Inde. Une tribu résiste contre une mine sacrilège

Publié le par Un monde formidable

Inde. Une tribu résiste contre une mine sacrilège par Pierre Prakash (Le Temps . Ch. 03/08/10)

Les Dongria Kondh, dans l’ouest de l’Etat de l’Orissa, luttent pour empêcher un géant minier de forer leur colline sacrée et d’y extraire de la bauxite. Le film «Avatar» devenu réalité, disent les ONG

Ils sont une petite centaine, assis à l’ombre d’un manguier, en pleine forêt, à trois heures de marche de la première route. Torse nu ou vêtus de chemises usées, cheveux longs pour la plupart, certains portent leur hache sur l’épaule. Un peu à l’écart, quelques femmes cueillent de grosses feuilles, qui serviront d’assiette à l’assemblée pour le déjeuner qu’elles préparent sur un feu de bois.

 (...) Malgré la chaleur qui règne sur ces collines perdues de l’ouest de l’Etat de l’Orissa, les Dongria Kondh ont marché de tous les villages alentour pour venir assister au «meeting». Un énième rendez-vous de jungle organisé par une poignée de militants qui tente d’organiser cette communauté quasi coupée du monde face au danger qui les menace: une mine de bauxite, que la multinationale Vedanta Resources veut creuser au sommet de leur colline. Le pire sacrilège qu’ils puissent imaginer, puisque c’est le territoire de Nyam Raja, le dieu tout-puissant de cette tribu de 8000 âmes.   «Si on creuse notre montagne, les sources se tariront, la forêt disparaîtra et les Dongria Kondh mourront, martèle le vieux Dodhi, un des leaders de la tribu. Nous ne laisserons jamais faire: quiconque tente de monter là-haut sera tué sur place.» Un avertissement qu’il vaut mieux ne pas prendre à la légère: à deux reprises, ces derniers mois, des membres de la tribu ont brûlé des jeeps de Vedanta venues en reconnaissance. Comme l’a fait remarquer l’ONG Survival International au réalisateur hollywoodien James Cameron, son film Avatar n’est pas qu’une fiction. L’histoire des Dongria Kondh est en effet très proche de celle des Na’vi.

Déterminée à exploiter les énormes réserves de bauxite que contiennent ces collines de Niyamgiri, Vedanta a commencé par construire, entre 2002 et 2006, une gigantesque raffinerie d’alumine au pied des collines, sans avoir obtenu la licence pour creuser la mine. Une politique du fait accompli: à l’heure où l’Inde drague les investisseurs étrangers, comment les autorités pourraient-elles s’opposer à ce projet alors que le groupe a déjà investi 1 milliard de dollars dans cette usine qui, sans la mine, ne sert à rien?   Malheureusement pour Vedanta, les choses n’ont pas été aussi simples. Si les autorités locales ont joué le jeu – en expropriant manu militari les villageois qui ne voulaient pas céder leurs terres pour l’usine –, les organisations de défense des droits de l’homme, les mouvements écologistes et les défenseurs des populations tribales sont, eux, montés au créneau. Résultat: depuis un an et demi que les opérations ont commencé, l’usine est contrainte d’acheminer la bauxite des quatre coins du pays. Dans cette région autrefois déserte, des centaines de camions sillonnent ainsi les minuscules routes pour amener la matière première qui aurait dû être extraite à quelques kilomètres. Selon un responsable qui requiert l’anonymat, le groupe perd ainsi «des centaines de milliers d’euros par jour».

(...) Tous plus accablants les uns que les autres, les rapports de différentes ONG et de la Cour suprême indienne ont poussé plusieurs investisseurs – dont le gouvernement norvégien, l’Eglise d’Angleterre et le fonds de pension néerlandais PGGM – à vendre leurs parts dans Vedanta. «C’est la loi du marché, mais je vous assure que nous n’avons aucun problème pour trouver des financements pour nos projets partout dans le monde», sourit Mukesh Kumar, directeur du site indien et porte-parole de la compagnie.

L’assemblée générale du groupe, à Londres mardi dernier, a cependant été perturbée par des manifestants – pour certains déguisés en Na’vi –, et des actionnaires ont critiqué le manque de transparence des dirigeants.  La direction s’est, elle, contentée de répondre qu’elle ne faisait qu’«étendre la richesse» dans l’une des régions les plus pauvres de l’Inde. Et le géant minier est loin de capituler, comme en témoigne l’agressive campagne de publicité menée ces derniers mois en Inde pour souligner les efforts entrepris pour le «développement» de cette région oubliée. Le groupe affirme avoir dépensé près de 17 millions d’euros depuis 2004 dans des projets d’infrastructures, de soins et d’éducation pour les populations vivant autour de l’usine. Vrai et faux, car si l’argent a bien été dépensé, les habitants affirment que leur sort ne s’est pas pour autant amélioré.

Pire, selon eux, l’usine déverse des déchets toxiques qui empoisonnent les cours d’eau. Vedanta se dédouane en citant un rapport gouvernemental qui a réfuté toute contamination. Mais, comme le souligne un journaliste local, «toute l’administration locale est aux ordres de Vedanta, et une bonne partie des médias a été achetée». L’affaire est entre les mains du Ministère de l’environnement. En février, un rapport de ses services est arrivé aux mêmes conclusions que les ONG, mais cela n’engage à rien dans ce dossier où la règle semble être de ne pas faire peur aux investisseurs: malgré les trois rapports accablants du groupe d’experts qu’elle avait nommé sur ce dossier, la Cour suprême a, elle, donné son feu vert à la mine.

Publié dans Environnement

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