RDC. Kivu : Quand le viol devient arme de guerre

Publié le par Un monde formidable

Kivu : Quand le viol devient arme de guerrepar Émilie Sueur (L’Orient Le Jour-3 oct 2008)

Dans cette province de l’est de la République démocratique du Congo, les femmes, les jeunes – voire très jeunes – filles et même les grands-mères sont la cible des soldats et miliciens armés.

Un phénomène d’une ampleur tragique.

Aussi loin que remonte l’histoire de l’humanité, le viol a été pratiqué, notamment dans les contextes de guerre. Avec le conflit en Bosnie-Herzégovine, en 1992, l’utilisation du viol a pris une autre dimension, puisqu’il s’inscrivait dans une véritable stratégie de guerre visant à détruire les fondements d’une société. Cette stratégie avait suscité l’indignation de la communauté internationale. Une indignation qui n’a toutefois pas suffi à prévenir une répétition de ce scénario. Depuis des années, le viol est une arme de guerre, une arme de destruction massive au Kivu, région orientale de la République démocratique du Congo, où s’affrontent des groupes rebelles et les forces gouvernementales. Au Kivu, tout le monde viole, rebelles ou militaires. Les victimes sont des femmes, mais également des petites filles, des bébés et des grands-mères.

« Les viols massifs ont commencé à apparaître avec la guerre de 1996. Puis, en 1998, le phénomène a gagné en puissance », explique à L’Orient-Le Jour Mathilde Muhindo, directrice du centre Olame établi à Bukavu, capitale du Sud-Kivu, qui vient en aide aux victimes. Les chiffres donnent le vertige. Selon l’ONU et des ONG, 100 000 femmes ont été violées en 2004-2005 dans les provinces de l’Est de la RDC. En 2006, près de 28 000 cas de viols ont été enregistrés, selon l’ONU, pour le seul Nord-Kivu. Le nombre réel de viols devant être supérieur car de nombreuses agressions ne sont pas rapportées. 37 % des 10 381 personnes ayant survécu à des sévices sexuels dans le Kivu, entre octobre 2006 et juillet 2007, sont des enfants. Selon l’IRC (International Rescue Committee), plus de 2 200 cas de viols ont été enregistrés pour le seul mois de juin 2008 au Nord-Kivu. 73 viols chaque jour.

Anéantir une communauté

Mathilde Muhindo, qui vient de recevoir le prix Human Rights Watch pour son action, explique cet « acharnement » contre les femmes congolaises par une volonté « d’anéantir un peuple, une communauté ». « S’attaquer à une femme ou à une jeune fille revient à couper un arbre à sa racine », souligne la militante congolaise. Durant les 32 ans de la dictature Mobutu puis les différentes guerres, les Congolaises ont développé des mécanismes d’autoprise en charge. Dans ces contextes de crise, « la femme congolaise permet à la famille de survivre », affirme Mathilde Muhindo. Or, le viol massif des femmes a des conséquences graves à l’échelle de la société. « Toute une société est humiliée et traumatisée. Après des viols, les gens fuient, explique l’activiste congolaise. Les jeunes filles sont déscolarisées car on a peur qu’elles se fassent agresser sur le chemin de l’école. Les familles se disloquent. Les femmes développent des réflexes de peur, elles ne vont plus travailler. Toute l’économie familiale est altérée, ce qui peut entraîner des situations de famine. » Par ailleurs, les viols massifs entraînent la propagation de maladies infectieuses, dont le sida. On diagnostique également souvent les victimes avec des fistules. Certaines sont trop meurtries pour pouvoir tomber enceintes, alors que d’autres doivent gérer une grossesse post-viol. « On tue à petit feu », estime Mme Muhindo. Les femmes violées sont en outre trop souvent rejetées par leur famille, les jeunes filles ont du mal à se marier.

« Ici, le viol ne s’inscrit pas dans une quête de plaisir sexuel, il vise l’extermination », insiste Mathilde Muhindo. Au Kivu, le viol est brutal. Il est courant que l’agresseur mutile sa victime, en lui tirant dans les organes génitaux, ou en y introduisant couteau, bâton ou autre. La bestialité des agressions est telle que les hôpitaux de Goma, la capitale du Nord-Kivu, ont dû s’adapter. Africa, un petit hôpital privé de Goma, a ouvert un service spécialisé de chirurgie reconstructive pour les victimes de viols. En 2006, 250 femmes y ont été opérées.

Mettre fin à l’impunité

Face à ce drame, le centre Olame fournit aux victimes une aide psychologique et pratique. Mais il va aussi plus loin, en lançant des campagnes de sensibilisation. « Il faut absolument casser le mur du silence », explique Mathilde Muhindo, qui se félicite que quelques filles aient trouvé le courage de raconter leur calvaire. Récemment, le centre est passé à une nouvelle étape : la sensibilisation des communautés, et surtout, des violeurs potentiels. « Nous travaillons en aval et en amont », souligne l’activiste qui appelle à « la fin à l’impunité ».

« Le problème, c’est que la guerre continue au Kivu, et il reste beaucoup à faire pour mettre en place un appareil judiciaire digne de ce nom », explique cette ancienne députée. Il y a quelques années, à force de pressions, une loi a été votée au Parlement pour la répression des viols. « La loi a été votée, mais son application est toujours difficile », souligne Mme Muhindo qui cite le cas d’une fillette de 8 ans, violée, qui a décidé de porter plainte. Son agresseur a été reconnu coupable, mais au moment de l’arrêter, il avait disparu. En outre, certains violeurs appartiennent à l’appareil politico-militaire. « Il est très difficile de les atteindre et les victimes ne sont pas protégées dans leur quête de justice. » Mathilde Muhindo en sait quelque chose, puisque elle-même a été menacée de mort.

Le centre Olame existe depuis 1959. À l’époque, il se concentrait sur l’accès des femmes aux droits politiques, à l’éducation, à l’héritage... « Aujourd’hui, nous sommes contraints de défendre leur droit à la vie. C’est un terrible retour en arrière », regrette Mathilde Munhindo. « Il y a 50 ans, en raison du manque d’information, on aurait pu, à la rigueur, être excusable. Aujourd’hui, avec l’accès à l’information et l’évolution du droit, nous sommes condamnables si nous laissons ce drame se poursuivre », conclut-elle.

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