France. Chroniques marseillaises(16): de la violence ordinaire
Marseille : Christophe, 34 ans, victime d'un lynchage gratuit par Laetitia Sariroglou(La Provence. 14/05/2011)
"Je suis sûr qu'ils sont partis parce qu'ils pensaient que j'étais mort". Christophe est un miraculé. Et une victime de plus de la sauvagerie dont peuvent faire preuve certains individus au défoulement décidément un peu trop facile. Cinq jours après son passage à tabac, "un lynchage gratuit", Christophe porte encore les stigmates de la violence de ses agresseurs. "Au moins douze", souffle-t-il. De larges hématomes sont encore visibles sur ses jambes, son dos le fait atrocement souffrir, son oeil droit est encore violacé et plusieurs os de son visage sont cassés. "Je ne peux plus rigoler. Ils m'ont même enlevé le sourire", lâche-t-il, tristement, en caressant Elvira, sa chienne.
L'animal était à ses côtés, lundi, lorsque Christophe a été battu. "J'étais dans un bus, avec ma chienne et une amie, explique-t-il. On se rendait à la cité La Paternelle,à Saint-Joseph". Il est 17h30. L'heure de pointe. Le véhicule est bondé. En se levant, Christophe bouscule, involontairement, un passager âgé d'une cinquantaine d'années."Tu me dis pas pardon?", l'interpelle vertement l'homme. Christophe ignore. Une fois dehors, à l'arrêt de bus, le passager bousculé revient à la charge. "Oh, tu me dis pas pardon?", insiste-t-il. "Je n'avais rien fait, s'indigne Christophe. Je l'ai juste effleuré et sans faire exprès". Mais l'homme compte bien laver l'affront. "Je vais t'envoyer les jeunes!", menace-t-il. Promesse tenue. Christophe voit arriver une voiture bleue, mais il ne se méfie pas. Dans le même temps, d'autres jeunes se déplacent à pied. "Ils sont arrivés par derrière. J'ai reçu un coup de poing d'un côté et un coup de pierre de l'autre", raconte Christophe. Affolé, il part en courant. "Mais je suis tombé sur un talus. Et là, j'ai reçu des coups sur tout le corps. Un des individus a même sauté sur mon ventre à pieds joints. Je me suis mis en boule et j'ai attendu que ça s'arrête. J'ai vraiment cru que j'allais mourir". À quelques mètres, son amie assiste à cette scène de violence sans pouvoir intervenir. "Si tu lâches le chien, t'es morte", l'auraient-ils prévenu.
Une fois ses agresseurs enfin partis, Christophe a repris le bus pour rentrer chez lui. Le demain, un éducateur l'accompagnera à l'hôpital, puis au commissariat, pour déposer plainte. Une ITT de 15 jours lui a été délivrée. "Les policiers m'ont dit que c'était sûrement un prétexte, que ces gens avaient besoin de se défouler. C'est incroyable, désespère Christophe. Ils auraient pu me tuer alors que je n'ai rien fait.C'était vraiment gratuit. Mais où on va ? À Paris, à Marseille, ça devient n'importe quoi, ces jeunes qui agressent les gens pour rien". Traumatisé depuis son lynchage, Christophe concède "avoir peur de tout le monde dans la rue". "Dès que je vois un groupe de jeunes, je fais demi-tour, confie-t-il. Et pourtant, je ne suis pas du genre craintif". Arrivé à Marseille il y a neuf mois à peine, pour rompre avec un lourd passé de toxicomane, Christophe veut désormais partir. "Je deviens fou, moi, avec toute cette violence dans la ville".
Cécilia, saoulée, violée et morte lors d'un "plan sexe" à Marseille par Luc Leroux (La Provence. 18/04/2011)
Une chambre d'hôtel à 39 euros, une bouteille de vodka et Cécilia. Le 8 décembre 2008, voilà les ingrédients de la soirée que se concoctent quatre jeunes garçons des Oliviers et des Genêts à Marseille (13e). Leurs SMS trahissent leurs intentions : un "plan fille", un "plan cochonne". Quelques heures plus tard, les pompiers sont appelés par le plus jeune. Emmanuel Denis, 18 ans, panique au bout du fil : "J'étais avec une copine et on a bu un peu et la fille est tombée dans les pommes et j'arrive plus à la réveiller." Cécilia ne s'est jamais réveillée, morte à 21 ans d'avoir bu un litre de vodka, préalable à des relations sexuelles avec chacun des quatre garçons, à tour de rôle. Deux autres avaient même été invités à venir profiter du "plan". Mais à 0h15, dans les 10m² d'une chambre d'un hôtel de La Valentine, alors que le tour du quatrième arrive, un SMS est envoyé sur le portable d'Anis Nafti qui patiente à l'extérieur avec les autres : "Anis monte urgent." Tous ont décrit la victime très pâle : "Elle bavait et avait vomi, des aliments lui sortant même par le nez". Son pouls était de plus en plus faible et, dans la pauvreté de leur langage, l'un d'eux dira que son corps qui se refroidissait "ressemblait à un bout de viande". Quelques gestes de survie auraient été tentés, bouche à bouche et massage cardiaque, mais les secours ne seront alertés qu'une heure et demie plus tard, justifiant une accusation de non-assistance à personne en péril.
L'accusation leur fera le reproche d'avoir préféré "faire le ménage" en emportant les bouteilles d'alcool et les préservatifs pour ne pas laisser leurs traces. Tous les quatre sont jugés pour viol en réunion. Connaissant l'appétence pour l'alcool de cette jeune femme très introvertie et psychologiquement fragile, ils lui avaient fait boire de la vodka. La contraignant à écluser la bouteille, maintenant de force le goulot dans la bouche, conviendront deux d'entre eux avant de dire l'inverse, prétextant de mauvais traitements policiers en garde à vue. "La contrainte mêlée de surprise résultant de l'alcoolisation qui lui a été imposée à dessein pour annihiler chez elle toute capacité de résistance"établit, aux yeux de la juge d'instruction Karine Molco, l'absence de consentement, donc le viol. "Elle savait qu'elle allait pour ça en montant dans la voiture",diront les avocats des quatre accusés. "C'est pas beau au niveau de la morale, convient Jean-Louis Keita, l'un des défenseurs, mais il n'y a pas grand-chose à leur reprocher au niveau de la loi. Ça ressemblerait davantage à un abus de faiblesse."
Qualifié de "meneur de la bande", Mounir Tinouiline, 21 ans, avait monté un stratagème se faisant passer auprès de Cécilia Gueye pour "Kevin", le surnom d'Emmanuel Denis, jeune blondinet aux charmes duquel la jeune fille n'était pas insensible. Placé sous écoute dans une affaire de piratage et de contrefaçon de cartes bancaires, les enquêteurs ont analysé les communications du 8 décembre passées par Mounir Tinouiline. On l'entend rameuter les participants :"Viens, on va la niquer". On le voit organiser les choses par textos : "Ho va genet pren fahem vien me cherché et on va troncher Cécilia". Cécilia avait vingt-et-un ans. Sa timidité était telle qu'à deuxreprises elle avait échoué à l'oral du concours d'infirmière. Ses souffrances l'avaient conduite à tenter de se suicider. Un petit ami l'avait initiée à l'alcool et au sexe sans retenue. Ses parents - aujourd'hui partie civile - étaient déjà allés la récupérer dans des hôtels où elle avait été abandonnée par des garçons. Le procès doit durer toute la semaine.