La violation des droits sexuels, un outil de contrôle politique
La violation des droits sexuels, un outil de contrôle politique Par Rania Massoud (L’Orient Le Jour. 16/11/2009)
Crimes d'honneur, excisions, mariages forcés... Racha Moumneh de Human Rights Watch explique à « L'Orient-Le Jour » pourquoi les pratiques discriminatoires envers les femmes dans le monde arabo-musulman sont une affaire d'ordre politique plus que religieux.
Militer en faveur des droits sexuels et corporels de la femme dans les pays arabo-musulmans peut sembler absurde alors que les femmes dans cette partie du monde peinent toujours à acquérir leurs droits les plus fondamentaux, comme celui de voter ou de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Mais pour les défenseurs des droits de l'homme, la lutte pour les droits sexuels fait partie intégrante du combat universel pour l'égalité, la liberté et le respect de la dignité de tout être humain. « Les droits sexuels et corporels concernent aussi bien les femmes que les hommes, les hétérosexuels que les homosexuels, les jeunes que les vieux, explique Racha Moumneh, chercheuse à Human Rights Watch (HRW). Et la violation de ces droits est une atteinte directe aux libertés individuelles. »
Les droits sexuels s'inscrivent dans les droits humains déjà reconnus par les législations internationales de l'ONU. Selon une définition de l'Organisation mondiale de la santé, « ils incluent le droit de jouir du meilleur état de santé sexuelle possible grâce notamment à l'accès à des services médicaux spécialisés ; le droit à une éducation sexuelle ; le droit de décider d'avoir une vie sexuelle active ou non ; le droit à un mariage consensuel ; le droit de décider d'avoir ou de ne pas avoir des enfants, au moment de son choix. »
Châtiments corporels
Si ces droits ne sont pas toujours respectés en Occident - notamment avec le trafic des femmes en Europe de l'Ouest ou la pénalisation de l'avortement en Pologne -, dans le monde arabo-musulman, le non-respect de ces droits a une ampleur beaucoup plus dramatique. Selon un récent rapport de l'ONU sur les droits de la femme, l'excision et les crimes dits « d'honneur » constituent les formes de violence envers les femmes les plus répandues dans le monde arabo-musulman, notamment en Irak et en Jordanie. Les filles, dans plusieurs pays de la région, sont également victimes de mariages forcés ou précoces. Au Yémen, 64 % des filles sont mariées avant leurs 18 ans, révèle une étude de l'Unicef.
En cas de relations extraconjugales, d'adultère ou de relations homosexuelles, les femmes dans le monde arabo-musulman risquent de subir des châtiments corporels, comme la lapidation ou la flagellation.
En Égypte, une femme accusée d'adultère peut faire face à une peine allant jusqu'à deux ans de prison, alors que l'homme n'est condamné que s'il est pris en flagrant délit et risque, dans ce cas, six mois d'emprisonnement.
En Turquie, il y a quelques semaines, une femme victime de viol s'est vue obligée d'obtenir le consentement de son agresseur pour pouvoir avorter. Aux Émirats arabes unis, le ministère des Affaires sociales a récemment lancé une campagne intitulée « Désolée, je suis une fille » afin de lutter contre le phénomène des femmes qui adoptent un « look trop masculin ».
Des régimes autoritaires
« L'un des principaux obstacles au plein respect des droits de l'homme dans le monde arabe est la prévalence des régimes autoritaires, affirme Mme Moumneh à L'Orient-Le Jour. Il est beaucoup trop facile de blâmer la religion pour de nombreuses injustices faites aux femmes, mais ce n'est pas entièrement vrai. »
Selon la chercheuse, plusieurs facteurs, dont la pauvreté, le manque d'éducation, la montée de l'extrémisme ainsi que le système patriarcal « contribuent, ensemble, à la dégradation de la situation des femmes dans la région ». « D'ailleurs, note-t-elle, la plupart des lois en vigueur aujourd'hui ayant rapport avec la protection des mœurs, comme celles pénalisant les relations homosexuelles et la prostitution, sont l'héritage de l'époque coloniale. » Elle cite comme exemple l'article 534 du code pénal libanais contre les « relations sexuels contre nature » qui a été calqué du code pénal français à l'époque du mandat de la France sur le pays.
« En Égypte, poursuit la chercheuse, la loi "Foujour" qui criminalise la prostitution, ainsi que les relations sexuelles extraconjugales, avait été approuvée en 1951 en signe de résistance aux colons britanniques qui, à cette époque-là, avaient permis l'ouverture de plusieurs maisons closes où travaillaient principalement des Égyptiennes. »
Cela prouve, selon la chercheuse, « que ces lois "morales" ne sont issues ni de la culture ni des valeurs arabe ». Mais ces lois discriminatoires, ajoute Racha Moumneh, sont utilisées par les régimes autoritaires « afin de renforcer leur contrôle politique et social sur les femmes ».
Des lois discriminatoires
Ainsi, les fondamentalistes islamistes, dont la montée en puissance est perceptible dans nombre de pays arabes, africains et asiatiques, accentuent la pression sociale en utilisant le prétexte religieux pour renforcer leur pouvoir.
En Somalie, les shebab ont récemment ordonné aux ONG travaillant dans les zones sous leur contrôle de licencier tout leur personnel féminin et leur ont interdit d'appuyer la création d'associations de femmes. Les islamistes somaliens ont également banni le port du soutien-gorge, considéré comme « anti-islamique, impur et offensant ».
Au Soudan, des femmes sont parfois condamnées en vertu de l'article 152 du code pénal qui prévoit une peine maximale de 40 coups de fouet pour quiconque « commet un acte indécent, un acte qui viole la moralité publique ou porte des vêtements indécents ». La journaliste devenue activiste Loubna Ahmad al-Hussein mène actuellement un combat pour faire invalider cet article de loi. L'an dernier, dans l'État de Khartoum, région la plus peuplée du Soudan avec cinq millions d'habitants, près de 43 000 femmes ont été arrêtées pour des raisons vestimentaires, selon des ONG locales.
En Asie, les talibans pakistanais s'attaquent régulièrement aux écoles qui accueillent des filles. Au début du mois, deux institutrices ont été assassinées dans une zone tribale du nord-ouest du pays par des insurgés islamistes qui ont ouvert le feu sur leur voiture. Toujours en Asie, dans la province indonésienne d'Aceh, bastion de l'orthodoxie islamiste, les femmes musulmanes ne pourront plus, à partir de l'année prochaine, porter de pantalons trop serrés ou de jeans.
Au Proche-Orient, dans la bande de Gaza, le ministère de l'Intérieur du Hamas a décidé d'interdire aux femmes de monter sur des motos pour « préserver la stabilité et les traditions » de la société palestinienne.
Un peu plus loin, en Iran, un religieux ultraconservateur a mis en garde, il y a un mois, contre la « fureur divine » si des femmes accèdent au poste de gouverneur. Depuis la révolution islamique en 1979, les Iraniennes sont exclues des fonctions de juge et sont victimes de discrimination en matière de mariage, divorce et héritage, même si leur nombre a substantiellement augmenté dans les universités.
Une lutte continue
« En dépit de la dégradation des droits de la femme dans de nombreux pays arabo-musulmans, il existe néanmoins toujours des personnes qui sont prêtes à changer le statu quo et elles réussissent parfois à le faire », souligne Racha Moumneh. « Au Koweït, poursuit-elle, quatre femmes ont été élues cette année au Parlement, quatre ans seulement après avoir obtenu le droit de voter et de se présenter aux élections. Des parlementaires islamistes ont voulu imposer le hijab à deux d'entre elles qui n'en portent pas, mais ils ont finalement échoué. »
En Arabie saoudite, le roi Abdallah a inauguré la première université mixte dans le royaume conservateur. Cet établissement, situé au nord de Djeddah, s'inscrit dans le cadre de l'aspiration du roi à hisser le royaume au rang des pays engagés dans la recherche scientifique. Mais l'un des objectifs inavoués du roi, selon des responsables saoudiens cités par l'AFP, est de bousculer les restrictions imposées aux femmes par le puissant clergé religieux.
En Tunisie, l'émancipation des femmes est, pour les autorités, une arme politique pour contrer la montée du fondamentalisme islamiste. Les femmes, dans ce pays nord-africain, ont massivement investi le marché du travail pour garantir leur autonomie et prévenir une remise en question de leurs droits acquis sur un demi-siècle. Elles représentent désormais 26 % de la population active, la moitié des étudiants, 29 % des magistrats et 24 % des diplomates. Le Parlement tunisien est, en outre, le plus féminin de la région avec 22,7 % de députées. Le Code du statut personnel (CSP), en vigueur depuis 1957, interdit la polygamie, instaure le droit à l'éducation et consacre une égalité de droits entre les hommes et les femmes.
« Il existe dans le monde arabo-musulman des mouvements féministes qui continuent de lutter pour les droits de la femme, indique Racha Moumneh. Au Liban et en Jordanie, des efforts sont déployés pour mettre fin aux "crimes d'honneur" ; plusieurs organisations travaillent également pour inclure l'éducation sexuelle dans le programme scolaire. » Des signes positifs, donc, mais, comme le rappelle Racha Moumneh, « il reste beaucoup de travail à faire, et le chemin est encore très long ».