Tchad. Chroniques d'une histoire sans fin (4)

Publié le par unmondeformidable

Tchad : l'échec apparent de l'offensive des rebelles ne marque pas la fin du conflit par Jean-Philippe Rémy (LE MONDE | 09.05.09)

Stoppée par les forces loyalistes, la percée des rebelles tchadiens a été bloquée dans les sables de l'est du pays sans parvenir à menacer la capitale, N'Djamena. Samedi 9 mai, après deux jours de combats avec les forces gouvernementales, les rebelles de l'Union des forces de la résistance (UFR) ont commencé à abandonner le terrain, dans l'est du Tchad, invoquant un "repli tactique". Partis du Soudan en colonnes de pick-up, lundi, ils n'avaient pénétré que d'une centaine de kilomètres en territoire tchadien avant d'être pratiquement encerclés, puis sévèrement frappés par une Armée nationale tchadienne (ANT) lourdement équipée de blindés et d'artillerie. Certains éléments de l'UFR faisaient déjà route, samedi, vers la frontière, essayant de repasser dans le pays voisin, où se situent leurs bases arrière. Ils laissent derrière eux des groupes de rebelles épars et, sur les champs de bataille des environs d'Am-Dam, à 100 kilomètres au sud d'Abéché, un amoncellement de corps, de véhicules calcinés et de prisonniers. Même si des incertitudes pèsent encore sur les intentions d'autres groupes rebelles de la coalition, qui n'ont pas participé aux combats, cette phase de l'offensive de l'UFR semble terminée.

Vendredi soir, le porte-parole du gouvernement tchadien, Mahamat Hissène, donnait un "bilan actualisé mais toujours provisoire" des pertes rebelles : 225 tués, 212 prisonniers et 220 pick-up (l'étalon de la force armée dans cette guerre de mouvement) capturés ou détruits. L'ANT n'aurait, selon lui, perdu que douze hommes. La rébellion n'avait pas encore, samedi matin, donné son propre bilan.Joint par téléphone à Khartoum, où des problèmes de santé l'ont retenu de participer à l'offensive, le colonel Adouma Hassaballah, l'un des principaux chefs rebelles, assurait néanmoins : "Nous nous sommes mis en retrait pour nous réorganiser. On va recompléter (les rangs) avec ceux qui sont restés dans les bases arrières et on réattaque ce soir."

De nombreux observateurs tablent sur la fin d'une bataille, une de plus dans la longue chaîne des affrontements par procuration que se livrent le Tchad et le Soudan depuis 2005. La grande offensive annuelle des rebelles tchadiens, si elle est effectivement finie, aura duré moins d'une semaine, et ne sera parvenue à régler aucun des problèmes qui nourrissent le conflit entre les deux pouvoirs voisins, frères ennemis dont l'aventure commune remonte à près de deux décennies.

Idriss Déby, le président tchadien, est arrivé au pouvoir en décembre 1990 à la tête d'une rébellion qui, déjà, partait du Soudan et bénéficiait de l'appui de Khartoum, mais aussi de celui de la Libye et de la France. Au Soudan, un coup d'Etat venait de porter au pouvoir une junte dirigée par le général Omar Al Bachir, dont les islamistes du Front national islamique tiraient les ficelles dans l'ombre. Des années durant, Idriss Déby a dû composer avec des agents soudanais dans son entourage, avant de s'en affranchir progressivement. Le Soudan, puis le Tchad, sont devenus des producteurs de pétrole (175 000 barils par jour pour le Tchad, environ 400 000 pour le Soudan), sans que le sort de leurs populations s'en trouve amélioré. Au contraire, les pétrodollars ont facilité l'organisation logistique des rébellions croisées qui allaient bientôt naître tandis qu'éclatait la guerre civile au Darfour. La frustration des élites et des habitants de cette région de l'ouest du Soudan s'est muée en lutte armée en 2003, déclenchant une campagne de répression orchestrée par le pouvoir soudanais qui pourrait avoir fait, au total, près de 200 000 victimes directes et indirectes.

Certains rebelles du Darfour bénéficiaient de complicités au sein du pouvoir tchadien, en raison de solidarités ethniques, familiales ou claniques transfrontalières. Le Soudan, par mesure de rétorsion, a accueilli les rebelles professionnels tchadiens et les mécontents du système Déby pour leur donner les moyens de se lancer à l'assaut du pouvoir à N'Djamena et mettre fin, par le vide, à l'appui aux Darfouriens.

Au total, près d'une vingtaine d'attaques du Tchad ont eu lieu depuis 2005. En février 2008, les rebelles sont arrivés jusqu'à N'Djamena. Ils y ont été défaits en raison de leurs divisions internes, de la puissance de feu des blindés tchadiens et de l'appui de la France. Pendant que l'un des chefs de la coalition essayait de prendre la radio nationale pour s'y déclarer président, les chars d'Idriss Déby et ses hélicoptères repoussaient les autres groupes armés qui étaient parvenus à quelques centaines de mètres du Palais rose, la présidence. Depuis, N'Djamena a été transformée en camp retranché. Un long fossé a été creusé autour de la ville, où ne subsistent que trois entrées fortement gardées. Des quartiers périphériques ont été détruits pour permettre à des blindés de manoeuvrer à l'intérieur de l'enceinte. La présidence a été protégée par une ceinture de blocs de béton en forme de créneaux, permettant à ses défenseurs de faire le coup de feu.

Dans la foulée, Khartoum était attaquée à son tour par les rebelles darfouriens du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM), partis de leurs bases au Tchad, et dont le chef, Khalil Ibrahim, est un lointain parent par alliance du président Déby. Le JEM a renforcé ses troupes au cours des mois écoulés et projette de lancer d'autres attaques au Soudan depuis sa base d'Am-Djeress, dans le nord-est du Tchad. Selon plusieurs sources, N'Djamena envisage aussi de poursuivre les rebelles tchadiens en territoire soudanais. Khartoum doit faire face à une situation nouvelle avec le mandat d'arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) contre le président Omar Al Bachir. Pour contrer la tentative d'obtenir une collaboration internationale qui permettrait son arrestation, le Soudan est contraint de chercher des soutiens.

Il en a trouvé auprès de l'Union africaine (UA). Pour préserver cet appui, Khartoum se trouve embarrassé par l'entretien de groupes rebelles sur son sol. Vendredi, l'UA a condamné "très fermement" les attaques des rebelles dans l'est du Tchad, son commissaire à la paix et à la sécurité, Ramtane Lamara, déclarant s'opposer à "tous les changements anticonstitutionnels de gouvernement et des actes de déstabilisation".

 

Paris continue de soutenir un régime tchadien de plus en plus isolé par Philippe Bernard avec Philippe Bolopion, à New York. (LE MONDE | 09.05.09)

La répétition des offensives rebelles n'est pas une nouveauté dans l'histoire du Tchad. L'actuel chef de l'Etat, Idriss Déby, a lui-même renversé son prédécesseur, Hissène Habré et conquis le pouvoir, en 1990, au terme d'une offensive sur N'Djamena menée avec l'appui de la France. Mais l'accélération du rythme de ces attaques, en soulignant l'instabilité et l'isolement persistants du pouvoir en place soutenu par Paris, met en lumière les faiblesses de la stratégie française à l'égard du Tchad. Pour l'heure, la France insiste sur la responsabilité de Khartoum dans l'offensive menée à partir du Soudan depuis le 4 mai. Le 8 mai, Paris s'est dit "préoccupé par cette violation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté du Tchad" par les insurgés "appuyés" par le Soudan, "en violation des accords" signés par les deux voisins.

A New York, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une déclaration rédigée par la France, dans laquelle il "condamne les nouvelles incursions militaires dans l'est du Tchad par des groupes armés tchadiens venus de l'extérieur". La mention "venus de l'extérieur" désigne le Soudan, mais certains Etats, dont la Libye, n'ont pas souhaité que la déclaration le nomme explicitement. L'analyse française consiste à mettre en parallèle le conflit qui oppose Khartoum et les rébellions du Darfour (ouest du Soudan) soutenues par le Tchad, et celui qui oppose N'Djamena aux rebelles tchadiens soutenus par Khartoum. "Notre politique vise à appuyer le règlement de ces deux conflits",affirme un haut diplomate.

Des discussions sur le Darfour ont repris récemment à Doha (Qatar). Une avancée sur ce conflit soudano-soudanais faciliterait le déblocage sur l'autre front, tchado-tchadien, assure-t-on à Paris, où le dossier soudanais semble prioritaire. Mais, en attendant, la situation semble particulièrement enkystée au Tchad. Un accord signé à Syrte (Libye), en 2007, entre le gouvernement et les rebelles d'alors, n'a débouché sur aucun engagement politique. Quant à l'accord d'août 2007 entre le pouvoir et les partis politiques sur l'organisation d'élections, il a été mis à mal par la disparition jamais élucidée, en 2008, du principal porte-parole de l'opposition. La France, qui a volé au secours d'Idriss Déby en février 2008, n'a guère fait pression pour que le président tchadien accomplisse de réels gestes d'ouverture, a fortiori pour que s'ouvre une négociation politique avec les groupes armés.

Aujourd'hui, Paris se félicite de la signature récente d'un accord sur la future commission électorale. "Il faudra régler les problèmes entre Tchadiens, y compris les groupes armés", convient-on en soulignant que Khartoum, qui parraine ces derniers, y fait obstacle. "Cette situation résulte d'un blocage politique total", critique Bruno Angsthelm, chargé de mission au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), particulièrement impliqué au Tchad, mettant en cause une "inertie politico-diplomatique".

 

Coalition rebelle:  Les principales factions rebelles ont formé, en janvier 2009, l'Union des forces de la résistance (UFR) regroupant neuf mouvements, dont l'Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) du général Mahamat Nouri. Timan Erdimi, chef de l'UFR, est un neveu d'Idriss Déby, le président tchadien, et a été, avec son frère jumeau Tom, un des piliers du régime jusqu'en 2004.

Offensives:  2003. Le Soudan organise des groupes de combattants tchadiens qui formeront le Front uni pour le changement (FUC) .

Avril 2006. Le FUC atteint N'Djamena mais doit se replier.

Février 2008. Une autre coalition rebelle échoue aux portes de la présidence.

8 janvier 2009. Formation de l'UFR.

4 mai. Entrée de rebelles de l'UFR en provenance du Soudan dans l'est du Tchad.

7 et 8 mai. Violents combats entre l'UFR et l'armée tchadienne au sud d'Abéché.

Recrutement:  Les chefs rebelles recrutent sur base ethnique, voire régionale. L'UFR parrainée par le Soudan, qui avait dépensé en 2008 plus d'une centaine de millions de dollars pour équiper les rebelles, a instauré un "brassage" des troupes pour surmonter les rivalités internes à la rébellion.

Publié dans Afrique centrale

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