France/Suisse. A propos des minarets
Tarek Oubrou, imam de Bordeaux (tribune parue dans Le Monde. 05/12/09):
(...) « L'ironie dans toute cette histoire, c'est que les Suisses ont voté contre un objet architectural d'origine chrétienne et non musulmane. Le minaret (en arabe sawma'a, qui veut dire "cellule d'ermites") est un monument inspiré des chrétiens orientaux de Shâm (Grande Syrie). Il est postérieur à l'islam. Ni la Mosquée du Prophète à Médine ni celle de La Mecque n'avaient de minaret. Faisons alors comme les premiers musulmans, inspirons-nous de notre environnement contemporain et ne restons pas figés dans le passé. » (...)
Faut-il interdire les affiches anti-minarets? Par Valérie de Graffenried
Le gouvernement de Bâle-Ville a décidé d’interdire les affiches en raison de l’«idéologie raciste» qu’elles véhiculent. Des médias vont dans le même sens. Utile? Le Comité d’Egerkingen se frotte les mains
Le Comité d’Egerkingen n’a pas fait dans la dentelle. Son affiche représentant une femme en burqa au regard menaçant et sept minarets qui transpercent le drapeau suisse choque. A tel point que des villes et des cantons, où les affiches devraient faire leur apparition ces prochains jours, songent à l’interdire. Le gouvernement de Bâle-Ville a déjà fait le pas, comme le soulignait hier le Tages-Anzeiger. D’autres, comme Zurich, préfèrent attendre l’avis de la Commission fédérale contre le racisme avant de trancher. Délicate, l’affaire pose l’épineuse question des limites de la liberté d’expression et d’opinion dans le débat politique. Surtout, elle promet une publicité inespérée aux initiants qui manquent de sous.
Du côté romand, la municipalité de Lausanne devrait prendre une décision aujourd’hui. A la RSR, Olivier Français a déclaré mardi soir qu’il ferait une proposition pour l’interdire. A Genève, où la discussion autour de l’affiche controversée devrait aussi avoir lieu ce mercredi, le conseiller administratif Pierre Maudet, qui qualifie la campagne de «haineuse, irresponsable et dangereuse», se range plutôt du côté de la liberté d’expression. «En 2007, nous avions autorisé les affiches des moutons noirs en lui opposant une contre-affiche. Une démarche politique qui me semble plus intelligente qu’une censure ou une passivité totale», souligne-t-il.
Coup médiatique
Pour le publicitaire Jean-Henri Francfort, l’affiche, avec son message réducteur, atteint son but. La communication politique vise avant tout les indécis et un langage hésitant n’atteindrait pas sa cible, dit-il. «Le recours au graphisme et non à la photo permet des représentations univoques, simples et évocatrices. Moutons noirs et minarets noirs sont des symboles que tout le monde décode. Mieux: les minarets connotent les missiles; et leur façon de pousser un peu partout sur un autre symbole simplissime, le drapeau suisse, est de nature à faire peur à ceux qui ont déjà peur… Enfin, la femme en burqa «verrouille» le message, au cas où la forme des minarets serait mal décodée par certains: on est en plein «islam de comptoir»!» commente-t-il.
Mais il met en garde: une interdiction de l’affiche serait en fait lui rendre le meilleur des services. «Les publicitaires cherchent toujours le coup médiatique pour pallier l’insuffisance de budget.» Sur le plan légal, rien n’interdit de représenter un minaret ou une femme en burqa, relativise-il. «Et le texte n’est ni méprisant, ni sujet à caution comme ce fut le cas pour les moutons noirs.» Le Comité d’Egerkingen, composé de 14 UDC et de deux élus UDF, s’est en effet gardé de la rehausser d’un slogan choc.
«Utilisez vos têtes!»
L’image des minarets qui transpercent le drapeau suisse choque davantage Roger Blum, professeur en sciences des médias à l’Université de Berne. «Une telle affiche est un acte politique et son message doit être discuté et commenté dans les médias», souligne-t-il. Si polémique et agressivité peuvent faire partie du débat politique, il est en revanche d’avis qu’elle ne devrait pas être placardée dans l’espace public car les réglementations en matière d’affiches de nombreux cantons prohibent celles qui propagent des idéologies racistes.
Ces affiches au graphisme agressif sont-elles le reflet d’un durcissement progressif du débat politique? Pas vraiment. «Au siècle dernier, le langage politique était infiniment moins aseptisé qu’aujourd’hui: certaines affiches contre le suffrage féminin étaient incroyablement brutales et d’autres contre l’immigration étrangère qui ne faisaient pas de vagues en 1960 créeraient un tsunami aujourd’hui!» rappelle Jean-Henri Francfort.
Récemment, d’autres affiches de l’UDC ont provoqué des remous et interrogations similaires. Celle des moutons noirs pour illustrer l’initiative sur l’expulsion des criminels étrangers ou encore celle montrant des mains basanées qui agrippent des passeports, pour les naturalisations facilitées. A Genève, une affiche pour une votation de mai 2007 comparant les homosexuels à des «pacsés inféconds» avait poussé le Grand Conseil à adopter une résolution pressant le parti blochérien de retirer ses affiches. Une motion socialiste qui demandait au Conseil d’Etat de les interdire avait en revanche été refusée
L’affiche de l’UDC valaisanne pour les élections fédérales de 2007 a aussi été fortement décriée. On y voyait des musulmans, de dos, faisant la prière devant le Palais fédéral pour protester contre les caricatures danoises de Mahomet. Avec le slogan «Utilisez vos têtes! Votez UDC». Saisi de l’affaire, le Tribunal fédéral (TF) a rendu son verdict en avril dernier. Quatre des cinq juges de la Cour ont estimé que l’affiche n’incitait ni à la haine raciale ni à la discrimination religieuse et donc qu’elle ne contrevenait pas à la norme pénale antiraciste. Pour le juge Hans Wiprächtiger en revanche, elle tombait clairement sous le coup de la loi en ridiculisant et rabaissant les musulmans.