USA. New York : les Haïtiens fiers de leur créole

Publié le par Un monde formidable

New York : les Haïtiens fiers de leur créole Par Alain Gaillard (Syfia - 30-04-2009)

Victimes de préjugés violents dans les années 1980, les Haïtiens cachaient leur origine et s'exprimaient peu en créole dans les lieux publics nord-américains. Désormais, ils affichent avec fierté les couleurs d'Haïti. À tel point que les autorités new-yorkaises ont intégré le créole dans l'administration de la ville.

Originaire d'Haïti, André, 37 ans, est policier à New York où il vit depuis près de 10 ans. "Je m’exprime dans ma langue maternelle (le créole) avec mes compatriotes partout où je vais, lance-t-il fièrement. Beaucoup de mes collègues de travail autochtones me saluent même en disant : 'sak pase ?', 'nap boule ?' (Comment vas-tu ? Ça va bien? ). Ils l’ont appris de moi et d’autres collègues haïtiens." Il n'est en effet pas rare d'entendre parler créole à New York, où vivent de nombreux Haïtiens : 125 000 légalement, et près de 500 000 si l’on compte les illégaux. À tel point qu'en juillet dernier, Michael Bloomberg, le maire de Big apple, comme on appelle New York, signait un décret demandant aux différents services de la ville de fournir des services en créole et dans cinq autres langues très utilisées : le chinois, l'espagnol, le russe, l'italien et le coréen. Des interprètes sont disponibles dans ces administrations afin d’aider les personnes qui ne parlent pas anglais.

Cette reconnaissance est le fruit d'une grande évolution et d'un travail éducatif de fond mené par les organisations de la diaspora haïtienne. Lorsque l'épidémie de sida se propageait au début des années 1980, la théorie fumeuse des "quatre H" (pour Hémophiles, Homosexuels, Haïtiens et Héroïnomanes) avancée pour définir les principaux responsables de la propagation du VIH dans le monde avait provoqué de nombreux dégâts dans l'imaginaire collectif. Et aussi de nombreuses souffrances pour les Haïtiens à l'étranger. Certains émigrants haïtiens se faisaient alors passer pour des Martiniquais et affichaient le moins possible leur identité dans les lieux publics.

"Dans les années 1970, les immigrants étaient surtout des intellectuels qui fuyaient le régime dictatorial des Duvalier et s'exprimaient aisément. Dans les années 1980, on a assisté à l’arrivée de personnes immigrées pour des raisons économiques s’exprimant difficilement en français", précise Jean Raymond. Le français, l'une des langues officielles d'Haïti, considérée comme la langue du savoir envers laquelle la majorité des Haïtiens nourrissent une relation d'amour-haine et que très peu parlent, n'est presque plus utilisé dans la communauté haïtienne de New York.  Aujourd'hui, André fustige tout Haïtien qui aurait honte de parler créole : "Ce serait avoir honte d’être haïtien. Or, on nous reconnaît ici à New York comme de rudes travailleurs et de bons citoyens. Si une vedette comme Wyclef n’éprouve aucune gêne à dévoiler sa nationalité, pourquoi devrais-je hésiter à le faire ?", martèle-t-il. En 1997, la vedette d'origine haïtienne Wyclef Jean s’enveloppait du drapeau d'Haïti au cours de la cérémonie de remise des prix des MTV Music Awards lors de laquelle le groupe Fugees dont il faisait partie recevait le prix du meilleur album rap de la même année. Ce fut une des amorces symboliques fortes du regain de fierté des Haïtiens des États-Unis face à leur identité.

Hugues Saint-Pierre, président de la Fondation Mémoire, un organisme travaillant depuis 1999 pour la survie de la mémoire haïtienne en terre étrangère, indique que le travail réalisé par certains prêtres venus s’installer à New York au cours des années 1980 a grandement contribué à créer ce sentiment de fierté chez les Haïtiens : "Des prélats comme Yves Dejean et Antoine Adrien ont été les premiers à célébrer des messes en créole dans leurs paroisses respectives."

Yves Raymond, de la Haitian Education Technical Assistance Center, un bureau créé dans l’État de New York en vue d’aider les élèves parlant une langue autre que l’anglais, explique que l’introduction des programmes bilingues avec le créole comme langue première pour les jeunes Haïtiens contribue en grande partie à sa promotion. Ces programmes bilingues, où l’immigrant apprend l’anglais et les Américains la langue de ce dernier, s'adressent à des jeunes de 5 à 21 ans. "Le fait pour le jeune Haïtien de voir que sa langue maternelle est utilisée dans des salles de classe ici à New York contribue beaucoup à son désir de s’exprimer dans sa langue maternelle", constate Yves Raymond.

 

Publié dans Amérique du Nord

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article