Israel. Michel Warschawski, 40 ans de refus de l'Occupation
Michel Warschawski, 40 ans de refus de l'Occupation par Marie Medina (26/01/2008)
"C'est nous, les occupants !" Venu adolescent étudier le Talmud à Jérusalem dans les années 1960, Michel Warschawski ne s'attendait pas à se retrouver de l'autre côté de ce que ses parents avaient vécu en France vingt ans plus tôt. Membre du premier mouvement israélien à avoir dénoncé l'Occupation, cofondateur du Centre d'information alternative, ce militant de gauche poursuit inlassablement son combat, malgré l'effondrement du mouvement de la paix. Ce samedi, il participe à un convoi humanitaire pour protester contre le siège de la Bande de Gaza.
De l’Occupation nazie, son grand-père paternel a tiré comme leçon qu’on ne pouvait compter que sur soi-même. A l’inverse, le père de sa mère lui a enseigné que sa famille avait survécu parce que des gens l’avaient aidée. "Tu as une dette de solidarité humaine", lui a-t-il ainsi dit, en lui intimant de s’en acquitter s’il devait un jour se trouver en position de force. C’est cette voie qu’a choisie Michel Warschawski.
Elevé dans une famille juive orthodoxe d’Alsace, il arrive à Jérusalem à l’âge de 16 ans pour étudier le Talmud. Lors de la crise qui précède la Guerre des Six Jours (1967), sa yeshiva – comme toutes les autres écoles – ferme. Il rejoint alors le kibboutz de Sha’alvim. De là, il assiste à l’exode des habitants d’Imwas (ou Emmaüs, pour les chrétiens), de Beit Nuba et de Yalu, trois villages arabes proches de l’abbaye de Latrun. "Sur le champ, ça ne voulait rien dire pour moi".
L’électrochoc a lieu quelques semaines plus tard. Son père, Max Warschawski, le grand rabbin de Strasbourg, accompagne une délégation en Terre Sainte. Un jour, il a un imprévu et son fils le remplace pour la visite du Tombeau des Patriarches. Dans le souk d’Hébron, un marchand palestinien s’adresse au jeune homme, âgé alors de 18 ans. "Lui qui pouvait être mon père ou mon grand-père, il me parle d’en bas". Michel Warschawski s’en souvient comme d’"un coup de poing dans le ventre".
"Tout à coup, je réalise que je suis un occupant". Or durant toute son enfance, ses parents lui ont raconté ce qu'avait signifié pour eux la présence nazie en France : peur, exclusion, racisme, mort, "c'était le mal incarné". Dès son retour d'Hébron, il se confie à son père : "Il y a une occupation et c'est nous, les occupants. On se trouve de l'autre côté".
Son premier contact – physique - avec le militantisme se fait à l'Université hébraïque de Jérusalem, où il s'inscrit à la rentrée 1967. Des jeunes distribuant des tracts se font agresser. Coiffé d'une kippa noire, Michel n'a pas vraiment le même look que les contestataires, avec ses tzitzits qui dépassent de ses vêtements (ces franges blanches sont un attribut religieux). "Curieux de nature", il ramasse un dépliant et y lit un texte sur les expulsions de Palestiniens dans la région de Latrun. Lorsque les militants se font traiter de menteurs, il intervient "naïvement" pour confirmer la véracité des évictions. "C'est vrai, je l'ai vu de mes propres yeux", lance-t-il aux agresseurs juste avant de se faire "casser la figure".
C'est ainsi qu'il rencontre et rejoint les membres de Matzpen (en hébreu, boussole), un groupuscule créé cinq ans plus tôt par des anciens du Parti communiste israélien. Cette organisation est "clairement anti-sioniste" et prône "une intégration d'Israël dans son environnement arabe". En 1967, "on est la seule voix à dire non à l'Occupation", souligne Michel Warschawski.
Les membres de Matzpen n'ont jamais été plus d'une cinquantaine mais ils sont très actifs. Ils placardent dans tout le pays le slogan "A bas, l'Occupation" et utilisent chaque événement politique pour distribuer des tracts. Ils forment "la seule expression dissidente en Israël entre 1967 et 1973", période d'euphorie et d'insouciance dans le pays.
"On avait l'air d'être le fou du village qui disait "le roi est nu" alors que tout le monde le voyait habillé". Les prédictions de Matzpen sur un conflit imminent ne rencontrent que de l'incrédulité.
Jusqu'à la guerre du Kippour. Un "choc" pour Israël, un "tremblement de terre", une "gifle terrible". C'est alors qu'émerge un mouvement pour la paix qui n'est plus cantonné à un groupuscule ultra-minoritaire. L'opposition à l'Occupation commence à s'élargir.
Cependant, les prises de position de Michel Warschawski demeurent mal perçues. Tout comme celles de son épouse, Leah Tsemel, "l'avocate des terroristes", un surnom qui l'amuse. "On était la cinquième colonne, des traîtres ou – dans le meilleur des cas – des fous". A l'époque, leur fils, né en 1972, a honte des séjours que son père effectue en prison militaire pour avoir refusé de servir comme réserviste dans les Territoires occupés. Et il évite de marcher sur le même trottoir que sa mère.
Sa petite soeur, née dix ans plus tard, souffre beaucoup moins de l'engagement de ses parents. Tous ses camarades de classe veulent l'accompagner pour rendre visite à son détenu de père. "Après la guerre du Liban, il était de bon ton d'être de gauche", observe Michel Warschawski, qui date de cette période l'avénement d'un "mouvement de masse" contre l'Occupation. Matzpen facilite alors les contacts entre militants israéliens et palestiniens.
Bien vite, Michel Warschawski décèle aussi "le besoin d'informer les Palestiniens sur ce qui se passe en Israël et les Israéliens sur ce qui se passe dans les Territoires palestiniens". En 1984, il crée donc le Centre d'information alternative (AIC) avec deux autres membres de Matzpen, trois militants de la gauche palestinienne et "une copine anglaise".
En février 1987, la police et le Shin Bet (sécurité intérieure) font irruption dans les locaux. Arrêté, inculpé de soutien à une organisation terroriste (le Front populaire de la libération de la Palestine, FPLP), Michel Warschawski est ensuite placé en liberté conditionnelle. Il comparaît à partir du mois de décembre, alors qu'éclate la première Intifada. A l'issue d'un long procès, il est reconnu coupable de prestations de services à des organisations illégales (le AIC imprimait des tracts pour des mouvements étudiants et féministes palestiniens). Condamné à 30 mois de prison dont 20 ferme, réduits en appel à 20 mois dont huit ferme, il en purge six à Maasiyau.
Il reste persuadé qu'il aurait pu s'en tirer avec une simple amende s'il avait accepté de donner les noms de ses contacts palestiniens. Selon lui, leurs identités étaient déjà connues du Shin Bet, qui voulait uniquement le pousser à trahir ses camarades. Un acte impensable pour lui. Un acte prohibé par la loi juive mais aussi contraire aux principes que lui avait transmis son père, figure de la Résistance contre le nazisme.
Inflexible durant les quinze jours d'interrogatoire ayant suivi son arrestation, Michel Warschawski oppose le même refus lors de son procès. Pour se justifier, il apporte la Torah au tribunal, alors même qu'il a cessé de pratiquer depuis deux décennies.
Un arrêt "radical", en 1968, lors du Grand Pardon (fête où les Juifs ne doivent notamment pas allumer de feu). "Le Kippour commençait et je me suis dit : Qu'est-ce que c'est que ce truc de merde ? J'peux pas fumer ?" Il sourit en glissant une Gauloise brune entre ses moustaches. Il se souvient qu'il voulait aussi goûter les crevettes et les côtes de porc (aliments non-cachers). Mais sous cette irrévérence de façade, il reste viscéralement attaché au judaïsme. "La culture juive fait partie de ma culture".
Le AIC oeuvre encore aujourd'hui. Michel Warschawski n'a pas perdu sa combativité, malgré l'effondrement du mouvement pacifiste israélien en 2000, après l'échec de Camp David.
Ce randonneur sait qu'en gérant ses énergies, on peut gravir des montagnes qui semblent inaccessibles. Bien sûr, il y a des moments délicats, lorsque le marcheur se retrouve dans une impasse, qu'il est bloqué dans sa lancée et qu'il doit rebrousser chemin pour contourner l'obstacle. Alors, "il y a un risque de craquer". Selon lui, "c'est ce qui s'est passé dans le mouvement de la paix israélien".
Le militant Uri Avnery a comparé ce mouvement à une bicyclette à deux roues inégales. La petite roue, ce sont les organisations radicales ayant une audience restreinte. Elle a longtemps tiré la grande roue, c'est-à-dire les organisations plus consensuelles (comme Shalom Archav, La Paix Maintenant) qui mobilisent plus largement. Or depuis 2000, "il n'y a plus de grande roue, la petite roue se porte très bien mais elle tourne à vide", déplore Michel Warschawski. "On n'a plus de moyen d'avoir un impact sur l'opinion publique".
Cependant, il n'abandonne pas. "Il faut dire non". Non au siège de la Bande de Gaza, par exemple. Ce samedi, il participe à un convoi de nourriture. Sans illusion sur l'impact humanitaire de l'opération, il explique qu'il s'agit avant tout de protester contre la politique israélienne vis-à-vis de ce territoire palestinien. Et comme la bicyclette ne roule plus, il y va en voiture.