La pauvreté a un avenir en Afrique

Publié le par Un monde formidable

La pauvreté a un avenir en Afrique  par Ram Etwareea (Le Temps. 20/10/09)

Cinq auteurs africains dénoncent la dépendance envers l’aide au développement apportée par le Nord. Les Rencontres internationales de Genève ouvrent la discussion, sans tabou ni préjugé

La pauvreté est-elle endémique en Afrique? Le continent a-t-il appris à s’accommoder avec la misère? Les Africains ont-ils le goût du sadomasochisme et du désespoir permanent? Pourquoi le nombre d’Africains vivant avec moins d’un dollar par jour croît-il année après année?

Ces questions taraudent les esprits dans les pays riches. Elles sont au cœur des débats qu’organisent les Rencontres internationales de Genève, du 20 au 23 octobre, sur le thème «L’avenir de la pauvreté». Des questions qui sont légitimes. Depuis une cinquantaine d’années, les Etats-Unis, l’Europe et le Japon ont dépensé 2300 milliards de dollars pour l’aide au développement. Le bilan laisse à désirer.

Que pensent les Africains eux-mêmes de leur destin? Ils sont cinq à avoir pris la parole ces derniers temps. Leur constat est implacable. Selon Hilary U. Nwokeabia, économiste auprès de la Conférence des Nations unis pour le commerce et le développement (Cnuced) à Genève, l’Afrique a raté le train de la connaissance qui est à la base de tout progrès humain. «Nous avons construit les py­ramides, mais nous n’avons pas d’ingénieurs; nous soignons nos malades à base de remèdes traditionnels, mais les principes actifs de nos plantes sont aujourd’hui exploités par la pharma du Nord; nous avons inventé les tissus, mais c’est la Chine et l’Inde qui habillent le monde; nous dansons au son des tambours depuis des siècles, mais ils sont désormais fabriqués en chaîne à Taïwan; nous produisons des cacahuètes, mais les Pays-Bas en sont les plus grands exportateurs; la musique congolaise fait danser la planète entière, mais ce sont les producteurs américains et européens qui en tirent les bénéfices.» Dans Why Industrial Revolution By-Passes Africa, le Nigérian appelle à une réappropriation des connaissances africaines et à investir dans l’innovation. «Les autres nations sont passées par cette voie et l’Afrique ne fera pas exception», dit-il.

L’Ougandais Yash Tandon explique que les racines de la pauvreté en Afrique se trouvent dans la dépendance de l’aide internationale. L’ancien directeur de Centre Sud, un «think tank» spécialisé dans les pays émergents, basé à Genève, affirme que l’aide étrangère a rendu les classes dirigeantes irresponsables. «Ces derniers dirigent leur pays en fonction de l’assistance qu’ils reçoivent au lieu de donner de l’impulsion aux initiatives nationales, fustige-t-il. Historiquement, il n’y a pas de pays qui s’est développé grâce à l’aide étrangère.»

«Il y a une mentalité à briser, poursuit Yash Tandon. Les Etats du Sud doivent se défaire psychologiquement de l’idée selon laquelle rien ne se fera sans les donateurs.» Il affirme aussi que la dépendance envers l’aide internationale sert les intérêts politiques et économiques des pays donateurs. «L’argent sert de monnaie de change dans toutes sortes de négociations», dénonce-t-il. L’auteur de Ending Aid Dependence encourage les pays pauvres à ne pas ratifier l’Accord d’Accra (2008) qui porte sur l’efficacité de l’aide. Selon lui, il s’agit encore d’un instrument pour maintenir le cordon ombilical entre assistés et donateurs.

«Pour réduire la pauvreté en Afrique, il faut mettre fin à l’aide au développement.» La Zambienne Dambisa Moyo va dans le même sens que Yash Tandon, mais elle va plus loin en attaquant frontalement la lourde bureaucratie de l’aide internationale. Elle propose que celle-ci se retire de l’Afrique sur un délai de cinq ans. Directrice de Recherche et de stratégie sur l’Afrique subsaharienne chez Goldman Sachs, elle préfère que le continent finance son développement par ses propres moyens, c’est-à-dire par les exportations de ses ressources naturelles, mais aussi par l’émission des obligations sur le marché international. Dambisa Moyo fait remarquer que l’Asie s’en sort par le commerce plutôt que par l’aide. Dans Dead Aid, Dambisa Moyo ne cache pas son appréciation positive de la présence chinoise grandissante en Afrique. Selon elle, les affaires réalisées entre Chinois et Africains sont une bonne alternative à la compassion de donateurs.

Cadre à la Banque mondiale, le Camerounais Célestin Monga pose les questions les plus provocatrices sur l’incapacité des Africains de se sortir de l’ornière et sur des donateurs qui, malgré leurs milliards, n’ont pas réussi à faire décoller le continent. C’est lui qui, dans Nihilisme et négritude, se demande si les Africains ne se complaisent pas dans le statu quo. Il n’épargne pas non plus l’aide liée à l’agenda des donateurs.

William Easterly n’est pas Africain, mais Américain. Pour avoir travaillé à la Banque mondiale et surtout pour avoir vu l’échec de la coopération, il demande de mettre fin aux bonnes intentions paternalistes qui finissent par faire plus de mal que de bien. Dans Le fardeau de l’homme blanc, il demande aux donateurs de se défaire de l’illusion de pouvoir planifier le destin des pays pauvres. «La grande poussée des pays du Sud ne viendra pas non plus d’une thérapie du Fonds monétaire international, mais par l’injection de capitaux et le développement des marchés», écrit-il.

Publié dans Afrique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article