France. Pap Ndiaye répond à Eric Besson
"Le bon immigré doir être plus français que le français" (Eric Besson) par Pap Ndiaye *. ITW réalisé par Doan Bui ( Le Nouvel Observateur. 10/12/09)
Le Nouvel Observateur. - Vous appelez aujourd'hui avec d'autres intellectuels à dissoudre le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Besson pire qu'Hortefeux ?
Pap Ndiaye. - Eric Besson n'est que l'instrument de la politique sarkozyenne, mais il en est devenu le plus zélé : normal, le nouveau converti doit toujours en rajouter pour être plus crédible. Besson est de plus dans une hystérisation de sa communication, comme Sarkozy. Donc oui, paradoxalement, il est allé encore plus loin dans la dérive droitière que Brice Hortefeux, ce qui n'est pas peu dire ! Je me rappelle sa première intervention à la radio et son lapsus révélateur : à la place d'immigration africaine, il parle d'invasion africaine... Souffler sur les braises de la xénophobie, c'est la raison d'être de ce ministère. Aujourd'hui, avec l'ouverture du débat, un pas a été franchi. Le site «identité nationale» est un déversoir de racisme : ce sont les immigrés qui sont mis en accusation.
N. O. - Les immigrés sans distinction ?
P. Ndiaye. - Le ministre est obsédé par la chasse aux clandestins. Le résultat de cette politique, c'est le contrôle au faciès, la suspicion sur les Français d'origine étrangère. Les Français «dubitables», ceux à qui on demande toujours d'où ils viennent à cause de leur couleur de peau ou de leurs pratiques culturelles.
N. O. - En même temps, c'est un peu ce que dit Rama Yade sur l'incompréhension entre les Français d'origine étrangère et les Français «canal historique»...
P. Ndiaye. - En affichant une Rama Yade, le gouvernement a pratiqué le tokenism [politique consistant à inclure des représentants des minorités pour donner l'impression de leur intégration, NDLR]. Ou en récupérant des gens comme Gaston Kelman, l'auteur de «Je suis noir et je n'aime pas le manioc», qu'on intronise conseiller... au ministère de l'Immigration ! C'est vrai, il y a beaucoup de discours sur la lutte contre les discriminations. Mais, dans les faits, rien n'a changé ! Au contraire. Avec ce débat, l'immigré, même français, est stigmatisé. On divise la France. Entre mauvais Français et bons Français. Bons immigrés et mauvais immigrés. Le bon immigré doit être dans la «surconformité», être plus français que le Français. En rajouter dans le patriotisme, dans une laïcité intransigeante, aimer le vin et le fromage, pour reprendre le questionnaire du débat. Et toujours dire merci.
N. O. D'où l'exaspération d'Eric Raoult autour des propos de votre soeur Marie NDiaye ?
P. Ndiaye. - Evidemment. Au fond, le message, c'était «nous lui avons donné le Concourt, nous, la France blanche». Elle aurait dû donc montrer de la gratitude. Etre elle aussi dans la surconformité. Raté !
N. O. - Le gouvernement vante la diversité, Eric Besson met en avant sa jeunesse passée au Maroc... Il organise d'ailleurs des dîners citoyens avec l'intelligentsia franco-tunisienne, franco- marocaine...
P. Ndiaye. - La petite élite de la diversité, ce sont les bons immigrés, ceux qu'il faut afficher. Donc on les drague. Moi-même, j'ai été invité à un de ces dîners, celui des Franco-Sénégalais. On m'a convié aussi à des déjeuners privés. J'ai décliné, mais j'ai gardé l'invitation. Où l'on évoque la personnalité des invités «dont la contribution fait honneur à la France et à leurs origines». Cela me fait penser à l'époque coloniale où quelques indigènes étaient élevés au rang de citoyen français pour mérite. On les appelait les «évolués».
(*) historien spécialiste des Etats-Unis, maître de conférences à l'EHESS. Auteur de "La condition noire, essai sur une minorité française". Ed. Calann-Lévy.2008