Israël. Le combat solitaire de « Haaretz »

Publié le par Un monde formidable

Israël, Palestine. Le combat solitaire de « Haaretz » par Amnon Kapeliouk (Source Le Monde Diplomatique. Fev 09)

 « Nous devons être plus agressifs [contre le Hamas]... Il faut faire tomber leur gouvernement. » Ces propos du 14 mai 2008 n’ont été tenus ni par un général ni par un responsable politique israélien, mais par le correspondant pour les affaires militaires de la deuxième chaîne nationale de télévision, Roni Daniel. Dès qu’il s’agit du conflit avec les voisins arabes, les journalistes israéliens se transforment trop souvent en simples porte-parole des arguments de l’establishment militaire.

Depuis des mois, les dirigeants du pays, Mme Tzipi Livni (Kadima) et M. Ehoud Barak (le faux travailliste), annonçaient leur objectif à Gaza : anéantir le Hamas et donner une « leçon inoubliable » à l’adversaire, fût-ce au prix de destructions massives et de lourdes pertes humaines. Les médias ont continué à soutenir cette stratégie après le déclenchement de l’attaque, alors même que les terribles images de destruction étaient projetées sur le petit écran à travers le monde — mais pas sur ceux de la télévision israélienne. Chaque justification des porte-parole de l’armée était reprise sans critique, comme lorsqu’ils prétendaient que les bombardements des mosquées, des écoles et des hôpitaux étaient dus à l’existence d’armes dans leurs enceintes ou au tir de francs-tireurs palestiniens...

Cette attitude des médias israéliens n’est pas nouvelle. Lorsqu’un accord est violé, c’est toujours l’adversaire arabe qui en est responsable. Ainsi, lors des pourparlers indirects organisés par l’Egypte entre le Hamas et Israël pour établir une « accalmie » (tahdia, en arabe — que l’on traduit, en général, par cessez-le-feu ou trêve) —, les journalistes ont vivement critiqué ces contacts, proclamant que les « terroristes viole[raie]nt tout accord » et que le seul moyen de mettre fin à leurs activités était militaire. Pourtant, le bon sens a triomphé et le cessez-le-feu fut instauré le 19 juin 2008.

Cinq jours plus tard, le Djihad islamique tirait deux Qassam sur la ville de Sderot (sans causer de victimes). Les médias israéliens ont aussitôt dénoncé à l’unisson le Djihad, alors qu’un communiqué de cette organisation expliquait qu’il s’agissait d’un acte de représailles à l’exécution sommaire, à Naplouse, par une unité spéciale de l’armée, de deux de ses militants, dont un haut commandant, Tareq Abou Ghali. Le quotidien Haaretz, consacrant seulement quelques lignes à l’opération israélienne, expliquait, le 25 juin, que « l’establishment militaire avait prévu cette vengeance palestinienne ». Pourtant, ce journal, considéré comme sérieux et qui cherche, souvent seul, à donner une image complète et équilibrée du conflit, titrait tout comme les autres organes de presse : « Le Djihad a violé la trêve à Gaza ». Finalement, le cessez-le-feu a tenu, le Hamas en ayant respecté les termes et les ayant imposés aux autres organisations palestiniennes ; c’est une opération militaire israélienne à Gaza, le 4 novembre, qui marqua le début de l’escalade et ouvrit la voie à la guerre.

Le tirage de Haaretz, « journal pour des gens qui réfléchissent » selon la formule de ses propriétaires, est le plus faible des quotidiens nationaux (70 000 exemplaires pendant la semaine). Malgré quelques « glissements », il a su préserver sa clairvoyance et son courage (1).

Ainsi, lors du débat au Parlement sur la prolongation de la loi honteuse (adoptée en 2003) qui interdit d’accorder la résidence ou la citoyenneté aux Palestiniens des territoires occupés mariés à des Israéliens, le propriétaire du journal, M. Amos Schocken, publiait un article intitulé « Pour que nous ne soyons pas un Etat d’apartheid » (2). Aucun des présidents-directeurs généraux des trois autres quotidiens en hébreu (3) n’aurait osé utiliser une telle terminologie. M. Schocken publie régulièrement des articles qui stigmatisent la politique du gouvernement dans les territoires palestiniens occupés.

Trois jours avant les élections législatives, il a pris nettement position dans un article intitulé : « Je vote Meretz » (le parti le plus à gauche dans le camp sioniste du pays) : « Le vote doit tenir compte aussi de l’horizon diplomatique, des droits de la personne, de l’éducation, de l’environnement, et des structures du régime constitutionnel. Dans toutes ces sphères, Meretz est sans doute le seul choix possible (4). »

La rédaction de Haaretz compte Gideon Levy, sans aucun doute, avec Amira Hass, le meilleur des spécialistes des territoires occupés. Il publie, presque seul dans les médias israéliens, au moins un long article par semaine sur les malheurs et la misère du peuple palestinien sous l’occupation. Presque seul aussi, il a condamné la guerre israélienne contre Gaza et a répondu vertement à une lettre de l’écrivain Abraham B. Yehoshua (5), et à travers lui au « camp de la paix » qui avait approuvé l’opération à Gaza : « Vous, très estimé auteur, êtes victime de la vague sauvage qui a submergé, paralysé et lavé notre cerveau. Vous justifiez la guerre la plus brutale qu’Israël ait jamais entreprise et, ainsi, vous acceptez indirectement l’idée que l’occupation de Gaza est terminée. (...) Vous jugez un peuple sans défense, à qui l’on refuse un gouvernement et une armée — qui comprend un mouvement qui use de moyens impropres pour une juste cause, la fin de l’occupation —, avec les mêmes critères que vous jugez une puissance régionale qui se considère comme humaine et démocratique mais qui s’est révélée un conquérant brutal et cruel. Comme Israélien, je ne peux pas chapitrer les dirigeants palestiniens alors que nos mains sont couvertes de sang... »

(1) Haaretz est également reconnu pour ses multiples suppléments : The Marker est de loin le meilleur quotidien économique du pays ; le magazine littéraire hebdomadaire (seul dans la presse hébraïque), édité par Saguy Green, est consacré à la fois à la littérature et à la société israéliennes.

(2) 27 juin 2008.

(3) Les autres quotidiens sont Maariv et Yediot Aharonoth, auxquels il faut ajouter le gratuit Israel Hayom. Nous ne traitons pas de la presse nationale dans une autre langue que l’hébreu. The Jerusalem Post (en anglais), de tendance droitière et très nationaliste, est destiné essentiellement aux étrangers qui habitent en Israël. Il existe aussi une presse en russe ; elle est ultranationaliste et ouvertement hostile aux Arabes, et destinée à un million d’immigrants de l’ex-URSS. Enfin une presse en arabe (dont un seul quotidien, l’organe du Parti communiste, qui paraît sans interruption depuis 1944) ; elle critique sévèrement les spoliations du pouvoir envers les citoyens palestiniens d’Israël et des territoires occupés.

(4) 6 février 2009.

(5) 16 et 18 janvier 2009

Publié dans Palestine - Israël

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article