de transformation saisis en Afghanistan confirme que la chaîne de production de l'héroïne à l'intérieur de l'Afghanistan est de plus en plus complexe, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Le Canada, de son côté, a choisi une autre voie. Même si Ottawa appuie officiellement la campagne américaine d'éradication, il refuse de donner un coup de main à l'oncle Sam sur le terrain. «Dans une guérilla, le plus important et le seul moyen de gagner, c'est l'appui de la population locale. Détruire l'opium est contre-productif. L'opium est souvent le seul revenu d'un fermier, alors quand on détruit son champ, il ne peut plus nourrir sa famille. Il sera furieux et on va le retrouver avec les talibans», explique le fonctionnaire canadien responsable du dossier à Kaboul.
Le Canada tente donc de trouver d'autres solutions à caractère économique pour encourager les fermiers à changer leur production d'opium pour une production... d'oignons ou de pommes de terre, par exemple, ou alors les inciter à lancer un autre type d'entreprise. Pour ce faire, le Canada a consacré 50 millions de dollars au microcrédit depuis cinq ans, soit plus que tout autre pays. Si des résultats sont visibles à Kaboul et au nord du pays, le Sud se fait tirer l'oreille, l'opium étant trop payant dans le fief des talibans.
Et pour cause: les talibans recrutent à fort prix, ce que le microcrédit ne peut combattre à lui seul. Les insurgés payent leurs combattants entre 5 et 10 $US par jour, ce qui est deux ou trois fois le salaire moyen au pays. Dans le Sud, il suffit de lever la tête pour voir un champ de pavot, matière première de l'héroïne, qui sert presque de guichet automatique à la guérilla.
Selon le World Drug Report 2007 de l'ONU, rendu public hier, l'opium afghan représente l'équivalent de 46 % du PIB du pays (3,1 milliards, contre 6,7 milliards). Ce poids énorme interdit les solutions simples, selon les autorités canadiennes. «Honnêtement, on ne sait pas trop quoi faire», lâche un haut fonctionnaire canadien en poste à Kaboul.
Et il n'y a pas que les talibans dans le portrait. La gangrène de l'opium contribue aussi à une plus grande instabilité au pays. Les criminels, les seigneurs de la guerre et les trafiquants de drogue, qui n'ont rien des talibans purs et durs, tirent un avantage certain du chaos ambiant. «Plus il y aura d'instabilité, plus ce sera bon pour les affaires, alors ils aident les talibans», a affirmé au Devoir un militaire de l'OTAN en poste au quartier général de Kaboul. La coalition estime à seulement 1500 le nombre de vrais talibans et à plus de 5000 les criminels, seigneurs de la guerre et autres trafiquants qui participent à la déstabilisation du pays.
Dans son rapport, l'ONU tente de lever le voile sur le chemin que prend l'opium pour quitter l'Afghanistan. Sans surprise, les pays voisins aux frontières poreuses sont mis à contribution. Ainsi, en 2006, 53 % de l'opium a quitté le pays via l'Iran alors que le Pakistan recevait 33 % de la production, et le Tadjikistan, 15 %. Par contre, l'héroïne, le produit finit de l'opium, sort par le Pakistan (48 %), devant l'Iran (31 %) et l'Asie centrale (21 %).
L'ONU estime que la planète compte 15,6 millions de consommateurs d'opium et d'héroïne. L'opium afghan se consomme principalement en Europe, en Afrique et au Proche-Orient.