Israel. La femme dans la communauté ultraorthodoxe juive
La femme dans la communauté ultraorthodoxe juive par Patrick Saint Paul Extraits - (Source Le Figaro. 14/10/07)
(....) De plus en plus nombreuse, la communauté ultraorthodoxe exerce une influence croissante sur la société israélienne. Il y a dix ans, seulement deux lignes d'autobus pratiquaient la ségrégation des femmes à Jérusalem. Aujourd'hui, un tiers des habitants de la Ville sainte appartient à la communauté ultraorthodoxe, dont le maire. Les deux principales compagnies d'autobus se sont adaptées et une trentaine de bus pratiquent désormais la ségrégation. Dans des quartiers ultraorthodoxes, à travers le pays, certaines banques imposent des guichets séparés pour les hommes et les femmes.»
Dans la ville de Beit Shemesh, où vit une forte communauté intégriste, les femmes ont interdiction d'emprunter le trottoir qui passe devant la synagogue de la rue Hagar Ish, afin d'éviter les frôlements involontaires entre hommes et femmes. « On ne veut pas d'attroupement de femmes devant la synagogue, raconte Avraham, un étudiant en religion âgé de 31 ans. On doit pouvoir passer sans croiser de femmes, afin d'éviter les tentations. Ainsi, on réduit le nombre de divorces. C'est dans l'intérêt de tout le monde. Les femmes sont très heureuses comme ça, elles aussi. »
Les exemples d'un poids grandissant de la communauté sont légion. À l'automne 2006, à l'annonce du défilé annuel des homosexuels à Jérusalem, des ultraorthodoxes ont incendié les poubelles et barré les rues de la ville pendant une semaine. La gay parade s'est tenue dans un stade universitaire, loin du centre-ville.
Dans un arrêt retentissant, un rabbin éminent a interdit aux femmes d'accéder à des diplômes universitaires, au risque de compromettre l'équilibre économique de la communauté ultraorthodoxe, où les femmes travaillent pour permettre aux hommes d'étudier la Torah. Des rabbins en vue de la minorité ultraorthodoxe la plus extrémiste ont organisé un autodafé d'un monceau de collants, trop ajourés à leur goût.
Et depuis quelques mois, les membres d'une « patrouille de la pudeur » s'en prennent aussi aux femmes vêtues selon eux de façon « provocante », qui circulent dans les quartiers habités par les haredim (ultraorthodoxes) du nord de Jérusalem. La boutique de vêtements féminins Princesse, rue Méa Shéarim, reçoit régulièrement des visites de la patrouille. « Ils nous demandent de retirer de la vente des robes qu'ils jugent trop courtes, explique le patron. Si on veut faire affaires dans le quartier, il faut se plier aux règles : nos vêtements ne doivent rien laisser entrevoir de la peau, mis à part les mains et le visage. »
La crainte de la tentation sexuelle est permanente dans la société ultraorthodoxe. Les femmes doivent adopter une tenue pudique qui implique de cacher ses cheveux, ses bras et même ses chevilles. Tout contact physique avec un homme autre que son mari est interdit à la femme, au point qu'elle ne doit jamais se retrouver seule avec lui.
Ces contraintes limitent fortement les capacités de sortie des femmes, que ce soit pour les loisirs ou le travail. Les mariages se font jeunes et sont souvent arrangés. Ils ont pour but d'avoir un maximum d'enfants. Sauf cas médicaux, les familles ont de cinq à dix enfants (sept par famille en moyenne en 2005). Il s'agit pour les haredim d'un commandement religieux important : « Croissez et multipliez. » La femme est soumise à son père jusqu'au mariage, puis à son mari.
Boucher à Méa Shéarim, Joel Kreuz, issu de la Edah Haredit, la tendance la plus radicale des ultraorthodoxes, dirige un comité de surveillance des magasins. « Si les commerçants se mettent à vendre des vêtements laïcs, le quartier sera envahi par un public indésirable, explique-t-il. Nous vivons ici en communauté afin d'échapper aux évolutions négatives du monde extérieur. » À Méa Shéarim, dont les accès sont fermés aux voitures pendant le shabbat, sous peine d'être caillassées, des panneaux rappellent aux visiteuses de se vêtir pudiquement.
Les ultraorthodoxes rejettent toute une part de la modernité occidentale et considèrent le monde qui les entoure comme une source permanente de perversion. La télévision et la publicité sont une source d'images « explicites » qui ne sont pas les bienvenues, notamment parce qu'elles peuvent propager des valeurs d'indépendance de l'individu, d'égalité des religions et des sexes.
Les haredim vivent généralement en marge de la société laïque, dans leurs quartiers et sous la direction de leurs rabbins, seule source de pouvoir pleinement légitime à leurs yeux. Ainsi, Joel Kreuz n'utilise que les téléphones portables kasher, sans accès à Internet ni aux SMS. Il s'est débarrassé de son ordinateur lorsqu'Internet a fait son apparition, pour ne pas être exposé aux images occidentales. Il n'a jamais vu un film de sa vie.
Pour les ultraorthodoxes, la Torah doit être la source de toute législation, et le refus de l'État hébreu d'accepter ce principe lui retire sa légitimité. Ainsi, les hommes en noir sont opposés à l'élaboration d'une Constitution, lui préférant le système actuel de « lois fondamentales ».
L'écrasante majorité des ultraorthodoxes participe néanmoins aux élections, où ils votent pour des partis qui les représentent. Mais pas Joel Kreuz, qui, en accord avec l'idéologie radicale de la Edah Haredit, est violemment antisioniste. Il ne participe à aucun scrutin politique, rejette les subventions de l'État et refuse de bénéficier du système israélien de couverture sociale et médicale. Il juge « positive » la séparation totale imposée aux femmes dans certains régimes islamiques. « Chez nous, il y a du laisser-aller, regrette-t-il. Les femmes devraient être couvertes de la tête aux pieds, y compris le visage. »
Même dans la communauté ultraorthodoxe, ceux qui prônent ouvertement des pratiques discriminatoires aussi radicales font figure d'exceptions. Cependant, à bord du bus de la ligne 40, personne ne s'offusque de la séparation imposée. Un rabbin affirme remercier trois fois par jour l'Éternel pour la création des bus séparés. « La séparation entre hommes et femmes est un principe fondamental de la loi juive, dit-il. On se porte mieux lorsqu'on ne voit pas les femmes. » Selon ce rabbin, même une femme enceinte ne peut pas s'asseoir à l'avant si la section réservée aux femmes à l'arrière est complète. « Cela peut vous sembler étrange, dit-il. Mais on ne peut tolérer aucune entorse à la loi, sinon il n'existe plus de loi. »
À l'arrière, les femmes ultraorthodoxes ne se disent pas choquées. « C'est mieux pour nous, car si nos hommes ne sont pas tentés, nous évitons les infidélités. Et puis, nous échappons aussi aux regards inappropriés des hommes et aux agressions en tout genre », affirme une femme revêtue d'une longue robe noire et coiffée d'un foulard. (...)