Guinée-Bissau. Le trafic de "coke" représenterait un montant supérieur au Pib

Publié le par Un monde formidable

L'Afrique, terre promise des narco-Etats. Le trafic de "coke" représenterait en Guinée-Bissau un montant supérieur au Pib. ParPierre Malet (Source slate.fr jeudi, 5 mars 2009)

Au petit matin, le 2 mars, le président de Guinée-Bissau, Joao Bernardo Vieira a été assassiné par des militaires du pays qu'il était censé diriger. Une vendetta des plus rapides : ces hommes en kaki soupçonnaient le Président d'être le commanditaire de l'attentat à la bombe qui avait tué quelques heures plus tôt, le chef d'Etat major, Tagmé Na Waié. Les « deux hommes forts » de cette ex-colonie portugaise se détestaient depuis des années. La violence de ce règlement de compte à « OK Bissau » est-elle avant tout l'expression d'un énième conflit de pouvoir en Afrique ? Sans doute. Mais cette issue fatale ne peut s'expliquer si l'on fait abstraction du nouvel objet de tous les désirs : la poudre blanche venue d'Amérique latine.

La Guinée-Bissau est en passe de devenir le premier « narco-Etat » d'Afrique.
Ces dernières années, les pêcheurs de ce pays côtier ont multiplié les prises miraculeuses. Ainsi dans le village d'Ondame, des « petits chanceux » ont remonté dans leurs filets des paquets de cocaïne. Certains d'entre eux ont répandu la poudre blanche sur leurs plants de tomates, qui ont rapidement dépéri. D'autres ont assaisonné leurs plats avec. Tout est rentré dans l'ordre lorsque deux « latinos » ont débarqué peu de temps après dans un jet privé, avec un cadeau de nature à plaire aux « indigènes » :  une valise contenant un million de dollars en petites coupures.

La Guinée-Bissau est un « paradis » pour les narcotrafiquants. A lui seul l'archipel des Bijagos, situé au large de Bissau, la capitale, compte une centaine d'îles. Certaines d'entre elles sont désertes et leur végétation particulièrement fournie. Des avions venus d'Amérique latine larguent la nuit des paquets sur les plages de cet archipel. Avant que des bateaux de la marine nationale ne viennent les récupérer.

Un journaliste local, Allen Yéro Embalo avait eu la « mauvaise idée » de filmer ces scènes. Depuis lors, il a dû quitter son pays. Les trafiquants lui avaient offert une alternative très simple. Comme en Amérique latine « plata o plomo », l'argent ou le plomb. Il devait accepter de la cocaïne qu'il pourrait vendre, sinon il serait tué. Sa famille aussi était menacée. Sa maison a été mitraillée avant qu'il ne décide de prendre le chemin de l'exil. Selon Allen Yero Embalo « dans les rues de Bissau les trafiquants colombiens se promènent tranquillement comme s'ils étaient chez eux. D'autant qu'ils ont des complices au plus haut niveau de l'Etat ». Dans les coffres des 4x4 rutilants qui sillonnent la ville, les kilos de cocaïne circulent tranquillement. Les policiers en ont saisi 674 kilos en 2006, mais ceux-ci ont mystérieusement disparu du bâtiment où ils étaient stockés. Les deux Colombiens arrêtés en possession de la cargaison ont été libérés sans explication.

Pour les bateaux de la marine nationale, la chasse aux trafiquants est des plus difficiles : le plus souvent, le carburant leur fait défaut. Ce qui au fond tombe bien, car les chefs de la marine sont supectés d'être les principaux organisateurs du trafic. Les autorités ont d'autant moins l'intention de faire la chasse aux trafiquants que le « business de la coke » rapporterait, selon les Nations unies, un montant supérieur au Pib (Produit intérieur brut)de la Guinée-Bissau. La veille de l'assassinat du Président de Guinée-Bissau, la population du pays voisin, la Guinée-Conakry était, elle aussi, sous le choc. Ousmane Conté, le fils du Président défunt Lansana Conté faisait des aveux télévisés : « Je reconnais être impliqué dans le trafic de drogue en Guinée (Conakry). C'est vrai je suis dans cette affaire de drogue, je le reconnais, mais je n'en suis pas le parrain ». D'autres membres de cette illustre famille sont suspectés d'avoir participé à un vaste trafic. Les aveux du fils du Président ont été arrachés après des interrogatoires menés en prison par ...Moussa Dadis Camara, le nouveau Président autoproclamé. Avant d'accéder aux plus hautes fonctions, Moussa Dadis Camara entretenait d'excellentes relations avec les fils de l'ex- Chef de l'Etat. Plusieurs hauts gradés de la junte qu'il vient de mettre en place sont suspectés d'entretenir des liens étroits avec les narcotrafiquants.

Au cours des derniers mois, les saisies spectaculaires se sont multipliées dans toute  l'Afrique de l'Ouest : de la Mauritanie au Nigeria en passant par le Mali ou le Togo. L'Afrique de l'Ouest est une terre d'élection pour les narcos car elle constitue une nouvelle route très prisée pour atteindre l'Europe. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), près de 50 tonnes de cocaïne à destination de l'Europe transitent chaque année par cette région. Autre avantage de l'Afrique pour les narcos, elle est aussi une terre de blanchiment « aisé ». Dans des pays comme le Sénégal, le Ghana ou le Bénin, qui sont stables et où les prix des logements flambent, les investissements dans l'immobilier ne sont guère contrôlés. Dans ces Etats qui comptent parmi les plus pauvres de la planète, l'investisseur fortuné est vu comme un « bienfaiteur » auquel il serait mal venu de poser trop de questions.

Au Bénin, des hommes d'affaires qui ont fait fortune grâce au trafic de stupéfiants parviennent même à obtenir des immunités parlementaires. « Ils financent la campagne de candidats à la députation, se font inscrire comme suppléants, puis  demandent à leur poulain de démissionner une fois l'élection acquise. Ainsi, ils se retrouvent à l'Assemblée nationale  » explique Marcus Boni Teiga, directeur de l'hebdomadaire Le Bénin Aujourd'hui. Autre écueil, les autorités africaines sont rarement très motivées pour lutter contre le trafic. Selon Martinho Dafa Kabi, ex-Premier ministre de Guinée-Bissau, la cocaïne est un problème d'Occidentaux :  « Ici, personne n'en fabrique ou n'en consomme, et nous sommes trop faibles pour lutter seuls ». Un point de vue largement partagé sur le continent. Sur les routes de l'Ouest africain, il n'est pas rare de rencontrer de jeunes Nigérians qui répondent tout simplement à la question « Qu'est ce que vous faites dans la vie ? » « I'm in dope business » (Je fais dans les affaires de dope) comme si c'était un métier comme un autre. Un de ceux qui sont ouverts à tous ceux qui ont le sens des affaires : en Afrique, la petite entreprise des narcos ne connaît pas la crise

Publié dans Afrique de l'Ouest

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