Rwanda. Le français, un luxe inutile

Publié le par Un monde formidable

Le français, un luxe inutile au Rwanda    par Fanny Coste (.14/08/10)

La réélection de Paul Kagame est un dur coup pour la pratique du français au Rwanda qui, sous sa gouverne, a prestement été reléguée au passé. Sans un sérieux appui des États francophones du Nord, la langue de Molière est vraisemblablement vouée à disparaître au pays des mille collines.

Le français est passé de mode au Rwanda. Dans la capitale comme en province, fini le «bonjour», on préfère le «hello» à tout va. La campagne de Paul Kagame, largement réélu président le 9 août dernier avec 93 % des voix, n'a laissé planer aucun doute sur sa volonté de donner peau neuve au Rwanda. Il faut faire table rase du passé, y compris de la langue amenée par les colons belges, le français.   Rien d'explicite, bien entendu. Un fait avéré plutôt, comme l'usage des seuls kinyarawanda et anglais pour répondre aux questions des journalistes, ainsi que l'ensemble des communiqués de presse rédigés dans la langue de Shakespeare.  Le remplacement du français par l'anglais avait d'ailleurs été annoncé sans détour le 10 octobre 2008. «L'enseignement primaire, secondaire et universitaire sera exclusivement dispensé en anglais au Rwanda à partir de 2010», déclarait Daphrose Gahakwa, ministre de l'Éducation nationale.

À l'époque, c'est vrai, les relations franco-rwandaises étaient suspendues depuis deux ans en raison des implications inavouées de la France dans le génocide de 1994. On aurait donc pu croire que le rétablissement de leurs liens, en début d'année, pouvait changer la donne.  Il n'en est rien. Et le Rwanda n'a pas attendu la rentrée 2010 pour faire toute sa place à l'anglais. Dans les administrations, pour les relations publiques, le tourisme, et même dans les écoles, le français a été banni sans transition.   La vengeance à l'égard de l'ancien colon belge et du «traître» français ne saurait expliquer à elle seule la brutalité du changement. «Le français est devenu une langue locale comme le kinyarwanda, estime Aloys Gakwaya, chauffeur rwandais. Aujourd'hui, pour faire des affaires ou communiquer avec le monde, l'anglais est obligatoire. C'est l'avenir.» Car Paul Kagame a de grandes ambitions pour son pays. Il veut transformer le Rwanda en Singapour de l'Afrique, voilà sa priorité!  Dans cette optique, il a d'abord resserré ses liens avec les États anglophones, entrant dans la communauté est-africaine en 2006 et dans le Commonwealth fin 2009. Le rapprochement avec les États-Unis et le Canada en était la suite logique. Pragmatique, il dit rechercher les contrats commerciaux et investissements nécessaires au développement du Rwanda.

Pourtant, pour tenir la place du petit pays leader, le Rwanda aspire aussi à être un lien privilégié entre ses voisins, anglophones à l'est, francophones à l'ouest. Le bilinguisme semblait donc être la solution.  «Nous avons un lien historique avec le français, c'est vrai. Mais ce n'est pas rentable. On opterait bien pour une éducation bilingue, mais le Rwanda ne peut se payer le luxe de faire évoluer les deux langues parallèlement», soulignait Stanislas Kamanzi, ministre de l'Environnement, lors de la campagne présidentielle.

Ce changement éclair n'a pas été sans causer des bouleversements au Rwanda. Dans l'enseignement surtout. «Du jour au lendemain, on nous a dit qu'il fallait donner les cours en anglais. Mais nous n'avons jamais reçu de formation. On fait donc comme on peut. En plus, nos livres viennent de l'Ouganda et les références ne sont pas les mêmes. Les élèves se demandent, par exemple, ce que viennent faire les shillings dans les problèmes de math, alors que notre monnaie est le franc rwandais!», s'indigne Tatiana, professeure de mathématiques à Nyakabanda.  La tâche est tout aussi ardue pour les élèves du secondaire ou les étudiants n'ayant appris que le français jusqu'ici.  «Depuis l'année dernière, tous mes cours sont donnés en anglais. C'est très dur pour moi. J'ai dû apprendre sur le tas. J'ai bien peur que nos diplômes ne vaillent pas grand-chose pendant un certain temps», déplore Jean-Pierre Uwimana, étudiant en gestion dans une université de Kigali.

Pour justifier le passage du français à l'anglais, en 2008, Paul Kagame avait affirmé donner «la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays».  Le chaos décrit par le corps enseignant et par quelques citoyens mécontents ne présage rien de bon cependant. D'autant que les professeurs de français sont aujourd'hui au chômage, ou réduits à donner quelques heures de cours par semaine.  Mais Kagame, qui a affirmé le jour du vote que le développement des écoles et l'augmentation des salaires des professeurs faisaient partie de ses priorités pour les sept ans à venir, ne semble pas voir de problème. La technique du passage en force perdure.

Ces désordres ne sauraient sauver ce qu'il reste de français au Rwanda. Sans argent pour maintenir son apprentissage aux plus jeunes, il deviendra une langue parlée par les anciens d'abord, puis un lointain souvenir. Car il n'a jamais été pratiqué par plus de 20 % de la population. Dans un pays rural à 80 %, les enfants des collines n'ont pas toujours eu accès à l'école, ou l'ont abandonnée après le primaire pour aller travailler.  Aujourd'hui, il ne resterait que 12 à 13 % de francophones, contre 5 % pour l'anglais alors que le Rwanda ne comptait que 2 % d'anglophones il y a quatre ans. Un constat qui irrite le nouvel ambassadeur de France au Rwanda, Laurent Contini: «La meilleure solution, c'est le bilinguisme. Mais ils n'ont évidemment pas les moyens. Donc, il faut qu'on le fasse nous, la France et la francophonie. Or nous n'avons aucun moyen ici. Pas un rond! On ne peut pas râler sur le fait que le français va disparaître et ne rien faire. Où est la logique de cette attitude? C'est très dommage. On est face à un vrai défi et plus les mois passent, plus c'est dangereux. La conjoncture en France, c'est vrai, est mauvaise. Mais ça me déçoit beaucoup. Je m'attendais à un minimum.»

Publié dans Afrique centrale

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article