Lybie. Et maintenant on fait quoi ? (1)
Et maintenant on fait quoi ? par Jean Claude Kongo (L’Observateur. Ouagadougou. 29 mars 2011)
Les insurgés libyens ne prendront pas Syrte avec la facilité qu’ils croyaient. Le colonel Kadhafi, comprenant toute la portée du symbole que représenterait la chute de sa propre ville natale, par ailleurs lieu de naissance de cette Union africaine si chère à son cœur, y a massé le gros de ses forces et de ses mercenaires, qui ont vite fait de stopper la progression des révolutionnaires qui se voyaient déjà maîtres de la ville. Et c’est bien la preuve que le Guide, même affaibli, est loin d’être vaincu. Et ce Kadhafi-là divise toujours. Il y a bien sûr ceux qui n’ont jamais été en faveur de l’intervention militaire initiée par les Occidentaux, et dont l’opinion est aux antipodes de celle de ceux qui croient que l’opération « Aube d’une odyssée » était la seule à même d’épargne Benghazi du bain de sang que lui réservait Kadhafi.
Il y a aussi cette Union africaine frustrée, presque humiliée pour avoir été tenue à l’écart de la décision des Occidentaux, qui frappent pourtant un Etat présent sur le continent africain. La Ligue arabe, fraternité de sang oblige, même si elle n’a jamais été un laudateur du colonel, peine à contenir son irritation face à la destruction programmée du pays de Kadhafi. Chinois et Russes, ne serait-ce que par principe d’antagonisme idéologique, ont, dès le départ, manifesté leur désaccord quant à l’expédition menée contre la Libye.
Qui plus est, même au sein des Occidentaux membres de la coalition, on ne perçoit pas les choses sous le même prisme : Allemands et Italiens, Européens pourtant, ne cachent pas leur méfiance quant à l’opportunité de l’intervention étrangère au pays de Kadhafi ; à l’intérieur du noyau dur qui pilonne l’armée de Kadhafi, tout le monde ne partage pas non plus le même avis : les Américains, qui redoutent de devoir supporter l’énormité des coûts d’une troisième ligne de front (à la suite de l’Irak et de l’Afghanistan), affirment avec force qu’il n’est pas question d’outrepasser le mandat de l’ONU pour chercher un quelconque renversement du colonel Kadhafi ; Français et Britanniques, eux, soutiennent que le Guide doit immédiatement s’en aller.
Et c’est dans ce contexte d’imbroglio politico-diplomatique que se tient, dans la capitale anglaise, la première rencontre d’un « groupe de contact » sur la Libye, avec pour objectif principal « le pilotage politique » de l’opération internationale peu de temps seulement après que le volet militaire a finalement été confié à l’OTAN. Nul doute que les délégations de la quarantaine de pays présents n’ont pas la même sensibilité au problème libyen. Plus, cela fait un peu panier à crabes, où se retrouvent pêle-mêle ceux qui tiennent à brandir le scalp du Guide au bout d’une pique, ceux au contraire qui veulent sauver sa tête, ceux qui pensent que le colonel en a suffisamment fait et ceux qui trouvent que la coalition, par les destructions opérées sur le territoire de Kadhafi, ne fait pas mieux que le Guide qu’elle ambitionne de chasser du pouvoir.
Autant dire que la rencontre de Londres, qui ambitionnait de préparer déjà l’après-Kadhafi, se révèle prétentieuse : primo, Kadhafi n’est pas encore parti et il ne l’entend certainement pas le faire.
Le coup d’arrêt qu’il a imprimé à la progression des insurgés en direction de Syrte est bien la preuve que le vieux Guide n’est pas fini ; secundo, on se demande comment le sommet de Londres, pour attendu qu’il soit, pourra accorder les violons et fédérer autant de divergences d’opinions pour en sortir une vision consensuelle. Le problème libyen est bien en ce moment une véritable patate chaude que personne ne tient vraiment à tenir longtemps entre les mains. Et plus le temps passe, plus elle risque de cramer. Malheureusement la solution idoine, on la cherche sans la trouver : de toute évidence, elle ne semble pas vraiment à portée de la main.
Ces rebelles qui attendent qu’on leur lave le ventre par Issa K. Barry (L’Observateur. Ouagadougou.31/03/11)
Il y a des gens difficiles à aider, comme on le dit familièrement dans les langues de chez nous. Voilà bientôt deux semaines que les forces occidentales coalisées pilonnent depuis les airs les positions de Mouammar Kadhafi, afin naturellement de donner du souffle et une longueur d’avance au rebelles
L’objectif, c’est de leur ouvrir un boulevard. Malgré tout, ces derniers perdent du terrain : la preuve, la ville de Syrte, dont ils étaient aux portes, n’a pas été prise. Si fait que, de plus en plus, l’éventualité d’une dotation en armes de ces opposants se profile à l’horizon. D’après certains journaux, la présence des éléments des services spéciaux français déjà sur place augurent une intervention terrestre. En effet, que faire si ces rebelles, qui ne valent apparemment pas grand-chose, n’arrivaient pas à renverser le guide ?
La seule option à même de déboulonner l’enfant terrible de Syrte, ce serait donc l’intervention terrestre. Ce dont ne veulent pas entendre parler la plupart des pays membres de la coalition, à commencer par les Etats- Unis, qui craignent certainement de tomber dans un énième bourbier.
Avouons-le tout de suite : l’attitude des pays parties prenantes à « Aube de l’odyssée » est tout même ambiguë : aider à faire tomber Kadhafi tout en jurant sur tous les toits que ce n’est pas à eux de lui faire quitter le pouvoir. Cela rappelle tout de même cette célèbre assertion africaine qui établit cette difficile équation : « Porte-moi sur le dos mais ne me touche pas ». Ils devraient courageusement être à la hauteur de leurs péchés en faisant peut-être le sale boulot si toutefois l’objectif de leur intervention est de faire basculer le pouvoir politique en place.
Peut-être que la nation leur en serait reconnaissante. Mais avec ces avis bien divergents, ce n’est pas évident que ce soit le cas. Et plus que l’issue de ce bras de fer entre les deux factions, l’intervention de troupes étrangères, notamment occidentales, en Libye pose une fois de plus le problème de la capacité des Africains à se prendre en charge. Pour beaucoup, ce sujet pourrait être considéré comme un débat d’arrière-garde, voire assez éculé. Néanmoins, la situation peut susciter l’interrogation suivante : est-ce à l’honneur des Africains qu’à chaque fois qu’ils ont des problèmes il faille appeler au secours l’Occident pour régler leurs affaires domestiques ?
Et pourtant, pour un rien, l’on est prêt à crier à s’époumoner le mot « souveraineté » lorsque ses petits intérêts sont menacés. Par ailleurs, qui sont-ils finalement, ces rebelles libyens ? S’il s’agit de personnes pas recommandables, comme le redoutent beaucoup d’observateurs, il faut bien s’en inquiéter. Ce qui ne serait d’ailleurs pas étonnant dans un pays où la formation politique se limite à la lecture du Livre vert et où il n’existe pas de société civile. Admettons qu’aujourd’hui la coalition arrive à bout de la résistance du colonel Kadhafi et que le fauteuil présidentiel soit à portée de main des rebelles. Ces derniers auront-ils la légitimité populaire pour que le pays reparte sur les bons rails de la démocratie ? L’après-Kadhafi devrait donc préoccuper toute personne éprise de paix et de justice.
Et si l’on ajoute à cela une certaine opinion qui veut que les Occidentaux mènent surtout une guerre pour le pétrole, il y a de quoi avoir des frayeurs concernant le destin du pays, dont l’or noir est réputé de très bonne qualité. Plusieurs interventions à travers le monde ont en effet prouvé que les intérêts économiques ont généralement pris le dessus sur les considérations humanitaires. Espérons que cette fois-ci, ce sera l’exception qui confirme la règle.
(1) Allusion à un proverbe qui conseille que lorsque l’on vous lave le dos, vous fassiez l’effort de vous laver le ventre