Mali. A quoi sert l’argent des migrants ?

Publié le par Un monde formidable

A quoi sert l’argent des migrants ?par Olivier Vilain (Afriscope.09/09/2010)

Aminata Traoré parcourt le monde. Depuis une quinzaine d’années, l’ancienne ministre de la Culture du Mali est l’une des plus actives militantes alter mondialistes. Du Nord au Sud et d’Ouest en Est, elle n’a de cesse de dénoncer les effets désastreux des politiques néolibérales en Afrique. Essayiste et coordonnatrice du Forum pour un autre Mali (Foram), elle prépare actuellement la rencontre « Migrances 2010 » qui aura pour thème : L’argent des migrants. combien ? comment ? pourquoi ? [1]

Selon la Banque africaine de développement (BAD), les transferts d’argent des « Maliens de l’extérieur » vers leur pays d’origine s’élevaient en 2005 à 456 millions d’euros, ce qui représentait 11% de la richesse du Mali. C’est une contribution énorme [2]. Quel rôle l’argent des émigrés joue-t-il au Mali ?

Dans l’état actuel du Mali et d’une manière générale de l’Afrique dans la mondialisation néolibérale, l’argent des migrants est vital pour l’État mais surtout pour de nombreuses familles touchées de plein fouet par les conséquences désastreuses des réformes économiques en cours. Cette problématique est d’une actualité brûlante : la gravité de la crise financière affecte les transferts de fonds des travailleurs émigrés puisqu’ils sont souvent les premiers à être licenciés. Dans ce contexte de crise systémique où les pays industrialisés licencient, durcissent leurs politiques migratoires et réduisent leur aide publique au développement, l’État malien tente de mieux « rentabiliser » l’argent des migrants.

Comment percevez-vous cet intérêt de l’État malien pour l’argent des migrants ?

L’État ne doit pas dénaturer le débat sur l’utilisation judicieuse de cet argent. La plupart des migrants qui ont quitté leur pays à partir de la décennie 1980 sont, à l’origine, de petits paysans, des éleveurs, des travailleurs « compressés », des diplômés sans emploi, des petits commerçants, des enseignants en quête d’une réponse au chômage, à la pauvreté ; mais aussi des professionnels de haut niveau en quête de salaires décents et d’une éducation de qualité pour leurs enfants. L’argent de ces femmes et de ces hommes de courage et de mérite a une fonction sacrée : celle de faire face aux besoins vitaux de leurs parents à qui ils estiment devoir venir en aide. L’utilisation de l’argent des victimes du néolibéralisme au Mali et en Afrique dans la consolidation de ce système, soulève un problème politique et éthique de fond : l’État qui ne répond pas à la demande sociale peut-il se permettre d’orienter l’argent difficilement gagné par les Maliens de l’extérieur dans un modèle économique défaillant ?

Craignez-vous un détournement de cet argent qui assure une fonction essentielle de solidarité familiale et communautaire ?

Ce risque est réel et grave de conséquences. La logique capitaliste méprise la solidarité familiale qui est au cœur de la plupart des projets migratoires, si je m’en tiens à l’émigration des populations de la région de Kayes, par exemple. Quelques soient les limites de cette solidarité, il me semblerait injuste de détourner cet argent qui sauve des vies humaines là où l’État brille souvent par son absence, en l’orientant vers une économie de marché qui est un véritable désastre sous nos cieux. La rentabilité financière d’investissements proposés est souvent un leurre. Nombreux sont les hommes d’affaires maliens, dont des anciens membres de la diaspora, qui ont fini par jeter l’éponge du fait de la corruption et du clientélisme, mais aussi et surtout de la dérégulation du marché qui ouvre le pays à toutes sortes de biens importés.

 Avant d’aller plus loin dans l’appel à l’argent des Maliens de l’extérieur, il importe de répondre à un certain nombre de questions : qui sont ces « Maliens de l’extérieur » ? Dans quelles conditions vivent-ils et travaillent-ils ? Dans quels secteurs ? Combien gagnent-ils ? Comment l’État et les véritables alliés du Mali peuvent-ils les accompagner afin que leurs communautés tirent un meilleur profit de leurs transferts de fonds ? Et comment repenser les notions de rentabilité et d’investissement dans la perspective d’une économie malienne et africaine profitable aux Africains d’abord et écologiquement durable ? Comment considérez-vous le rôle et l’impact de l’argent des émigrés en comparaison de celui reçu par les canaux de l’aide au développement ?

Il n’y a, de mon point de vue, aucune commune mesure entre l’aide publique au développement, dont l’immense majorité des Maliens ne profite guère, et l’argent des migrants. Des notables de la région de Kayes estiment que bien des localités auraient disparu sans l’argent des migrants. Je ne pense pas qu’on puisse en dire autant de l’aide publique au développement. En 2006, selon certaines sources, les fonds transférés par les Maliens de France étaient de l’ordre de 250 millions d’euros tandis que l’aide publique de la France variait entre 50 et 100 millions.

De plus en plus d’institutions internationales, telle la Banque Mondiale, s’intéressent aux transferts de fonds des migrants ? Qu’en pensez-vous ?

J’y vois une tentative de récupération de fonds qui échappent jusque là aux banques. Leur canalisation vers des objectifs de développement capitaliste fragilisera davantage les familles et les communautés qui en bénéficient jusqu’à présent. Je ne remets pas en question le principe de l’investissement quand il provient d’une diaspora consciente des enjeux et des pièges du capitalisme néolibéral. Dans le cadre d’une économie mondiale fondée sur le respect des droits des peuples à disposer et à jouir de leurs richesses, que j’appelle de mes vœux, cette diaspora consciente et engagée pourrait faire la différence. C’est de tout cela dont nous allons parler lors de Migrances 2010.

 

[1] Migrances est une rencontre annuelle sur l’émigration africaine vers l’Europe, organisée par le Forum pour un autre Mali. Migrances 201. Du 12 au 18 décembre à Bamako (Mali) Plus d’info : www.foram-forum-mali.org

[2] La même année, le Mali reçoit 576 millions d’euros par les différents bailleurs de l’aide publique au développement.

 

Publié dans Afrique de l'Ouest

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