Afghanistan. L'opium, nerf de la guerre

Publié le par unmondeformidable

Sur les routes de l’opium afghan.  Par Cédric Gouverneur (Le Monde Diplomatique Mars 2003)

Le commerce mondial de stupéfiants, lequel génère 500 milliards de dollars de recettes à travers le globe chaque année .  Les profits sont exponentiels : un kilo d’opium est acheté 30 dollars au cultivateur afghan - payé en produits alimentaires. Les passeurs sont rémunérés entre 15 et 30 dollars par jour selon leur fonction.  Le même kilogramme d’opium se négocie ensuite 100 dollars à Zahedan, 600 à Téhéran, 2 400 en Turquie. Raffiné au moyen d’acétique anhydride, chaque kilo d’opium produit 100 grammes d’héroïne. Une centaine de dollars suffisent pour équiper un laboratoire clandestin.  Un gramme d’héroïne - coupée à 65 % ou à 80 % - se revend entre 30 et 40 euros sur les trottoirs du vieux continent. 80 % à 90 % de l’héroïne consommée en Europe a pour origine les champs de pavot afghans. (...)

« Après la révolution de 1979, l’Iran, qui était un vieux pays producteur, a réalisé le tour de force d’éradiquer la culture de pavot en l’espace d’un an et demi », confirme M. Antonio L. Mazzitelli, représentant à Téhéran du Programme des Nations unies pour le contrôle international de la drogue (Pnucid). Depuis, la République islamique fait ce qu’elle peut pour endiguer le flux de stupéfiants traversant son territoire. 

Sur le terrain, 42 000 soldats, policiers et miliciens - soit environ un dixième des forces armées de la République islamique - sont déployés sur les 1 950 kilomètres de la frontière orientale, hérissée, des confins septentrionaux à l’océan Indien, de plus de 200 tours d’observation, de dizaines de murs de béton barrant les cols, de centaines de kilomètres de fossés et de barbelés. Un investissement de 1 milliard de dollars, auquel s’ajoutent les coûts de maintenance. Le Parlement iranien (Majlis) a débloqué l’équivalent de 25 millions de dollars en 2000 pour fortifier, encore et toujours, la frontière. Depuis 1979, 3 140 membres de forces de sécurité, dont deux généraux, ont perdu la vie lors d’accrochages avec des trafiquants (3). Soit un fonctionnaire tous les trois jours. (...)

Si l’on met de côté les rencontres bilatérales des responsables antinarcotiques iraniens avec leurs homologues asiatiques et européens, force est de constater que l’aide internationale reste limitée. La Commission européenne et quatorze pays donateurs alimentent le budget du Pnucid (20 millions d’euros par an), qui effectue des actions de prévention en coopération avec le gouvernement iranien. La France a, de plus, fourni 10 chiens anti-drogue et la Grande-Bretagne des gilets pare-balles. « Le Parlement britannique a dû voter une loi spéciale pour permettre l’envoi de simples gilets pare-balles, glisse M. Mazzitelli. Jusqu’aux vaccins des chiens antinarcotiques doivent être importés. Pourquoi ? Parce qu’un de leurs composants pourrait prétendument servir à la fabrication d’armes chimiques. ». 

Plus de 250 tonnes de stupéfiants ont été saisies sur le territoire iranien au cours de l’année 2000. Le Pnucid estime qu’à l’échelle mondiale les Etats interceptent seulement entre 10 % et 20 % de la drogue. Ce qui signifie que sans doute entre 1 000 et 2 000 tonnes de narcotiques ont réussi à passer de l’Afghanistan en Turquie.

Afghanistan - L'opium, nerf de la guerre par Alec Castonguay (Le Devoir.com -
Ca. 27/06/07)  

Selon le World Drug Report 2007 de l'ONU, rendu public hier, l'opium afghan représente l'équivalent de 46 % du PIB du pays (3,1 milliards, contre 6,7 milliards). Ce poids énorme interdit les solutions simples, selon les autorités canadiennes. «Honnêtement, on ne sait pas trop quoi faire», lâche un haut fonctionnaire canadien en poste à Kaboul.  (...) Le rapport de l'ONU indique que la culture et la production d'opium sont hors de contrôle (...) Les talibans, les terroristes et autres trafiquants ont réalisé un chiffre d'affaires de 2,3 milliards $US (...) 

Les chiffres ont de quoi faire peur. En 2006, les talibans, terroristes d'al-Qaïda et autres trafiquants de drogue qui participent à la déstabilisation de l'Afghanistan ont empoché 2,34 milliards $US grâce à l'opium, une hausse de 200 millions en un an. Cette somme équivaut à ce que le Canada a dépensé sur le plan militaire en Afghanistan depuis 2001 (2,544 milliards $CAN).

La culture du pavot a fait un bon de 121 % entre 2005 et 2006 dans les provinces du sud du pays. Les provinces d'Helmand et de Kandahar à elles seules comptent pour 62 % de la culture d'opium en Afghanistan. Or la production totale du pays est maintenant à l'origine de 92 % de la circulation mondiale d'opium, une proportion record (voir tableau).

(...) Les États-Unis ont choisi de procéder à des éradications massives des champs de pavot, ce qui explique la hausse de 210 % des éradications en un an, même si les kilomètres carrés détruits (153 km2) ne sont rien comparativement au total de la surface cultivée (1650 km2). Plus de 170 laboratoires de transformation ont aussi été détruits, ce qui représente 20 % de toutes les installations mises hors service en 2006 dans le monde. Dans son rapport, l'ONU souligne d'ailleurs que le nombre de laboratoires de transformation saisis en Afghanistan confirme que la chaîne de production de l'héroïne à l'intérieur de l'Afghanistan est de plus en plus complexe, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Le Canada, de son côté, a choisi une autre voie. Même si Ottawa appuie officiellement la campagne américaine d'éradication, il refuse de donner un coup de main à l'oncle Sam sur le terrain. «Dans une guérilla, le plus important et le seul moyen de gagner, c'est l'appui de la population locale. Détruire l'opium est contre-productif. L'opium est souvent le seul revenu d'un fermier, alors quand on détruit son champ, il ne peut plus nourrir sa famille. Il sera furieux et on va le retrouver avec les talibans», explique le fonctionnaire canadien responsable du dossier à Kaboul.

Le Canada tente donc de trouver d'autres solutions à caractère économique pour encourager les fermiers à changer leur production d'opium pour une production... d'oignons ou de pommes de terre,(...) Pour ce faire, le Canada a consacré 50 millions de dollars au microcrédit depuis cinq ans. Si des résultats sont visibles à Kaboul et au nord du pays, le Sud se fait tirer l'oreille, l'opium étant trop payant dans le fief des talibans.

Et pour cause: les talibans recrutent à fort prix. Les insurgés payent leurs combattants entre 5 et 10 $US par jour, ce qui est deux ou trois fois le salaire moyen au pays. Dans le Sud, il suffit de lever la tête pour voir un champ de pavot, matière première de l'héroïne, qui sert presque de guichet automatique à la guérilla.

(...) Les criminels, les seigneurs de la guerre et les trafiquants de drogue tirent un avantage certain du chaos ambiant. «Plus il y aura d'instabilité, plus ce sera bon pour les affaires, alors ils aident les talibans», a affirmé un militaire de l'OTAN en poste au quartier général de Kaboul. La coalition estime à seulement 1500 le nombre de vrais talibans et à plus de 5000 les criminels, seigneurs de la guerre et autres trafiquants qui participent à la déstabilisation du pays.

Dans son rapport, l'ONU tente de lever le voile sur le chemin que prend l'opium pour quitter l'Afghanistan. Sans surprise, les pays voisins aux frontières poreuses sont mis à contribution. Ainsi, en 2006, 53 % de l'opium a quitté le pays via l'Iran alors que le Pakistan recevait 33 % de la production, et le Tadjikistan, 15 %. Par contre, l'héroïne, le produit finit de l'opium, sort par le Pakistan (48 %), devant l'Iran (31 %) et l'Asie centrale (21 %).

Publié dans Asie

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