Iran. L'option militaire est-elle toujours de mise ?
Iran. L'option militaire est-elle toujours de mise ? Par Gilles Paris (Le Monde | 30.09.09)
Peut-on arrêter l'Iran par la force ? En août 2007, dans une formule spectaculaire, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, avait évoqué "une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". L'option militaire n'a jamais été écartée par les pays ouvertement hostiles au programme nucléaire iranien. Déjà déployées en nombre dans la région (Irak, Golfe, Afghanistan), les forces armées des Etats-Unis disposent des moyens nécessaires pour une opération d'envergure, mais à Washington, le discours sur l'Iran privilégie depuis des mois la double voie de la diplomatie et des sanctions économiques. Il en va de même pour les alliés européens.
Les autorités israéliennes sont de fait les seules à défendre ouvertement la légitimité d'une attaque préventive de l'Iran pour le cas où toutes les tentatives diplomatiques en cours seraient jugées impuissantes.
Les déclarations provocatrices du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, annonçant régulièrement la fin de l'Etat juif ont alimenté un discours israélien sur une "menace existentielle" justifiant un recours à cette option. La réalité d'une menace directe contre Israël doit être relativisée compte tenu des capacités de seconde frappe israéliennes. Leministre israélien de la défense, Ehoud Barak, l'a écartée le 17 septembre. Mais un Iran nucléarisé constituerait la première remise en question de la doctrine Begin, selon laquelle Israël doit conserver dans la région le monopole du nucléaire, même si le pays, non signataire du traité de non-prolifération (TNP), entretient une ambiguïté de plus en plus formelle sur la question.
Une intervention militaire s'inscrirait dans une histoire déjà longue de raids spectaculaires comme la destruction de la centrale nucléaire d'Osirak (1981), ou plus récemment le bombardement d'Al-Kibar, en Syrie (2007), un site suspecté par Israël d'accueillir des installations nucléaires. Mais le cas iranien constitue cependant un redoutable défi à la fois en termes de renseignements et de réalisation.
Que sait Israël du programme nucléaire iranien et de son éventuelle application militaire ? En juin, lors d'une audition à la Knesset, le responsable du Mossad, l'agence de renseignements israélienne, Meir Dagan, a créé la surprise en indiquant que, selon ses estimations, l'Iran ne pourrait disposer d'une arme nucléaire qu'à l'horizon 2014, alors que les pronostics sont ordinairement plus alarmistes.
Couloir aérien
Compte tenu de l'importance du programme iranien et des moyens israéliens, une opération militaire israélienne devrait se concentrer, selon une étude publiée en mars des experts Abdullah Toukan et Anthony Cordesman (du Centre d'études stratégiques et internationales de Washington), sur un nombre limité de sites. Deux modes opératoires sont possibles. Le premier consisterait à recourir à des missiles (balistiques ou de croisière) que l'Iran serait incapable de détruire en vol. Les limites de cette option résident à la fois dans la puissance limitée de ces missiles (sauf à les doter d'une charge nucléaire, ce qui paraît exclu) et dans leur précision au sol. Des bombardements aériens sont également envisageables mais comportent aussi leur part de risques.
Pour pouvoir frapper les sites iraniens, Israël devrait tout d'abord s'assurer d'un couloir aérien, alors que les routes les plus directes (par la Jordanie ou par l'Arabie saoudite) sont délicates pour des raisons politiques, et mobiliser une flotte importante de bombardiers, d'avions de combat, de ravitailleurs et d'appareils chargés de brouiller les réseaux de communication et les radars des zones survolées.
L'armée israélienne a cette capacité mais les obstacles n'en sont pas moins multiples. Il y a tout d'abord les défenses anti-aériennes iraniennes. Les Israéliens tentent d'empêcher l'achat par l'Iran du système de défense anti-aérien russe S-300. Dans l'étude déjà mentionnée, MM. Toukan et Cordesman soulèvent un autre problème : les limites des bombes "brise bunkers" (les installations iraniennes sont souterraines et protégées par des boucliers de béton), GBU-27 et GBU-28, fournies par les Etats-Unis et qui requièrent, pour être pleinement efficaces, d'être larguées avec une précision absolue et un angle déterminé.
Quel serait le bilan d'une telle attaque ? Une destruction définitive du programme iranien est exclue par les experts militaires. Dans le meilleur des cas, ce dernier ne serait que retardé de quelques années. Pour un prix humain, géopolitique, voire environnemental qui ne pourrait être que très élevé.