Le Vatican empêtré dans ses contradictions

Publié le par Un monde formidable

Le Vatican empêtré dans ses contradictions par Patricia Briel. (Le Temps. Ch./17/03/10)

La question devient toujours plus pressante: que savait exactement Joseph Ratzinger des abus sexuels commis dans son diocèse lorsqu’il était archevêque de Munich-Freising?

Le prêtre pédophile allemand Peter H., déplacé en 1980 dans le diocèse de Munich-Freising, alors dirigé par l’archevêque Joseph Ratzinger, n’a été suspendu que lundi par l’évêché de Munich, selon des révélations du New York Times et du Spiegel Online . Pendant trente ans, ce prêtre a donc pu continuer à exercer des fonctions pastorales auprès des jeunes, alors que ses crimes pédophiles étaient connus de sa hiérarchie. Et cela en violation du droit canon, qui prévoit que le clerc qui persiste dans ses délits sera puni de la suspense, voire du renvoi de l’état clérical.

En 1979, Peter H., prêtre dans le diocèse d’Essen, contraint le jeune Wilfried F., 11 ans, à lui faire une fellation. Ayant appris ce fait, le diocèse d’Essen demande à l’archevêché de Munich d’accueillir ce clerc afin qu’il y suive une psychothérapie. Les autorités diocésaines, dont l’archevêque Ratzinger, acceptent. En 1980, le vicaire général du diocèse, Gerhard Gruber, l’affecte en tant qu’assistant aumônier à une paroisse. Entre 1982 et 1985, Peter H. commet de nouveaux abus sexuels sur des mineurs. En 1986, le tribunal d’Ebersberg le condamne à une peine de prison de 18 mois avec sursis et à une amende de 4000 marks. Après le procès, Peter H. travaille durant un an dans une maison de retraite. En 1987, il rejoint la paroisse de Garching an der Alz, dont il devient abbé et administrateur du Conseil paroissial.   Il y demeurera jusqu’en 2008, année où il est soudainement déplacé à Bad Tölz, une agréable station thermale de Bavière. Selon le New York Times, une condition est posée à ce déplacement: le prêtre ne doit pas être en contact avec des enfants. A-t-il récidivé? Aucune nouvelle plainte n’a surgi depuis sa condamnation en 1986. A Bad Tölz, il était censé travailler avec des touristes, mais, selon le quotidien américain, il pouvait toujours célébrer des messes, et donc fréquenter des jeunes.

Dans un récent communiqué publié par l’évêché de Munich, l’ancien vicaire Gerhard Gruber a assumé l’entière responsabilité des déplacements de Peter H. Quant à Joseph Ratzinger, il a quitté le diocèse de Munich-Freising en mai 1982, pour devenir préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), un poste qu’il occupera jusqu’en 2005. Que savait-il de l’affectation, en 1980, de ce prêtre à une paroisse de son diocèse? Pour l’instant, le pape se tait, mais les catholiques allemands réclament des explications.  Une fois devenu préfet de la CDF – chargée de traiter ces délits–, était-il au courant des affaires d’abus sexuels commis dans l’Eglise catholique? Si oui, comment les a-t-il gérées? Dans une interview donnée au quotidien l’Avvenire, Mgr Charles Scicluna, qui enquête pour le compte de la CDF sur les abus commis par le clergé, explique qu’«entre 1975 et 1985 aucune signalisation de cas de pédophilie cléricale n’est parvenue à la Congrégation». Selon l’instruction Crimen sollicitationis de 1962, les évêques n’étaient pas obligés de dénoncer tous les cas de pédophilie dont ils avaient connaissance à l’ex-Saint-Office. Les tribunaux diocésains avaient la compétence de les traiter, mais dans le plus grand secret. Une fois le verdict émis, «un silence perpétuel» devait sceller ces cas.

«Après la promulgation du Code de droit canonique de 1983, justifie Mgr Charles Scicluna, il y a eu une période d’incertitude sur les Delicta Graviora (ndlr: les délits les plus graves) qui devaient être de notre compétence. C’est seulement avec le motu proprio de 2001 (ndlr: Sacramentorum Sanctitatis Tutela) que le crime pédophile est redevenu de notre exclusive compétence, et à partir de là le cardinal Ratzinger a géré avec fermeté ces affaires.»  A l’en croire, une longue période de flottement aurait embrouillé la CDF. Pourtant, la constitution apostolique Pastor Bonus, publiée en 1988, stipule clairement que celle-ci «juge les délits les plus graves commis contre la morale». Et c’est bien la CDF qui a été saisie en 1998 par huit anciens séminaristes victimes d’abus sexuels commis par le père Marcial Maciel, fondateur de la congrégation des Légionnaires du Christ, alors qu’ils étaient mineurs. Ratzinger connaissait le dossier. Mais il n’a écarté le père Maciel de ses fonctions qu’après la mort de Jean Paul II. De deux choses l’une: soit il a choisi de ne pas agir, soit il en a été empêché par Jean Paul II. Le pape a en effet le pouvoir de décider de la suite à donner aux cas qui lui sont présentés par la CDF.  Il est fort probable que Jean Paul II, qui admirait le père Maciel, ait gelé l’enquête. Car, depuis qu’il est pape, Joseph Ratzinger s’est attaqué à la pédophilie avec le plus grand sérieux.

Jean-Paul II: santo subito? par Patricia Briel (Le Temps.CH. 06/01/10) 

L’ampleur des scandales sexuels au sein de l’Eglise catholique devrait inciter Benoît XVI à attendre que toute la lumière soit faite sur l’attitude de Jean Paul II dans cet épisode

Dans le monde catholique, un malaise a surgi autour de la future béatification de Pie XII. Il est difficile de comprendre pourquoi Benoît XVI tient tant à proposer ce pape – si contesté pour son silence sur le sort des juifs durant la Seconde Guerre mondiale – en exemple aux fidèles, alors que toutes les archives concernant son pontificat ne sont pas encore accessibles aux historiens.

Inversement, la prochaine béatification de Jean Paul II suscite, elle, un acquiescement quasi unanime chez les catholiques. Pourtant, la procédure est rapide. Jean Paul II est décédé en avril 2005, et pourrait être béatifié cette année déjà. Cinq ans: la distance historique est-elle suffisante pour établir un dossier sérieux sur un candidat à la sainteté? La vox populi a tranché dès le décès de Jean Paul II: santo subito. Faut-il pour autant lui donner satisfaction?

C’est indéniable, Jean Paul II a été un grand pape. Mais l’affaire du Père Maciel montre qu’il a parfois manqué totalement de discernement. En 1998, huit anciens séminaristes dénoncent Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ils l’accusent d’avoir commis des abus sexuels alors qu’ils avaient entre 10 et 16 ans. Mais il faudra attendre la mort de Jean Paul II pour que Joseph Ratzinger diligente enfin une enquête, qui révélera, entre autres, la pédophilie de Maciel. Selon certaines sources, le pape polonais aurait gelé l’instruction contre la volonté de Ratzinger, afin de ne pas causer de tort à un homme qu’il admirait profondément et à une congrégation aux vocations florissantes. Pourtant, Maciel avait déjà été accusé de pédophilie dans le passé.

L’ampleur des scandales sexuels au sein de l’Eglise catholique devrait inciter Benoît XVI à attendre que toute la lumière soit faite sur l’attitude de Jean Paul II dans cet épisode. La loi du silence a déjà causé trop de victimes et de dégâts pour l’image de l’Eglise.

 

L’histoire sulfureuse du Père Maciel par Patricia Briel (Le Temps.CH. 06/01/10) 

La figure du fondateur de la Légion du Christ, une congrégation catholique conservatrice, s’effondre sous les scandales sexuels. Jean Paul II a-t-il gelé une enquête sur des accusations de pédophilie à l’encontre de ce prêtre?

Deux papes que Benoît XVI projette de béatifier ont marqué le début et la fin de la carrière de Marcial Maciel Degollado, le fondateur des Légionnaires du Christ, dont un article du Monde daté du 4 janvier documente la double vie et les crimes. Le premier est Pie XII qui, en 1946, manifesta de l’intérêt pour le projet de fondation d’une nouvelle congrégation religieuse que lui avait exposé le jeune prêtre mexicain qu’était alors Maciel. Le second est Jean Paul II. Fasciné par le Père Maciel, il l’avait érigé en modèle pour la jeunesse en 1994. Or le prêtre mexicain, mort en janvier 2008 à l’âge de 87 ans, a été la cible, à plusieurs reprises au cours de sa vie, d’accusations graves, qu’il a toujours niées: trafic et consommation de drogues, pédophilie, abus sexuels sur de jeunes séminaristes, mensonges. En outre, il a eu au moins quatre enfants de deux femmes. Il a également soutiré des fortunes à de riches veuves pour financer sa congrégation.

Que savaient au juste Pie XII (mort en 1958) et Jean Paul II au sujet de la vie de Maciel? A vrai dire, la question concerne surtout le second, qui admirait énormément le prêtre mexicain et la Légion, un mouvement très conservateur. Car en 1998, la Congrégation pour la doctrine de la foi a été saisie par de nouvelles accusations portées par huit anciens séminaristes contre le fondateur des Légionnaires. Celui-ci les a démenties en 2002. Au vu des fruits de la Légion – plus de 800 prêtres et 2500 séminaristes répartis dans 22 pays, selon des chiffres actuels – Jean Paul II aurait gelé l’instruction du dossier, d’après des informations publiées par le quotidien catholique français La Croix en mai 2006.

Ce n’est qu’après la mort de Karol Wojtyla que l’enquête sera relancée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, en possession de nouveaux éléments à partir de décembre 2004. En avril 2005, au moment même où Jean Paul II agonise, le cardinal Ratzinger envoie un émissaire au Mexique et aux Etats-Unis pour vérifier les faits. Convaincu de leur gravité, Benoît XVI écarte définitivement le Père Maciel de tout ministère public en mai 2006, tout en renonçant à un procès canonique à cause du grand âge et de la santé précaire du prêtre. En février 2009, le New York Times révèle que celui-ci était père d’une fille. En mai 2009, le Vatican nomme une commission d’enquête. Au mois d’août, on apprend que Maciel a également eu trois fils d’une autre femme. Selon Le Monde, il aurait eu aussi un fils au Royaume-Uni et une fille en France, décédée dans un accident de voiture. Enfin, en décembre, les Légionnaires du Christ informent leurs membres qu’une des œuvres de spiritualité les plus populaires de leur fondateur – El salterio de mis dias (Le Psautier de mes jours) – était un plagiat du livre d’un auteur catholique espagnol peu connu nommé Luis Lucia.

Les premières accusations contre le Père Maciel ont vu le jour à la fin des années 1940. Elles se sont poursuivies au début des années 1950. En 1956, le Vatican ordonne une enquête canonique. Le Père Maciel est suspendu pendant près de trois ans et interdit de tout contact avec les Légionnaires durant cette période. L’enquête blanchit le prêtre, malgré les doutes exprimés par le principal enquêteur. Il ne sera plus inquiété jusqu’en 1997, année où un quotidien américain, The Hartford Courant, publie le témoignage de huit séminaristes qui affirment avoir été abusés par lui lorsqu’ils avaient entre 10 et 16 ans.

Aujourd’hui, les enfants de Maciel réclament à la Légion leur part d’héritage. Selon Le Monde, leur père les avait informés qu’un legs devait leur être remis en Suisse via une tierce personne. Mais la Légion, dont la fortune est immense, a seulement produit les documents d’un compte vide aux Bahamas. Maciel a-t-il aussi menti à ses enfants? Ce ne serait pas étonnant.

La nouvelle enquête du Vatican sur le fondateur de la Légion, qui a débuté en mai 2009, prendra fin en mars 2010.

Publié dans Religions

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