Grèce. Konstantina Kuneva, femme, immigrée, syndicaliste et martyre

Publié le par unmondeformidable

8 mars en Grèce : Konstantina Kuneva, femme, immigrée, syndicaliste et martyre. Par Gilda Lyghounis. Traduit par Mandi Gueguen (Source : Le Courrier des Balkans. 7 mars 2009)

Cette année, en Grèce, le 8 mars, journée internationale des femmes, est dédié à une femme bulgare, Konstantina Kuneva. Elle a immigré en Grèce en 2002. Depuis lors, elle s’est battue pour les droits des « esclaves modernes », les employé(e)s de ménage, le plus souvent immigré(e)s. Il y a deux mois, des agresseurs, toujours pas identifiés, l’ont gravement blessée à l’acide et au vitriol. Konstantina Kuneva est devenue le symbole de la journée de 8 mars.

(…) Mais qui est Konstantina, que des milliers de féministes, de syndicalistes, d’étudiantes et d’universitaires, de mères de familles avec leurs filles adolescentes portant des brins de mimosas vont honorer lors de la manifestation du 8 mars à Athènes ? Les manifestantes partiront de la station de Kifissia, feront une halte devant le Parlement, pour arriver devant l’hôpital Evanghelismos, où Konstantina Kuneva est soignée.

Konstantina a 44 ans. Diplômée en histoire, elle est arrivée en Grèce en 2002 depuis la ville portuaire de Silistra, située dans le Nord-Est de la Bulgarie, près de la frontière bulgaro-roumaine. Elle était accompagnée de sa mère sexagénaire, et de son fils, aujourd’hui âgé de douze ans et souffrant d’une insuffisance cardiaque. Konstantina a fait ce long voyage pour trouver du travail. Une immigrée parmi tant d’autres, qui a dû oublier son diplôme pour accepter l’unique métier que la Grèce lui offrait : femme de ménage dans une société sous-traitante de l’Isap, qui gère la ligne métropolitaine Le Pirée-Kifissia. Konstantina a fait de ce travail l’étendard de sa lutte contre « l’esclavage moderne » qu’elle a subi avec ses collègues. Elle a réussi à réunir 1700 de ces « esclaves » dans l’Union pan-attique du personnel de nettoyage et de maison (PECOP), dont elle est devenue la secrétaire générale. Durant toutes ces dernières années, Konstantina a signalé, à tout occasion, les abus subis.

Par exemple, la société de nettoyage, Oikomet, dont dépendait (précairement) Konstantina, et qui « loue » les services de ses employés à des entreprises publiques, contraignait les travailleurs, des femmes pour la plupart, à signer des contrats « blancs », dont elles ne recevaient jamais la copie. Des six heures journalières de travail effectif, seules 4.5 leur étaient payées, sans jamais dépasser les 30 heures hebdomadaires, seuil à partir duquel l’activité est reconnue comme un travail ouvrant droit aux contributions et bénéfices prévus par la loi. Le conflit concernait aussi le treizième mois, que l’entreprise aurait voulu d’abstenir de verser, alors qu’il est prévu par les contrats, en n’accordant qu’une petite somme aux employés : cette affaire a déjà été portée devant la justice.

Lutter contre ce type d’exploitation signifiait, pour la syndicaliste bulgare immigrée en Grèce, une condamnation à mort : destin auquel Konstantina n’a échappé que d’un cheveu. Elle était belle et attirante, avant cette nuit du 23 décembre 2008. Un groupe d’inconnus l’attendait en dessous de chez elle, dans les faubourgs populaires de Petralona et lui a jeté du vitriol au visage et sur les épaules, en l’obligeant même à avaler de l’acide pour lui clouer le bec à jamais.  (…)

Aujourd’hui, après deux mois et demi, un de ses yeux vert clair a recommencé à distinguer la silhouette de qui vient lui rendre visite. Il aura fallu trois interventions de chirurgie plastique reconstructrice, dans l’attente de soigner plus profondément les organes internes brûlés par l’acide, l’estomac et les poumons. Les soins sont payés grâce à une collecte à laquelle ont contribué ses collègues, tous les syndicats grecs, beaucoup d’administrations communales, des milliers de citoyennes hellènes ou immigrées, mais aussi des personnes de toute l’Europe qui ont répondu à l’appel lancé sur Internet et même publié par le journal français Libération. L’État grec, en revanche, ne paie rien, car Konstantina Kuneva n’a aucun droit de Sécurité Sociale. Parallèlement, l’enquête policière se poursuit pour retrouver les agresseurs, mais sans aucun résultat : un immigré albanais a été arrêté puis relâché pour manque de preuves.  (…)

La syndicaliste bulgare a perdu son autre œil pour toujours. « Konstantina commence à parler, seulement depuis peu, avec l’aide d’un appareil spécial », raconte la psychiatre (Katerina Matsa, interviewée par le quotidien athénien Eleftherotypia). « Avant, elle communiquait en me touchant le visage et en écrivant difficilement des petits messages sur des bouts de papier. Elle m’a dit qu’elle aimait la musique : Mozart, Andrea Bocelli, parce qu’il est aveugle comme elle l’est maintenant »… Des cicatrices lui couvrent le visage et les mains, rougies par des années de dur labeur.

Ces signes extérieurs de souffrance s’atténueront peut-être grâce aux interventions chirurgicales. Les cicatrices intérieures perdureront, toutefois, jusqu’à hurler d’indignation et de douleur contre qui voulait la voir morte, parce qu’elle a osé défendre celles qui ont été réduites en esclavage par un marché de travail digne du Moyen Age. Une mission, à laquelle Konstantina continuera à se dédier de toutes ses forces, comme elle l’a déjà dit. Mais à sa manière. 

Car Konstantina n’est pas femme à chercher la publicité. Elle a refusé le siège au Parlement européen que lui ont offert deux partis de l’opposition : le Pasok (« Lui offrir un poste en liste serait envoyer un signal à toute la société, une action symbolique de respect et de dignité envers une femme qui n’a certainement pas été accueillie avec hospitalité en Grèce »), et la coalition de la gauche réformiste Syriza (« Konstantina Kuneva est l’emblème de la femme travailleuse, immigrée, syndicaliste »). La réponse de Konstantina : « Non merci. Je ne descendrais en lice que si l’Union pan-attique des employés de ménage se présentait aux élections ». La vice-présidente du syndicat, son autre ange gardien, à côté de sa mère et de la psychiatre, s’indigne : « les partis de gauche se souviennent d’elle seulement maintenant qu’elle est blessée ? Pourquoi ne l’ont-ils pas fait quand elle allait bien, qu’elle était forte et qu’elle se battait pour nos droits ? ». Il semblerait d’ailleurs que la société Oikomet, le sous-traitant chargé de l’entretien dans les stations de la ligne Kyfissia-Le Pirée, soit la propriété d’un vieux cadre du Pasok.

Dans tous les cas, le combat continue. La semaine dernière, les collègues de Konstantina Kuneva ont occupé les bureaux de la ligne et ont obtenu la révision du contrat d’Oikomet pour qu’elles soient embauchées à durée indéterminée. Depuis l’hôpital, Konstantina a souri en apprenant la nouvelle. (…)

Publié dans Europe de l'Est

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