Haïti chérie

Publié le par Un monde formidable

Haïti chérie par Audrey Pulvar (France Inter. 05/11/10)

A l’heure où l’on se parle, à l’heure où l’on s’écoute, Haïti subit la férule de Thomas. "Haïti chérie" dit la chanson, frappée par une tempête tropicale, peut-être renforcée en ouragan de première catégorie lors de son passage sur cette île double, partagée entre l’Etat haïtien et celui de Saint-Domingue. Haïti sa misère endémique, son analphabétisme, sa violence et sa vulnérabilité aux catastrophes naturelles de tous types. 250 000 morts en début d’année, après le séïsme du 12 janvier et un million et demi de sans abris. 450 morts en trois semaines d’épidémie de choléra. Et peut-être de nouvelles victimes, en grand nombre, avec l’arrivée de ce nouveau sinistre nommé Thomas. La saison cyclonique est pourtant terminée. En général elle s’étire du 15 juin au 15 octobre dans la mer des Caraïbes et cet ouragan, déclassé en tempête tropicale, mais qui pourrait reprendre de la vigueur entre aujourd’hui et demain ressemble fort à un nouveau très mauvais sort fait à un pays qui n’a pas les moyens d’y faire face.

Pas une année sans son lot de disparitions brutales en Haïti, souvent présentée comme l’un des pays plus pauvres du monde. On se souvient en 2008 des quatre cyclones successifs qui avaient fait plusieurs centaines de morts et dévasté les infrastructures agricoles, causant par la suite une famine. Les images d’enfants mangeant des galettes de boue avaient bouleversé le monde entier. La boue justement, celle qui dévale régulièrement les mornes, glisse, emportant avec elle habitations précaires et les gens dedans.

3 000 morts d’un coup après des glissements de terrain et inondations en 2004. Haïti chérie, Haïti maudite ? Non, s’élèvent la plupart des haïtiens. Non tout cela ne relève pas d’une fatalité, d’une punition qu’il lui faudrait expier. Le pays fait partie d’un archipel, à quelques encablures, d’autres îles connaissent cette terrifiante conjonction : exposées aux même risques de séismes, d’ouragan, de tsunami et d’éruption volcanique, elles connaissent également la fréquentation de la tragédie.

Aucune, pourtant, ne compte autant de victimes qu’Haïti. Peut-être parce qu’elles n’ont pas vu obérer leurs finances pendant près de deux siècles par une dette exorbitante à payer pour leur indépendance, peut-être parce qu’elles n’ont pas vécu la prédation de dictatures héréditaires éhontément soutenues par les anciennes puissances colonisatrices. Peut-être parce qu’elles ne sont pas gangrénées par la même corruption de gouvernements successifs, d’un appareil d’état malingre et d’une police aux allures de milice.

Sans doute également parce que la pauvreté n’y provoque pas une déforestation massive. Haïti a tellement coupé d’arbres pour en faire du bois de cuisson que moins de 2% du territoire sont couverts de végétation. Plus d’arbre, plus de barrières naturelles pour se prémunir des inondations et coulées de boue, ni du moindre coup de vent. Fut-il celui d’une simple tempête tropicale. Qui sait combien d’hommes, de femmes et d’enfants auront encore été emportés aux premières lueurs de l’aube, dans quatre heures, dans cette partie du monde ?

Chers tous, nous venons de consacrer trois minutes de notre temps à penser à Haïti.

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