Razzia sur les terres cultivables

Publié le par unmondeformidable

Razzia sur les terres cultivables par Paul Redfern. (Daily Nation. Kenya). 

Encouragées par les Etats riches, qui veulent sécuriser leur approvisionnement alimentaire, des multinationales mettent la main sur des millions d’hectares, au détriment des petits fermiers et des producteurs locaux

Selon l’Organisation des Na­tions unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les pays riches achèteraient d’immenses terrains dans toute l’Afri­ que subsaharienne afin d’y créer des exploitations agricoles destinées soit à l’alimentation, soit à la production d’agrocarburants. Au dire de Jacques Diouf, directeur général de la FAO, un certain nombre d’Etats et d’entreprises occidentaux mettraient la main sur des millions d’hectares de terres agricoles dans les pays en développement, leur but étant d’assurer leur approvisionnement alimentaire à long terme. M. Diouf fait valoir que la multiplication de ces transactions pourrait entraîner une forme de néocolonialisme, des Etats pauvres produisant de la nourriture pour les pays riches aux dépens de leur propre population affamée.

Le quotidien britannique The Guardian affirme que la flambée des prix alimentaires à l’échelle mondiale a déjà déclenché une deuxième “ruée vers l’Afrique”. Mi-novembre, Daewoo Logistics a annoncé un projet d’achat d’une concession de 1 million d’hectares à Madagascar pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. La société sud-coréenne veut y cultiver 5 millions de tonnes de maïs par an d’ici à 2023 et produire de l’huile de palme à partir d’une autre concession de 120 000 hectares, en faisant appel à une main-d’œuvre principalement sud-africaine. La production serait destinée avant tout à la Corée du Sud.

“Sur un certain plan, ce ne sont que des projets commerciaux, mais ils sont souvent soutenus par un Etat, car ils obéissent à des impératifs de sécurité alimentaire”, confirme Carl Atkin, con­sultant chez Bidwells Agribusiness, une société de Cambridge qui a con­tribué à négocier plusieurs contrats internationaux d’achat de terres. Les autorités malgaches ont déclaré qu’elles ne donneraient leur feu vert à l’accord avec Daewoo qu’après la réalisation d’une étude d’impact environnemental, mais elles se félicitent de cet investissement. Jusqu’à présent, cette gigantesque concession est le plus important d’une série d’accords fonciers conclus depuis la hausse des prix alimentaires, qui a débuté à la fin de 2007.

“En matière de ventes de terres arables, il s’agit d’une opération sans précédent, assure Carl Atkin. Nous sommes habitués à des transactions portant sur 100 000 hectares. Cette fois, c’est dix fois plus.” En juin 2008, lors du sommet sur la sécurité alimentaire, il avait été décidé d’accroître les investissements et l’aide au développement en faveur des agriculteurs africains, afin que ceux-ci puissent réagir à la hausse des prix en produisant davantage. Mais les gouvernements et les entreprises de certains pays qui disposent de liquidités mais manquent de terres agricoles ont pris le parti de ne pas attendre la réaction des marchés mondiaux. Ils essaient de garantir à long terme leur propre accès à la nourriture, en achetant des terres dans les pays pauvres.

Pour l’heure, ces achats sont gé­néralement bien accueillis par les pays en développement. Ainsi, dans un con­texte de récession, le ministre de la Réforme foncière malgache a assuré que le produit de ces ventes irait aux infrastructures et au développement dans les zones exposées aux inondations. Le Soudan cherche également à attirer des investisseurs pour quel­que 900 000 hectares de terres, et le Premier ministre d’Ethiopie, Meles Zenawi, a courtisé les investisseurs saoudiens. D’immenses surfaces en Tanzanie ont également éveillé l’intérêt de sociétés occidentales qui s’intéressent à la production d’agrocarburants. “S’il s’agissait d’une négociation entre partenaires égaux, cela pourrait être une bonne chose”, commente Duncan Green, directeur de recherches chez Oxfam. “Mais le problème est que, dans cette ruée vers les terres, aucune place n’est accordée aux petits exploitants.”

Alex Evans, du Centre de coopération internationale à l’université de New York, estime pour sa part que “les petits agriculteurs sont déjà perdants : les gens qui n’ont pas de titre de propriété en bonne et due forme vont sans doute être chassés”. Les détails des accords fonciers sont généralement tenus secrets, si bien qu’on ne sait pas s’ils prévoient des garanties pour les populations locales.

“Il n’y a guère d’économies d’échelle dans l’agriculture au-dessus du niveau de l’exploitation familiale”, explique Steve Wiggins, expert britannique en développement rural à l’Overseas Development Institute, “car la gestion de la main-d’œuvre est extrêmement difficile.” Les investisseurs pourraient aussi devoir faire face à une vague d’hostilité. “Si j’étais conseiller en risque politique auprès des investisseurs, poursuit-il, je leur dirais qu’ils ont intérêt à se méfier. Car la terre est une question très sensible. Cela peut très mal tourner. Il faut tirer les leçons de l’Histoire.”


 


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