USA. Révolution arc-en-ciel à Hollywood

Publié le par Un monde formidable

Révolution arc-en-ciel à Hollywood. Par Patrick Goldstein/ Los Angeles Times (Source : Le courrier International. 17.10.02)

L'industrie du cinéma découvre seulement aujourd'hui que les héros de la nouvelle Amérique ne sont pas aussi blancs que Tom Cruise.

Quand le magazine grand public Entertainment Weekly a publié la critique du Roi Scorpion en avril dernier, il décrivait sa vedette, The Rock, comme le modèle même du héros américain. Quelques jours plus tard, l'hebdomadaire africain-américain Rolling Out consacrait sa une à la star du Roi Scorpion, revendiquant ce mastodonte de la World Wrestling Federation comme l'un des siens, l'appelant "brother" et vendant l'article sous le titre : "The Rock : comment être noir et devenir une star de cinéma".


Vin Diesel, qui est devenu une vedette du jour au lendemain, en incarnant un adepte des rodéos urbains dans The Fast and the Furious [sorti en 2001] a eu droit au même traitement. Bien qu'il ait joué des Italo-Américains dans plusieurs films, dont Il faut sauver le soldat Ryan, la communauté noire le considère comme un Africain-Américain. Quand Vin Diesel en était encore à ses débuts, il a tourné un court métrage intitulé Multi-Facial où on le voyait endosser différentes identités en vue d'auditions et jouer tour à tour un truand italien, un gangsta hip-hop et un étudiant BCBG.


The Rock est d'ascendance noire et samoane, tandis que Vin Diesel est censé être de sang mêlé noir et italien. (Il ne s'étend toutefois pas sur le sujet - "Dites juste que je suis multiculturel", a-t-il déclaré à US Weekly - et sa société de production est baptisée One Race.) Aujourd'hui qu'ils empochent au minimum 10 millions de dollars par film,

Vin Diesel et The Rock, nouveaux rois musclés du box-office, incarnent le héros de film d'action multiethnique auquel chacun peut s'identifier. "Ce sont les nouveaux Américains", observe le réalisateur Rob Cohen, qui a tourné The Fast and the Furious et XXX, un film de sports extrêmes dans lequel Vin Diesel tient le premier rôle. "Quand on regarde ces deux types, on comprend que l'épicentre de la culture américaine s'est déplacé vers les centres urbains [non blancs] des Etats-Unis, dans lesquels différents groupes ethniques se côtoient. On a presque l'impression que Tom Cruise est trop blanc aujourd'hui. Pour les jeunes spectateurs, Vin et The Rock sont ce qu'il y a de plus hype. Ils veulent tous leur ressembler." Les studios hollywoodiens doivent dès lors repenser leurs stratégies. "Nous assistons à la 'basanisation' de l'Amérique", remarque Santiago Pozo, qui a travaillé comme consultant en marketing pour des films Universal tels que Le Retour de la momie ou Le Roi Scorpion. "Les jeunes spectateurs veulent des héros noirs et métis."


Pour lancer The Fast and the Furious dans les boîtes et les concerts, Pozo a organisé des séances de casting pour s'assurer que les jeunes qui allaient promouvoir le film ressemblent exactement aux acteurs qu'on voit à l'écran. "Je voulais qu'on comprenne dès le départ qu'ils étaient en phase avec ce dont parle le film." L'émergence de Vin Diesel et de The Rock constitue une sorte de séisme pour le cinéma d'Hollywood, qui, en dépit de l'extrême attention qu'il porte au jeune public, a toujours été le média le plus lent à réagir aux changements sociologiques.


Depuis près d'un siècle, le héros de film d'action constitue sans doute le baromètre le plus précis des préoccupations culturelles des Etats-Unis. John Wayne fut le symbole de l'héroïsme et du sens du devoir américains. Paul Newman et Steve McQueen, les héros des années 60, incarnaient l'esprit de liberté et la remise en cause de l'autorité. Dans les années 70, le Dirty Harry de Clint Eastwood symbolisa l'attention que l'époque portait à la criminalité et à la perte des idéaux. Au milieu des années 80, le Rambo de Sylvester Stallone et le Top Gun de Tom Cruise traduisaient le chauvinisme arrogant des années Reagan, tandis que la série des 48 Heures ou des Arme fatale utilisaient les conflits surgis entre leurs covedettes noire et blanche pour évoquer les divisions raciales persistantes du pays.


Ce n'est un secret pour personne que les jeunes spectateurs d'aujourd'hui sont beaucoup moins sensibles à la couleur de la peau que n'importe laquelle des générations précédentes. Si, pour les Américains plus âgés, les voix de l'autorité culturelle demeurent en grande partie banches, la jeune Amérique possède un large éventail multiculturel de modèles allant du rappeur Jay-Z à la chanteuse latino Jennifer Lopez, du basketteur Kobe Bryant à l'acteur hongkongais Jackie Chan.


Jusqu'à présent, Hollywood a été plutôt lent à surfer sur la vague multiculturelle. Les avancées ont été freinées par certains handicaps commerciaux. Les films avec des vedettes latinos ou noires ont jusqu'à présent eu du mal à se vendre à l'étranger, qui représente aujourd'hui la plus grosse part du marché cinématographique. Mais Hollywood souffre également du fait que ses sphères dirigeantes sont encore trop souvent d'une blancheur immaculée - la plupart des studios ne peuvent même pas se prévaloir d'un directeur de production qui soit noir ou latino. Avant la sortie de The Fast and the Furious, les responsables blancs du secteur plaçaient tous leurs espoirs dans la costar Paul Walker, et non dans Vin Diesel, qui se révéla la véritable locomotive du film.

Trop souvent, les patrons de l'industrie cinématographique ne remarquent les bouleversements de la culture populaire que lorsqu'ils entrent par hasard dans la chambre de leurs enfants.
"Mon fils de 9 ans passe son temps à imiter la culture noire. Pour lui, c'est le top", remarque le vice-président d'Universal Pictures, Marc Shmuger, dont le studio a été le pionnier du casting multiethnique, avec des films comme The Fast and the Furious et Le Roi Scorpion. "Il veut avoir la démarche de Kobe Bryant et s'habiller comme [le jeune rappeur de 14 ans] Lil'Bow Wow. Ça serait de la folie de ne pas répercuter ce phénomène dans nos films."


Hollywood a encore un long chemin à parcourir, surtout pour que la diversité ethnique soit une réalité dans les hautes sphères. Mais, si le héros de film d'action est l'incarnation suprême de nos rêves populaires, l'ascendant de The Rock et de Vin Diesel traduit un profond bouleversement culturel. "Ces acteurs représentent l'homme nouveau, chez qui toutes les contradictions raciales se rencontrent", estime la productrice Stephanie Allain, qui tourne en ce moment un film sur des clubs de motards noirs et latinos intitulé Biker Boyz. "On n'a plus la même notion de ce qui est cool. Mon gamin n'est pas le seul enfant métis de ce pays. Beaucoup de ses amis le sont aussi. Et, quand ils voient Vin ou the Rock, ils se disent que les films sont le reflet de la réalité."

"Mavin": C'est le nom du premier magazine multiracial des Etats-Unis. Fondé en 1998, à Seattle, par Matt Kelley, un étudiant coréano-américain de 19 ans, ce mensuel de société s'adresse à tous ceux qui se sentent métis. Ils sont aujourd'hui environ 45 000 à le lire. "Dans les pages colorées de Mavin, la race n'est jamais une question de Blancs ou de Noirs. La vie n'est pas cela non plus pour les millions de jeunes multiraciaux aux Etats-Unis", explique le magazine sur son site http://www.mavin.net

Publié dans Métis

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article