Niger : les tontines de la réussite_2008-12-23
Niger : les tontines de la réussite par Souleymane Saddi Maazou. (Syfia Niger - 23-12-2008)
Dans les grandes villes du Niger, pour faire face ensemble aux difficultés économiques, les femmes ont modernisé les foyandi, sorte de tontines d'entraide. Certaines ouvrent des boutiques, créent de petites unités de fabrication de jus de fruits, deviennent vendeuses de pagnes ou de chaussures. Une émancipation économique pas toujours bien perçue par les hommes…
Des femmes arrivent les unes après les autres dans la maison d'Hadiza, à Niamey, la capitale nigérienne. En cette fin de matinée de décembre, c'est elle qui reçoit aujourd'hui le foyandi. Dans la cour, où flotte l'odeur appétissante de la sauce arachide, on s’échange les nouvelles du quartier. Après le déjeuner, Habsatou, la caissière, collecte la cotisation mensuelle (10 000 Fcfa – 15 €) de chacune des 30 membres. C'est au tour d'Hadiza d'encaisser les 300 000 Fcfa (460 €) de la tontine. Sourire aux lèvres, elle annonce : "Je vais pouvoir acheter un réfrigérateur pour vendre des jus de fruits." Avant de se quitter, les femmes procèdent à un tirage au sort entre celles qui n’ont jamais reçu l’argent afin de désigner l'heureuse élue du mois suivant.
Dans les grandes villes du Niger, les clubs de ce genre se comptent par centaines. Leur origine remonte à l'indépendance, en 1960, explique une pionnière, Aichatou Moussa, 72 ans. À l'époque, les promotrices, des femmes fonctionnaires, se retrouvaient avec leurs sœurs ménagères pour faciliter leurs échanges. "Seules les femmes mariées étaient acceptées et la tontine était en nature. Chaque membre apportait un morceau de savon", se souvient-elle. "Nous nous réunissions uniquement à l'occasion des mariages ou des baptêmes pour partager nos joies et nous entraider dans le travail. Nos maris nous encourageaient", précise Habsou Boubacar, 74 ans, ancienne chef de club.
Les années ont passé et ces cercles de femmes ont évolué. De l’avis du sociologue Djaharou Moussa, leur transformation est le fruit de la démocratie instaurée dans le pays en 1990. "Nous nous sommes structurées pour que toutes puissent adhérer. Les cotisations mensuelles varient de 5 000 à 60 000 Fcfa (7 à 90 €). Les femmes choisissent leur club en fonction de leurs revenus", résume une enseignante, membre d'un foyandi où la cotisation est de 50 000 Fcfa (75 €) par mois "Je souhaite ouvrir une boutique de fournitures scolaires", poursuit la jeune femme qui recevra bientôt, à son tour 500 000 Fcfa (750 €), comme son amie, qui gère avec succès un commerce de location de chaises.
En raison du versement irrégulier des salaires et de l’instabilité politique à la fin des années 1990, fonctionnaires, ménagères, commerçantes, femmes mariées et jeunes filles ont pris l'habitude de participer à ces clubs sans distinction d’âge. Certaines se regroupent par profession. "Aujourd’hui, c’est une stratégie de lutte contre la pauvreté", analyse Hadjia Fati, membre de l’Association des femmes du Niger. "L’argent encaissé est en grande partie utilisé dans l’ameublement de la maison. D’autres l’investissent dans l'élevage de gros ruminants ou le petit commerce", précise-t-elle. Ces apports ont permis à bon nombre de femmes d'ouvrir des boutiques, de devenir vendeuses de pagnes ou de chaussures, patronnes de petites unités de fabrication, de jus de fruits, par exemple… "Grâce au foyandi, j’ai un restaurant et je prends en charge la scolarité de mes deux enfants qui sont au collège", se réjouit, pour sa part, Nana Fatchima, 39 ans.
Une émancipation en général assez mal perçue par les hommes… "La plupart d'entre eux sont contre l’indépendance économique des femmes", observe l'une d'elles en écho à diverses accusations masculines. "Le montant élevé de la cotisation rend les femmes très avides d’argent", assure ainsi un électricien dont la femme dirige un foyandi. "Pour cotiser, les jeunes filles ont recours à plusieurs pourvoyeurs de fonds", déplore un étudiant, abandonné par sa dulcinée, car il était incapable de payer. "Certaines sont membres de plusieurs groupes ce qui les oblige à cotiser plusieurs fois et à abandonner leurs foyers plusieurs week-ends de suite", regrette, enfin, un fonctionnaire à la retraite. Des excès que reconnaît Djamila Boubacar, ménagère, elle-même membre de deux clubs : "Le mari est tout le temps sollicité pour endosser les charges induites par le foyandi. Cela est le plus souvent source de problèmes." Malgré certaines dérives, beaucoup d'hommes voient dans ces groupes un cadre de solidarité dans une société de plus en plus dominée par l’individualisme. "Le partage des joies et des peines renforce la sociabilité, se félicite El hadji Zakari. Collectivement, les femmes peuvent combattre la pauvreté."