Tchad. L’union sacrée pour qui ?
L’union sacrée pour qui ? (Source Le Pays. Ouagadougou. 13/05/09)
La journée fériée, chômée et payée décrétée par le gouvernement tchadien ressemble à tout sauf à la commémoration de l’unité nationale. Tel que le laisse entendre le gouvernement, il s’agit de créer l’union sacrée pour défendre la patrie en danger contre l’agresseur soudanais. Curieuse démarche tout de même, quand on sait que cette guerre n’est pas celle des Tchadiens, mais bel et bien celle d’Idriss Déby Itno.
La preuve, les principaux leaders de l’opposition ne se sont pas sentis cocnernés par la grande manifestation au cours de laquelle Idriss Déby Itno est apparu en héros libérateur, une image qui rappelle les bains de foule et les pas de danse de Omar El Béchir, après son inculpation par la Cour pénale internationale. On sait d’ailleurs comment le "peuple" est mobilisé en ces circonstances : des cars sillonnent les quartiers pour convoyer les manifestants, et gare au chef de quartier, au leader d’opinion ou au cadre politique qui n’aura pas fait son plein de véhicules.
Parmi les groupes rebelles qui harcèlent le président tchadien figurent des membres de sa propre ethnie, qui ont jadis collaboré étroitement avec lui. On est donc en présence d’une lutte pour le pouvoir opposant des factions armées et des hommes qui se connaissent bien. Déby est tout autant un chef de guerre que ses adversaires actifs dans le maquis. Rien ne le différencie des autres, sinon qu’il trône dans le palais présidentiel tant convoité. Alors, pourquoi engager le peuple tchadien dans une guerre qui n’est pas la sienne ?
Certes, le Soudan n’est pas innocent dans la tragédie du peuple tchadien. Mais il ne saurait être le bouc émissaire, d’autant que Déby entretien lui aussi des milices contre Khartoum. Idriss Déby sait qu’il ne peut se contenter de sa victoire (provisoire) sur les rebelles à la suite de la dernière bataille. Il lui faut aussi des soutiens populaires, politiques et diplomatiques. Après avoir quémandé en vain une condamnation ferme du Soudan par l’Union africaine et la communauté internationale, il s’en retourne donc vers son peuple, pour se faire plaisir.
Ce grand raout dénommé rassemblement "contre l’agression soudanaise" a donc des allures de commémoration d’une victoire. Ainsi, Déby n’a pas boudé son plaisir de voir le "peuple" le soutenir en ces moments difficiles. "Les aventuriers ont une fois de plus mordu la poussière". Cette phrase de Déby illustre à merveille le caractère guerrier de l’homme.
Mais tous les Tchadiens ne sont pas dupes de cette manipulation orchestrée par le président Déby. Ils savent que cette prétendue mobilisation n’a rien à voir avec les intérêts du Tchad. Elle vise tout simplement à apporter une caution à un régime qui cherche sa légitimité par ses faits d’armes et non par les urnes. La Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution s’est par exemple abstenue de prendre part à la marche d’hier. L’opposition significative a en effet une autre vision des problèmes d’instabilité que connaît le Tchad et les moyens d’y mettre fin. Alors que Déby prône la guerre à outrance, multiplie les accusations tous azimuts contre le Soudan et verse dans la victimisation de son régime, les opposants estiment qu’il faut dépoussiérer les accords avec la rébellion et organiser des assises nationales sur la paix. Bien que décrédibilisée par ses nombreuses compromissions avec le régime de Déby, l’opposition tchadienne semble avoir fait le meilleur choix.
En 2007, un accord a été signé sous les auspices de la Libye, à Syrte, qui stipulait que l’ensemble des acteurs de la vie politique, sociale et militaire tchadienne devaient se retrouver pour une conférence nationale. Mais comme bien d’autres accords, celui-ci est resté lettre morte. Cet accord parrainé par Kadafi devient encore plus difficile à mettre en oeuvre au regard de la nouvelle inimitié née entre Ndjaména et Tripoli. Le pouvoir tchadien ne pardonne pas à la Libye et à la Chine d’avoir eu, selon lui, "un comportement inamical" lors de la réunion du Conseil de sécurité sur l’attaque rebelle.
En tout état de cause, le Tchad a besoin d’une introspection profonde de ses fils, en vue de jeter les jalons d’une paix durable. Mais au-delà de ce brainstorming national, c’est d’un véritable changement de mentalités que dépend le renouveau tchadien. Le pays a trop souffert de la stratégie de la guerre comme arme de survie politique utilisée par ceux qui se sont succédé à sa tête. C’est cette culture de la guerre que continue d’entretenir Déby et qui lui a permis de rester jusque-là au pouvoir. Alors, pourquoi s’encombrer des contraintes de la démocratie, avec le risque d’être éjecté, quand le pouvoir peut se conserver par le canon ? Déby a fait son choix. Et tant que le pétrole coulera à flot et que la France sera son ange gardien, il n’y aura ni democratie ni renouveau au Tchad.