Sud-Soudan. Sur l’ancienne « route du sang », la malédiction de l’or noir
Sud-Soudan : sur l’ancienne « route du sang », la malédiction de l’or noir (Source L’Orient Le Jour. Beyrouth. 17/11/2009)
Les villageois de Rier ont été déplacés pour laisser la place à l'exploitation pétrolière. C'est un village maudit aux allures de décharge. Au Sud-Soudan, les habitants de Rier déplacés pour faire place à l'exploitation pétrolière survivent au milieu des immondices, leurs puits contaminés, loin des dividendes promis de l'or noir.
Un réservoir d'eau en acier marque l'entrée de cette bourgade de 2 000 âmes, déplacée de force en avril 2006. Un panneau annonce : « Projet de la Société pétrolière du Nil blanc (WNPOC) », la filiale du groupe malaisien Petronas qui exploite les champs pétroliers de Thar Jath, quelques kilomètres plus loin. Les amas d'ordures jalonnent l'allée principale, où s'alignent des échoppes pouilleuses. De vieux barils, estampillés WNPOC ou Petronas, font office de poubelles autour desquelles des gamins crasseux chahutent, malgré l'odeur de déchets et de plastique brûlé. Une immense fumée noire s'élève à l'horizon, avec en arrière-plan les tankers et cheminées rayés de rouge et blanc du centre de traitement de brut de Thar Jath.
La région a été meurtrie par la guerre entre le Nord et le Sud-Soudan, qui a fait plus de 1,5 million de morts entre 1983 et 2005, date de la signature d'un accord de paix. Sur cet axe menant au cœur des territoires sudistes, les milices pro-Khartoum se sont forgé au prix de terribles massacres un chemin vers les précieux champs de pétrole de l'État d'Unité (centre-Sud). Autrefois surnommée « la route du sang », la piste sert désormais à l'évacuation par oléoduc de l'or noir vers le Nord. La guerre est partie, mais pour les villageois de Rier, le pétrole n'a amené que misère et maladies.
« Quand nous avons été obligés de partir, la compagnie nous a fait beaucoup de promesses : la construction d'une école, d'un hôpital et de l'eau potable », raconte l'administrateur, William Malual. « Aujourd'hui, les gens tombent malades, nous ignorons la cause de leur mal. Le bétail meurt subitement à cause de tous ces produits chimiques, affirme M. Malual, costume élimé noir, dont la kalachnikov rappelle le rang de capitaine au sein de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA, ex-rébellion sudiste). « Tout le monde souffre avec l'eau contaminée, on ne l'utilise plus, ni pour cuisiner ni pour le linge, pas même pour se laver. Boire cette eau infecte, c'est comme avaler du sel », ajoute-t-il.
L'eau a été dégradée par les produits chimiques utilisés pour le forage des puits et le traitement du brut, selon l'ONG allemande Signe d'espoir. Un responsable local de la WNPOC affirme pour sa part ne pouvoir faire aucun lien entre cette pollution et l'exploitation pétrolière de sa société.
Dans les rues crasseuses de « nouveau Rier », les femmes à la peau noire ébène, un jerrycan sur la tête, consacrent une grande partie de leur journée à la corvée d'eau autour des deux uniques fontaines d'eau potable ravitaillées par des camions de la WNPOC. La compagnie fournit de l'eau puisée dans le Nil, traitée à la chlorine, mais les villageois jugent cet approvisionnement souvent irrégulier. Quant aux anciens puits, ils sont laissés à l'abandon. « Cette pompe, on ne l'utilise jamais », s'exclame Martha Nyaluk, dont la paillote voisine une fontaine d'acier qui baigne dans un cloaque survolé par une nuée de moustiques.
« Nous lisons beaucoup de choses sur le partage des richesses du pétrole, mais nous n'avons rien vu venir de tout ça », déplore M. Malual, pour qui « la vie d'avant était bien meilleure ».