USA. L’Amérique postraciale d’Obama se compte

Publié le par Un monde formidable

L’Amérique postraciale d’Obama se compte par Haya El Nasser (USA Today. Source - Le Courrier International. 01.04.2010)

 Les opérations de recensement ont commencé dans tout le pays. Elles devraient confirmer l’importance du métissage dans un pays où les couples mixtes sont en constante augmentation.

Jennifer Harvey a été élevée par sa mère et son beau-père, tous les deux blancs, dans un monde qu’elle décrit comme “caucasien”. Elle n’a pas connu son père, mais elle sait qu’il était noir et cubain. Elle est donc à la fois hispanique, blanche et noire. “Les Noirs pensent que je suis noire, dit-elle. Les Hispaniques, que je suis hispanique. Honnêtement, je ne peux pas me définir de manière aussi catégorique : je ne suis ni de type caucasien, ni noire, ni hispanique.” Après le lycée, en Alabama, elle a demandé le renouvellement de son permis de conduire. Elle a été choquée d’y voir inscrit la mention “Noire”. “Je ne me suis pas reconnue dans cette catégorie”, explique-t-elle.

Depuis le début du mois de mars, le Bureau du recensement rappelle aux Américains combien la classification raciale est toujours au cœur du tissu social du pays mais aussi de ses lois, tout en reconnaissant par la même occasion que les catégories raciales sont de plus en plus floues. Le gouvernement offre en effet à ses 308 millions de citoyens la possibilité de se réclamer d’une ou plusieurs races. L’agence s’attend à ce que le nombre de personnes qui choisiront plusieurs races soit bien plus élevé que lors du recensement de 2000, date à laquelle le gouvernement avait proposé pour la première fois des choix multiples. Les réponses au questionnaire de cette année fourniront un aperçu de l’évolution des mentalités vis-à-vis des origines. En effet, les personnes qui étaient mineures en 2000 et dont les parents avaient coché une seule case seront libres d’en sélectionner davantage.

“C’est une chance historique de voir si les choses ont changé ou pas”, explique Nicholas Jones, responsable du département des statistiques raciales du Bureau du recensement. Les Américains aux origines multiraciales sont “l’un des groupes dont la croissance démographique est la plus forte dans ce pays. Il y a de plus en plus d’enfants nés de couples mixtes.” 



En 2050, les blancs seront passés sous la barre des 50 %

Selon certains universitaires et analystes politiques, l’élection de Barack Obama, premier président noir de l’histoire des Etats-Unis, a annoncé le début d’une ère “postraciale” dans ce pays où les relations entre races sont problématiques depuis quatre siècles. Parallèlement, la diversité ethnique et raciale nourrie par une immigration record et par la hausse des mariages mixtes a rendu la démographie des Etats-Unis bien plus complexe. Selon les projections du Bureau du recensement, d’ici à 2050, il n’y aura plus de majorité raciale ou de groupe ethnique majoritaire. La part des Blancs non hispaniques sera passée sous la barre des 50 %. “Les enfants de demain et leurs enfants auront tous des origines multiraciales, ce qui devrait conduire à une société postraciale”, explique William Frey, démographe à la Brookings Institution.



Les questionnaires pour le grand recensement de 2010 sont arrivés à la mi-mars dans plus de 135 millions de foyers. Les questions 8 et 9 ont sans doute plongé dans un abîme de perplexité les personnes aux origines diverses, comme Jennifer Harvey. La question no 8 porte sur l’origine ethnique. Elle recense les personnes d’origine hispanique, latino ou espagnole, au sein du foyer. La question no 9 s’intéresse à la race des membres du foyer – quelle que soit leur appartenance ethnique. Les instructions précisent de “cocher une ou plusieurs cases”. On peut choisir entre blanc, noir, amérindien ou indien d’Alaska, asiatique, originaire de Hawaii ou de toute autre île du Pacifique. Il y a encore une dernière case indiquant “autres races”. Cette catégorie fourre-tout est généralement choisie par de nombreux Hispaniques qui ne se reconnaissent pas dans les autres.

“Beaucoup de personnes qui avaient un parent amérindien ne le disaient pas jusqu’à ce que cela devienne à la mode, explique William Frey. Ils n’y attachaient pas beaucoup d’importance, mais cela devrait changer.” Nicholas Jones partage ce point de vue. “Si cette tendance se confirme – multiplication des couples mixtes, hausse du nombre de naissances dans ces foyers et conscience accrue de l’identité raciale –, on pourrait assister à une augmentation” du nombre de gens qui se considèrent comme métissés.

Pour Jennifer Harvey, il a toujours été difficile de con­cilier réalité génétique et vie de tous les jours. Sa quête identitaire l’a conduite, dans un premier temps, à rompre les liens avec sa famille. Elle est aujourd’hui en meilleurs termes avec celle-ci. Les pères de ses trois filles sont noirs. Elle apprécie la chance offerte par le recensement de pouvoir faire le point sur cet héritage, mais elle reste indécise. “La plus jeune (4 ans) de mes enfants veut qu’on dise qu’elle est noire. C’est encore problématique pour moi. Si je peux cocher noire et hispanique, ce sera parfait”, explique-t-elle.

Barack Obama, né d’un père noir et d’une mère blanche, est non seulement le premier président noir, mais aussi le premier président aux origines multiraciales. Lors de sa campagne électorale, en 2008, le candidat démocrate s’était défini comme noir, mais il faisait aussi allusion à ses racines à Hawaii, où il avait été élevé par sa mère, blanche. Quand il sera devant le questionnaire, cochera-t-il “blanc”, ou bien “blanc” et “noir” ? 



Le recensement ne reflétera peut-être pas réellement le nombre de personnes métisses aux Etats-Unis. Parce que les réponses sont fondées sur l’image qu’ont les gens d’eux-mêmes, l’image qu’ils pensent projeter et celle qu’ils veulent donner aux autres via le recensement national. “Cette idée d’image de soi est centrale”, explique Ann Morning, professeur de sociologie à l’université de New York. Selon elle, un tiers de la population américaine a des ancêtres de races différentes. Et les jeunes générations seront plus enclines à accepter leur héritage multiracial, prédit-elle.

 

Publié dans Métis

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