Où il est question de " solder l’impôt de la couleur et (...) en finir avec la négritude"

Publié le par Un monde formidable

"La vérité est qu’il n’y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère. [...] L’Homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Ernest Renan (Sorbonne 11 mars 1882) 

"Noir, de Toussaint Louverture à Barack Obama" par Alain Foix* , Ed. Galaade. (Source Galaade Editions) 

« Mais force est de constater que sous le couvert de la langue, les noirs seraient les seuls êtres au monde à habiter une couleur de peau, exclusivement. Si habiter une langue c’est s’inscrire et s’identifier dans un paysage de sens, de significations et de valeurs qui vous construisent de l’intérieur, quel sens cela a-t-il d’habiter une couleur de peau ? » (Alain Foix). 

Au moment où les questions d’identité et d’intégration hantent les sociétés occidentales, l’image du noir en mouvement, en dépassement des représentations qui jusque-là l’enfermaient, prend le pas sur les prisons passées. 
Dans ce court essai, Alain Foix convoque les figures historiques ou mythiques de Toussaint Louverture, Martin Luther King, Nelson Mandela ou Othello pour nous rappeler quels grands combats ont façonné le présent, et nous montrer le chemin qui reste à parcourir.
 Véritable écrit politique, Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama propose une déconstruction originale de la langue et des représentations qu’elle implique, et montre qu’une libération culturelle, sociale et économique passera par un travail de transmission du savoir historique. . 

 

Le journaliste Christian Eboulé a lu “Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama”. (Source : Le crédit à voyager. )

Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama est paru aux éditions GALAADE, une petite maison d’édition parisienne très dynamique, qui a notamment publié L’intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama ; ouvrage lumineux signé Edourd Glissant et Patrick Chamoiseau. Eh bien Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama s’inscrit dans cette lignée. L’auteur, Alain Foix, est écrivain, philosophe et dramaturge. Il y a deux ans il a notamment publié Histoires de l’esclavage racontées à Marianne.

Dans cet essai, c’est d’abord le titre qui interpelle : Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama. Outre le subtil jeu de mots contenu dans ce titre, c’est aussi à un long voyage que nous invite l’auteur. Un voyage dans le temps et dans l’espace, qui nous amène de Toussaint Louverture à Barack Obama, en passant par Martin Luther King ou encore Nelson Mandela. L’ouvrage est divisé en quatre chapitres parfaitement articulés, mais qui peuvent aussi se suffire à eux-mêmes.

Dans le premier chapitre intitulé « Noir avec ou sans majuscule ? », Alain Foix s’interroge sur la raison pour laquelle une convention presque unanimement admise veut qu’on qualifie de noir, tout individu dont « la peau révèle un certain taux de mélanine indépendamment de son individualité, de son histoire, de son origine, de sa société ou de sa nation ». Pourquoi donc la persistance de cette désignation alors même que les termes infamants de « jaunes » et « rouges » qui renvoyaient respectivement aux hommes originaires d’Asie et aux Amérindiens ont été abandonnés ? 

A travers l’histoire d’un Antillais et d’un Afro-américain, Alain Foix démontre notamment que le nègre est le produit de la domination du Blanc. Il montre également qu’alors que la Martinique est française depuis 1635, la France se vit d’abord comme blanche et « considère qu’on n’est Français « de couleur » que par accident. Mais surtout, il essaye de nous débarrasser de cette camisole de force que constitue la couleur de la peau, et de dynamiter quelques-uns des mythes les plus aliénants comme la fierté noire, ou encore des évidences imbéciles comme ce qu’on appelle en France « les minorités visibles ». D’ailleurs, l’auteur se demande pourquoi le noir serait plus visible que le blanc, le roux, ou le brun ; quels sont les critères de la visibilité et qu’est-ce qu’on voit exactement ? 

A juste titre, Alain Foix rappelle dans le troisième chapitre de son essai que la visibilité liée à la couleur de la peau tend d’abord à stigmatiser certaines catégories de population. Il appelle donc « à solder l’impôt de la couleur et à en finir avec la négritude ». Pour Alain Foix, le Noir paie encore aujourd’hui l’impôt de la couleur. Autrement dit, il subit encore au mieux une dévalorisation de sa qualité d’homme, et au pire une négation pure et simple de cette humanité.

Pour l’auteur, les Noirs sont une composante du genre humain et leurs cultures, aussi singulières soient-elles, s’inscrivent dans un ordre universel. C’est pourquoi il dénonce tous les effets pervers du concept de négritude.

Il affirme ainsi que la Négritude « comme concept de combat, loin de libérer le Noir dans un dépassement qualitatif d’une image de soi imposée par l’autre, l’enferme dans le noir plaisir autosatisfait de son paraître noir ».  Car pour l’auteur, « s’affirmer Noir c’est en fait intégrer le regard de l’autre en soi, se désigner par la main de l’autre ».

Pourtant, la véritable question selon lui n’est pas simplement « qui est Noir ? », mais plutôt « qu’est-ce qu’être Noir ? ». Il nous invite donc très clairement à « dépasser la condition noire, comme la négritude qui est l’une de ses expressions militantes ». Et c’est ce qu’ont réussi à réaliser Toussaint Louverture, Nelson Mandela et Barack Obama.

Pour Toussaint Louverture, qui refusa toute vengeance des anciens esclaves haïtiens sur leurs anciens maîtres blancs, ce dépassement fut formalisé dans la proclamation du Cap Français en 1801. Pour Nelson Mandela, ce fut évidemment la création de la nation arc-en-ciel, dont l’un des symboles fut la fameuse commission vérité et réconciliation. Et enfin pour Barack Obama, ce fut évidemment le fameux discours de Philadelphie du 18 mars 2008. 

*Écrivain, philosophe, réalisateur et directeur artistique, Alain Foix, né en Guadeloupe,  est aussi dramaturge. Lauréat du Concours d’écriture théâtrale francophone de la Caraïbe en 2004, deux de ses pièces de théâtre, Pas de prison pour le vent (Éditions Jasor, 2006) et Rue Saint-Denis, ont été mises en scène à plusieurs reprises aux Caraïbes, à Paris et à Avignon.
 . Il a dirigé la Scène nationale de la Guadeloupe, le théâtre Le Prisme à Saint-Quentin-en-Yvelines, La Muse en circuit, centre de création musicale, et dirige actuellement Quai des arts. Il a été lauréat du Grand Prix Beaumarchais de l’écriture théâtrale de la Caraïbe en 2004.  Alain Foix a également publié chez Gallimard Ta mémoire, petit monde (2005), Je danse donc je suis (2007), Histoires de l’esclavage racontées à Marianne (2007) et Toussaint Louverture (2007). 
  Au théâtre, deux de ses pièces sont actuellement à l’affiche :
Pas de prison pour le vent, créée en 2006 par Antoine Bourseiller (scènes nationales de la Martinique et de la Guadeloupe), reprise en 2007 au théâtre du Lucernaire à Paris, puis au festival d’Avignon en juillet 2009 (théâtre du Petit Louvre).
Le ciel est vide, créée en 2008 par Bernard Bloch à Montreuil et reprise au cours de la saison 2009-2010 à Mulhouse, Strasbourg et Montpellier.

 

Publié dans Discriminations

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