Libye. Immaturité politique

Publié le par Un monde formidable

France-Libye: Si tu veux gagner l’élection, fais la guerre par Anne Applebaum I The Washington Post (Source : Le Courrier International.07.04.20)

Nous autres, Américains, avons depuis longtemps l’habitude de partir en guerre juste avant une campagne électorale. (…)  Dans la guerre orchestrée par les Français, il n’y a pas de scandale sexuel. Le président Nicolas Sarkozy est impopulaire parce que son gouvernement est corrompu, parce que l’économie française est moins forte que ce qu’on en avait dit, parce que son ex-ministre des Affaires étrangères [Michèle Alliot-Marie] et lui-même ont choisi le mauvais camp en Tunisie et, enfin, parce qu’il est fantasque et imprévisible.  (…) Sarkozyespèrequel’aventure libyenne lui rendra sa popularité. Personne ne s’en étonne. A l’occasion d’une conférence organisée fin mars à Bruxelles, j’ai entendu un participant français se targuer du rôle central de la France dans la campagne aérienne en Libye, puis, dans le même élan, admettre quelques minutes plus tard que la guerre était un stratagème visant à contribuer à la réélection de Sarkozy. Les deux sentiments – la fierté devant le leadership français et le cynisme à l’égard des motivations réelles de Sarkozy – ne lui paraissaient, semble-t-il, pas le moins du monde contradictoires.

Certains aspects de cette situation nous sont familiers. La France ressent depuis longtemps de l’amertume non seulement devant le rôle dirigeant des Etats-Unis dans le monde, mais aussi à l’égard de leur statut de première démocratie de la planète : les Français estiment qu’ils ont tout autant que nous contribué à l’invention de la formule “Liberté, égalité, fraternité” et tiennent à ce que cela leur soit reconnu. Mais que le président actuel soit prêt à prendre des risques réels dans l’unique but de jouer un rôle – n’importe quel rôle, à n’importe quel prix – pour asseoir la gloire de la France et la sienne est un fait sans précédent. (…) L’enthousiasme de Sarkozy pour une guerre dont il ignore quelle sera l’issue arrive à un moment où l’Otan est divisée et où l’Union européenne (UE)n’a jamais été aussi faible.



Afin de préserver ce qui reste de solidarité au sein de l’Alliance, aucun membre de l’Otan n’a opposé son veto à l’opérationlibyenne.Maisl’Allemagneetla ­Turquie s’y sont opposées avec véhémence. Plusieurs autres pays fulminent en silence. Selon un des participants aux discussions, Sarkozy n’a consenti à placer l’opération militaire sous la bannière de l’Otan que lorsque la Maison-Blanche a menacé de s’en retirer complètement. Il était apparemment persuadé que les Américains continueraient à souscrire à une intervention dont il garderait la direction. L’UE en est ressortie encore plus déconfite. Si l’objectif principal de Sarkozy avait été de mettre en lumière la faiblesse et l’incohérence de la politique étrangère européenne, il n’aurait pu le faire de façon plus efficace. La “ministre des Affaires étrangères”européenne,Catherine Ashton, a été mise sur la touche. Les institutions européennes n’ont pas joué le moindre rôle. Un éditorial du Monde l’a parfaitement formulé : l’affaire libyenne “démontre l’immaturité de la politique européenne de sécurité et de défense : indigence du débat politique et inadéquation des cadres de planification et d’intervention”. A part peut-être le président français, personne ne pense que l’Europe sortira renforcée de cette affaire.



Napoléon, à qui Sarkozy ressemble de bien des façons, a déclaré un jour que la chance était la qualité essentielle chez un général, et Sarkozy aura peut-être de la chance en Libye. Les rebelles pourraient bien l’emporter. Le président français pourrait retrouver sa popularité, même si les résultats des élections cantonales françaises sont loin d’indiquer l’amorce d’un mouvement dans cette direction : non seulement les socialistes les ont remportées haut la main, mais le Front national a obtenu lui aussi de très bons résultats. Le président peut bien continuer à lancer les dés. Au point où il en est, ce sera quitte ou double.

 

Publié dans Françafrique

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