Somaliland. Le seul pays en paix de la Corne de l’Afrique
Somaliland : Le seul pays en paix de la Corne de l’Afrique par Robert Wiren (Source Les Nouvelles. Org. Paris, novembre 2005)
C’est à l’occasion des élections parlementaires que j’ai effectué mon deuxième séjour à Hargeisa à l’invitation des Somalilandais de France moins de trois ans après une première visite au Somaliland. Cette fois j’étais attendu à l’aéroport de Hargeisa et par un francophone de surcroît. En effet, c’est le vice-président de l’association des Somalilandais de France qui va m’accompagner à plusieurs reprises pour me faciliter le séjour. L’avion qui arrivait d’Addis-Abeba était plein car une partie des 76 observateurs est arrivée en même temps. Parmi eux des européens, des britanniques principalement, dont le séjour a été financé par le gouvernement du Royaume Uni. La ville n’a pas trop changé depuis 2002 mais j’ai noté que de nouveaux immeubles ont surgi. Sur les hauteurs des quartiers résidentiels se forment car des Somalilandais de l’étranger construisent des villas afin de s’installer pour des séjours limités et pour un retour définitif dans le futur. La ville est animée. Les magasins et les souks sont bien achalandés et la circulation est intense. Les encombrements sont parfois aggravés par des caravanes de véhicules ornés d’affiches électorales et équipés de haut-parleurs qui déversent des chansons. Dans des bus des jeunes, garçons et filles, accompagnent le rythme en battant des mains. Pour éviter les incidents et surtout pour limiter les embouteillages provoqués par ces caravanes, chaque parti s’est vu assigner un jour de la semaine pour faire tourner sa caravane dans la ville. Avec trois partis seulement, ça correspond bien au rythme hebdomadaire, deux jours chacun et un jour pour le repos.
Ce qui me frappe c’est le calme de la population. Je peux me déplacer sans être abordé et lorsqu’il m’arrive d’être accosté, c’est toujours très gentiment. La question qui revient le plus : « Pensez-vous qu’après ces élections le Somaliland sera reconnu ? ». Les habitants ne comprennent pas pourquoi on maintient leur pays en dehors de la communauté internationale. N’ont-ils pas réalisé ce qu’on demande aux pays en voie de développement ? Le Somaliland a pacifié son territoire et réussi à construire des institutions acceptées par sa population. Il s’est autodéterminé et a réparé une grande partie des dommages causés par le gouvernement de Mogadoscio. Et tout ceci a été accompli sans aide extérieure significative, à tel point que ce pays peut se vanter d’être le seul pays africain à ne pas avoir de dettes puisqu’il ne peut bénéficier des fonds distribués par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et d’autres organismes.
Si les Somalilandais sont frustrés de cette mise à l’écart, ils ne baissent pas les bras pour autant. Ce sont des gens entreprenants qui aiment le commerce. A Hargeisa la sécurité est totale. Les policiers qui règlent la circulation ne sont pas armés. On voit des changeurs de devises installés dans la rue. A côté d’eux des liasses de shillings tenus par des élastiques. Calculette en main, ils échangent vos dollars, vos euros ou vos birrs éthiopiens. Le commerce avec l’Ethiopie est actif. Le pays importe des fruits et des légumes éthiopiens mais malheureusement une grande partie des dollars envoyés par la diaspora servent aussi à importer du khat d’Ethiopie. C’est autant d’argent qui ne profite pas à l’économie, ni à la santé des « brouteurs ». Les commerçants de Hargeisa ou de Berbera réexportent vers l’Ethiopie des marchandises, produits textiles et électroniques, arrivés par Djibouti et par Berbera. Le Somaliland et l’Ethiopie ont signé en juin dernier un accord qui permet à ce dernier pays d’utiliser le port de Berbera. La route qui relie cette ville à l’Ethiopie passe par Hargeisa et elle a été réparée grâce à une aide financière de l’Union européenne. Les Ethiopiens projettent de construire des entrepôts à Togochale, bourg frontalier à 768 Kms d’Addis-Abeba. La compagnie maritime nationale éthiopienne dessert désormais le port somalilandais. Le 15 novembre dernier un premier chargement de matériel électrique est arrivé à Berbera. Trois autres navires étaient annoncés avant la fin du mois. En octobre un hebdomadaire économique éthiopien annonçait que le cheikh al-Amoudi, principal investisseur en Ethiopie, pourrait participer au développement des installations portuaires.
Le Somaliland est un pays pauvre dont les ressources principales viennent de l’élevage de chameaux, de chèvres et de moutons. En me rendant à Borama, ville située à deux heures de route à l’ouest d’Hargeisa, j’ai constaté que l’agriculture n’est pas absente dans ce pays d’éleveurs nomades. Des expatriés sont revenus et ont investi dans la culture de légumes pour approvisionner la capitale. On cultive aussi du sorgho et du maïs, mais la production locale n’est pas suffisante et le pays doit compléter son approvisionnement par des importations de riz et de pâtes.
Comme l’Etat dispose d’un budget modeste, ce sont des investisseurs privés qui, par exemple, ont crée des services dans les télécommunications. Il y a deux sociétés concurrentes et comme leurs réseaux ne sont pas interconnectés, on trouve deux téléphones dans les boutiques et dans les hôtels. Le téléphone mobile s’est développé et on trouve à Hargeisa des cyberboutiques très bien équipées. Autre exemple de l’esprit d’entreprise au Somaliland : l’université privée de Borama qui est due à l’action d’intellectuels et d’anciens. Créée il y a huit ans, elle compte à présent 600 étudiants et 50 enseignants répartis dans quatre facultés : Education, Administration publique et privée, Médecine, Agriculture. Il y a cinq ans une université publique a aussi été inaugurée à Hargeisa et un troisième pôle universitaire a démarré dans l’est du pays, à Burao. Le nombre d’étudiants diplômés est encore modeste. Après la désintégration de l’ancienne République de Somalie, tout ou presque était à reconstruire. Il y a dix ans il y avait moins de 10.000 enfants en primaire dans 159 écoles. En 2003 le nombre d’enfants scolarisés avait atteint 96.000 dont un tiers de filles dans 354 écoles. Dans le secondaire on est passé de 3 établissements en 1996 avec 330 élèves à 24 écoles et près de 10.000 élèves en 2003. Et depuis de nouveaux progrès ont été faits. Les langues officielles sont le somali et l’arabe. L’anglais est très répandu. Mais j’ai pu constater qu’il y a un noyau de francophones à Hargeisa. Certains comptent parmi les commerçants et hommes d’affaires importants. Cette présence de la langue française est liée aux échanges avec Djibouti. De part et d’autre de la frontière des liens familiaux existent et la guerre civile avait poussé certains commerçants somalilandais à s’installer dans le pays voisin en attendant le retour de la paix.
Depuis plus de dix ans le pays est en paix. Il dispose d’institutions approuvées par le peuple mais comme d’autres compatriotes, la ministre des affaires étrangères, Mme. Edna Adan, ne peut voyager à l’étranger que parce qu’elle dispose d’un passeport étranger, djiboutien en l’occurrence. Des signes d’espoir sont apparus cette année pour le Somaliland. En juin une mission d’évaluation de l’Union africaine est venue pour la première fois à Hargeisa. On attend que l’Union prenne position sur le rapport de la mission. A l’occasion des récentes élections, le représentant de la Ligue arabe à Addis-Abeba est venu lui aussi et a constaté l’atmosphère paisible qui régnait dans le pays. Enfin le 1er novembre dernier, le président Dahir Rayale accueillait pour la première fois le représentant spécial de l’ONU pour la Somalie, basé à Nairobi, François Fall qui a été nommé à ce poste en mai dernier. Ce dernier a déclaré que « le peuple du Somaliland doit être félicité pour les progrès qu’il a accompli pour assurer la sécurité et établir une démocratie