Guinée. Rien ne vaut un bon vieux coup d'Etat

Publié le par unmondeformidable

Rien ne vaut un bon vieux coup d'Etat (Le Pays. Burkina Faso)

Des militaires dirigés par Moussa Camara ont pris le pouvoir, le 22 décembre, après le décès du président Lansané. Une nouvelle illustration de l'échec des processus de démocratisation en Afrique.

Une nouvelle ère s'annonce-t-elle en Guinée ? Pour sa première grande sortie publique, le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte guinéenne, s'est présenté en véritable messie, décidé à "balayer" la maison guinéenne. Les jeunes prétoriens n'entendent pas pour autant s'installer durablement aux commandes du pays. Mais sauront-ils tenir parole ? Avant eux, feu le général Robert Gueï [arrivé au pouvoir le 24 décembre 1999, il a été renversé par Laurent Gbagbo en octobre 2000] avait tenté l'expérience en Côte d'Ivoire avant de céder aux sirènes du pouvoir.

Les nouveaux dirigeants guinéens se sont eux-mêmes imposés deux ans d'exercice afin d'organiser des élections libres et transparentes et de se retirer du pouvoir. Mais la question se pose de savoir si l'ambition de moraliser les services publics pourra se réaliser avant la tenue effective de la consultation électorale. Aura-t-on vraiment le temps d'isoler le bon grain de l'ivraie avant de confier les rênes de l'Etat à un leadership plus clairvoyant ? Il est de notoriété publique que l'Etat guinéen est en faillite. Sa classe politique a depuis longtemps abdiqué. On comprend pourquoi le nouveau dirigeant a fustigé tous ceux qui ont profité des deniers publics, soulignant au passage qu'ils devront rendre gorge. Mais les deux ans de délai paraissent excessifs aux yeux de certains acteurs politiques guinéens.

Ceux-ci semblent pressés de tourner la page de la dictature après avoir enduré vingt-cinq ans de gestion du parti unique de feu le président Ahmed Sékou Touré et vingt-quatre ans de pouvoir autocratique du clan Conté. Mais combien d'entre eux sont-ils vraiment indemnes de tout soupçon ? Les formes de gouvernance paraissent avoir tant marqué la classe politique et la société civile que celles-ci n'ont même pas trouvé utile de condamner le coup de force. Même les anciens dirigeants n'ont pas eu le sursaut de dignité qui aurait permis de gêner la manœuvre des auteurs du coup d'Etat. Sans doute celui-ci était-il prévisible. Mais combien de Guinéens y croyaient-ils en vérité ? La vacance du pouvoir était réelle et les jeunes soldats n'ont eu qu'à le cueillir. Pour beaucoup en tout cas, le jeune capitaine semble "tombé du ciel", en cette fin d'année. Une grande majorité de Guinéens, surtout les millions de la diaspora, ne se gêneront pas pour fêter bruyamment ce changement de régime, qui porte les espoirs d'un peuple longtemps sevré de tout ou presque. Que fera-t-on de la Constitution, dont on se réclame, mais qu'en réalité personne ne veut jamais respecter, comme partout ailleurs en Afrique ? Et surtout quel avenir pour la classe politique ?

Après la Mauritanie, on semble donc s'acheminer vers une nouvelle forme de rupture du pouvoir, qui met mal à l'aise l'Union africaine (UA) et l'Union européenne (UE). La crédibilité de ces deux organisations se trouve chaque jour mise à rude épreuve puisqu'elles se contentent de défendre "la légalité constitutionnelle", de brandir des sanctions face aux auteurs de coups d'Etat. A aucun moment on ne les entend s'attaquer aux vraies causes des "épidémies politiques" qui rongent l'Afrique. Aux yeux de l'opinion africaine, leur silence face au tripatouillage des constitutions, à l'incurie des acteurs politiques et au bâillonnement des libertés les décrédibilise sans appel. 

Il va de soi que de plus en plus d'Africains s'interrogent sur leurs décisions, qui confortent les pouvoirs établis et annihilent à terme les luttes des peuples. On l'a vu dans le cas de la Mauritanie et avec ce qui se passe à Conakry, il faut s'attendre à voir les masses africaines appuyer ouvertement les auteurs de coups d'Etat face à l'incurie de gouvernants sourds, aveugles et corrompus. Jour après jour, en dépit des protestations et des mesures punitives, les Africains voient ainsi se perpétuer les coups d'Etat qu'on voudrait pourtant révolus. C'est que le mal se trouve ailleurs. Et les remèdes bureaucratiques et démagogiques des instances internationales n'y peuvent rien.

Les sanctions et les professions de foi ont leurs limites. Il est temps de faire le point des expériences démocratiques menées sur le continent. Car force est de reconnaître que trop d'échecs ont été enregistrés ces dernières années dans les processus démocratiques. Il est aussi temps pour la communauté internationale de s'arrimer au destin des peuples et non à celui des dirigeants. La gestion de l'expérience démocratique pourrait être confiée à une structure internationale indépendante et crédible ; les Africains sont fatigués de leurs gouvernants qui ont chosifié la politique et travesti la démocratie. (...)

Comme dans les pays du Nord, le contribuable africain aspire à de profonds et réels changements. Et devant le refus de véritables alternances, il ne faut pas s'étonner de le voir applaudir un justicier qui lui promet des lendemains meilleurs

Publié dans Afrique de l'Ouest

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