France. Chroniques marseillaises(14): Système mafieux et féodalisme ou les ordures de Marseille (2).

Publié le par Un monde formidable

Affaire Alexandre Guérini : 13 millions d'euros saisis au Luxembourg et en Suisse par Fred Guilledoux et Denis Trossero (La Provence13/05/2011)

L'affaire Alexandre Guérini, c’est de l’argent. Beaucoup d’argent… Des sommes folles, parties à l’étranger, tant dans une logique d’évasion fiscale que de blanchiment. Car si une partie provient de marchés publics, obtenus dans les Bouches-du-Rhône et en Haute-Corse dans des conditions parfois douteuses, une autre a été obtenue grâce à des détournements et à des opérations occultes.   En charge de l'instruction, le juge Duchaine cherche depuis des mois à récupérer tout ou partie de ces fonds. Selon nos informations, il vient de remporter un beau succès puisque la justice est parvenue à faire saisir 13,7 millions d’euros, au Luxembourg et en Suisse. En attendant mieux : d’autres pistes conduisent vers des comptes en Espagne, en Angleterre, au Panama, en Israël, en Asie du sud-est…

Affaire Alexandre Guérini : deux élus mettent en cause le Conseil général par Fred Guilledoux et Denis Trossero (La Provence11/05/2011)

Dans l'affaire des marchés truqués des Bouches-du-Rhône, la préemption en novembre 2004 d'un terrain à La Ciotat par le Conseil général constitue un des axes forts de l'instruction du juge Duchaine. Justifiée à l'époque par des raisons de défense de l'environnement, cette mesure a en fait permis l'extension de la décharge du Mentaure, gérée par l'Agglo d'Aubagne et exploitée par la SMAE, une société d'Alexandre Guérini. Ce qui alimente les soupçons de conflit d'intérêts, le CG 13 étant présidé par son frère Jean-Noël Guérini.

Selon nos informations, deux témoignages viennent d'être versés au dossier et fragilisent la défense du Département, qui jure être victime d'"amalgames". Il s'agit de ceux de deux élus, le maire de La Ciotat Patrick Boré (UMP) et Alain Belviso (PCF), qui présidait l'Agglo d'Aubagne en 2004. Entendu par les gendarmes comme témoin, Patrick Boré a expliqué qu'à l'époque, il cherchait à obtenir la fermeture de la décharge, qui arrivait à saturation.  Apprenant qu'un nouveau marché venait d'être lancé par l'Agglo, il devine vite qu'un terrain voisin va se révéler décisif dans la bataille : "La seule solution d'extension pour l'Agglo était l'acquisition du terrain Semaire". Aussi la mairie lance-t-elle une procédure de préemption: "Mon but était de rendre impossible cette extension". Problème, le Conseil général fait alors jouer son droit de préemption, prioritaire sur celui des communes. Boré comprend que la partie est perdue: "Suite à l'annulation de notre démarche, j'ai perdu tout espoir de fermer la décharge".

Ces propos sont confirmés par une nouvelle déposition d'Alain Belviso. Interrogé par le juge le 22 avril, l'ex-président de l'Agglo d'Aubagne est revenu sur le dossier du Mentaure et a lâché une phrase lourde de sens : "Le Conseil général a décidé de préempter dans l'intention de nous revendre le terrain. De mémoire, il a lui-même offert de nous revendre ce terrain qui entrait dans le cadre du Plan départemental des déchets." Une vente à l'Agglo qui ne pouvait que se traduire par une extension de la décharge, comme le prévoyait le marché de 17 millions d'euros passé avec la SMAE. Bien loin du prétexte environnemental utilisé par le CG 13 pour préempter.

Affaire Alexandre Guérini : l'étrange marché de la caserne de pompiers de La Ciotat par Fred Guilledoux et Denis Trossero (La Provence10/05/2011)

Parmi les documents saisis la semaine dernière par les gendarmes dans un satellite du CG 13, on trouve des marchés publics passés avec une société de travaux publics liée au grand banditisme. La Provence s'est procuré le rapport d'analyse des offres du chantier de la caserne de pompiers de La Ciotat et révèle plusieurs bizarreries.

Parmi les documents saisis lundi chez Treize Développement, on trouve des marchés publics passés avec ABT, une société de travaux publics de Gardanne liée au grand banditisme et dont les responsables étaient proches d'Alexandre Guérini. Entre 2005 et 2008, la société d'économie mixte qui dépend du Conseil général des Bouches-du-Rhône a versé 5,2 millions d'euros à ABT : elle lui a notamment confié la construction de deux bâtiments sur l'Europôle de l'Arbois, un lot de 350 000 euros sur le chantier de la caserne de gendarmerie d'Orgon, ainsi que le terrassement et le gros oeuvre de la caserne de pompiers de La Ciotat.

D'un montant de 1947725 € hors taxes, ce dernier chantier paraît avoir été attribué à ABT dans des conditions pour le moins suspectes. Selon le rapport d'analyse des offres que La Provence s'est procuré, quatre candidats étaient en lice: CME, Bec Construction, Gecim et ABT en groupement avec Colas. À la lecture de ce document, on note plusieurs bizarreries. Primo, Gecim est écarté de la consultation pour un prétexte alors que le dossier d'un autre concurrent souffre de la même faiblesse. Secundo, à cause d'un défaut d'informations, la note technique de CME et Bec est baissée sans qu'ils aient la possibilité de préciser leur offre. Tertio, c'est grâce à la construction en option d'un local 2 roues pour un prix excessivement bas qu'ABT se retrouve le moins-disant. De quoi aiguiser la curiosité des gendarmes...

Les enquêteurs s’interrogent particulièrement sur le rôle de l’ex-directeur de Treize Développement", Jean-Marc Nabitz , qui vit désormais en Israël. Les questions portent sur d’éventuelles surfacturations, voire un dispositif qui aurait permis de blanchir de l’argent sale. Le juge Duchaine enquête aussi sur des soupçons de favoritisme lors de l’attribution de ces marchés, ainsi que sur la qualité de ces travaux.  "Chaque fois, ils étaient moins chers, ce qui leur permettait de remporter l’appel d’offres, confie un architecte, interrogé par La Provence. Mais après, sur le chantier, c’était n’importe quoi. Dès qu’on les critiquait, on nous menaçait d’être blacklisté par Alexandre Guérini et Jean-Marc Nabitz ".

D’autres éléments ont pu nourrir la perquisition des gendarmes chemin du Littoral, où se trouvent les bureaux de Treize Développement. On évoque notamment des informations qui permettraient de faire le lien avec le Plan départemental d’élimination des déchets, élaboré pour le compte du Conseil général. Spécialiste du traitement des déchets, Jean-Marc Nabitz intervenait régulièrement sur la question des décharges et de l’incinérateur.  Autre piste suivie: les marchés de construction et de rénovation des collèges dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs personnes entendues et des lettres anonymes ayant fait part de "dysfonctionnements". Enfin, les gendarmes s’interrogent sur le personnel de Treize Développement, qui aurait pu abriter quelques emplois fictifs.

Perquisitions dans l'affaire des marchés publics de Marseille (Thomson Reuters.03/05/11)

Une série de perquisitions a été menée mardi dans la région marseillaise, dont une au conseil général des Bouches-du-Rhône, dans le cadre d'une enquête sur des marchés publics présumés frauduleux, a-t-on appris de source proche du dossier. Les gendarmes se sont présentés vers 09h30 au siège du conseil général, dont la présidence est assurée par le socialiste Jean-Noël Guérini. Le frère de ce dernier, Alexandre, est détenu depuis le mois de décembre dans le cadre de cette affaire. Les locaux de l'institution avaient déjà été perquisitionnés en novembre 2009.

Une deuxième perquisition a été menée au siège de 13 Habitat, un organisme chargé notamment de l'attribution des logements sociaux pour le compte du conseil général. Les enquêteurs ont perquisitionné en outre au siège d'une société de sécurité, Alba sécurité, à Gardanne (Bouches-du-Rhône). Cette entreprise a bénéficié de nombreux marchés publics ces dix dernières années, notamment de la part du conseil général.

Les enquêteurs ont déjà saisi lundi divers documents administratifs et comptables dans les locaux de la société 13 développement, qui s'occupe des études d'aménagement pour le compte de la collectivité locale. Ces perquisitions interviennent alors que la commission d'enquête interne conduite par l'ancien ministre socialiste Alain Richard a commencé mardi ses auditions sur le fonctionnement de la fédération PS des Bouches-du-Rhône, l'une des plus importantes de France. Installée pour deux jours dans un hôtel proche de la gare, la commission devait entendre les responsables locaux du PS, dont le premier secrétaire fédéral par intérim Jean-David Ciot. Composée de huit membres, elle est chargée de rendre, avant le 20 juin, ses conclusions sur des pratiques qualifiées de "clientélisme féodal" dans un rapport rendu public début mars par le député Arnaud Montebourg.

Marseille : la facture des marchés truqués par Fred Guilledoux et Denis Trossero (La Provence. 22/02/2011)

Selon l'instruction menée par le juge Duchaine, qui concerne plusieurs collectivités des Bouches-du-Rhône, Alexandre Guérini avait mis en place un système clandestin au sein de Marseille Provence Métropole (MPM). Pour cela, il se revendiquait de son frère, le président du CG 13. Il inspirait aussi "la peur", comme l'ont expliqué plusieurs personnes interrogées par les gendarmes. En début d'année, Eugène Caselli, le président PS de MPM, indiquait que, pour l'heure, ses services n'avaient "pas relevé d'impact financier". Lors du dernier conseil communautaire, Renaud Muselier (UMP) a évoqué lui "un coût conséquent", sans toutefois pouvoir le chiffrer.

Aujourd'hui, La Provence révèle que ce système aurait entraîné la perte d'un minimum de 5 millions d'euros. 

Ces ordures qui venaient d'ailleurs 

Deux millions d'euros... C'est la somme qui aurait été détournée depuis 2006 au détriment de MPM et de l'Agglo d'Aubagne dans l'affaire Queyras, un des dossiers dans lesquels apparaissent les sociétés d'Alexandre Guérini. Des déchets en provenance d'entreprises privées étaient enfouis à LaCiotat, une opération facturée aux deux collectivités grâce à de faux documents. 



L'enquête identifie au moins quatre renouvellements de marchés publics sur lesquels Alexandre Guérini est intervenu en 2009, multipliant les pressions pour que soient écartés les candidats qui n'étaient pas de ses amis. Il s'appuyait sur Michel Karabadjakian, le responsable de la propreté, qui a depuis été mis en examen. Si ses manoeuvres ont échoué pour les deuxprincipaux appels d'offres, elles ont provoqué des prolongations onéreuses : devant les gendarmes, Karabadjakian a parlé d'une perte pour MPM de "2,5millions d'euros" pour le marché de la collecte des déchets et de "500000€ pour le tri". Lors de sa garde à vue de début février, Eugène Caselli est allé dans le même sens, reconnaissant à propos de la collecte que "l'avenant de huitmois a coûté à la collectivité". Qui plus est, la consultation ayant été relancée pour trois marchés, MPM a dû réaliser de nouvelles études, ce qui a mobilisé deux techniciens durant neuf semaines. Enfin, les nouvelles offres pour la collecte étaient moins intéressantes que lors du premier round : Karabadjakian y voit un préjudice "de plusieurs millions d'euros" (1). 

Un avocat commis d'office 

Avocat de droit public, Olivier Grimaldi donnait des avis juridiques sur les appels d'offres de MPM. Michel Karabadjakian assure qu'il est intervenu à quatre reprises "à la suite des demandes d'Alexandre Guérini" et évoque un préjudice de plusieurs dizaines de milliers d'euros: plusieurs témoignages et des mails indiquent que certaines de ces analyses auraient favorisé des sociétés proches d'Alexandre Guérini. Placé en garde à vue durant 36 heures, M. Grimaldi a été libéré sans charge. 



Dans son ordonnance de placement en détention d'Alexandre Guérini, le juge Duchaine explique qu'à l'automne 2009, "la communication" de documents confidentiels au chef d'entreprise "facilitait leur connaissance par les employés de la société Bronzo, évincée du marché de la collecte : ils entamaient alors un mouvement de grève afin qu'Eugène Caselli ne suive pas la décision de la commission d'appel d'offres". Conséquence, le ramassage des ordures à Marseille est totalement bloqué durant une semaine, jusqu'à ce que les salariés de Bronzo obtiennent gain de cause. Six mois plus tard, forts de ce précédent, les employés d'ISS Environnement usent de la même technique, là aussi durant une semaine. Outre la gêne, il est estimé que sept jours de grève se traduisent par "une perte de 500000euros", afin de remettre la ville en état. 

Le grand ménage 

Face aux dérapages révélés par l'affaire Alexandre Guérini, M. Caselli a pris plusieurs mesures pour remettre de l'ordre: des membres de son cabinet et des hauts responsables ont été poussés vers la sortie, d'où des indemnités et des frais pour recruter des remplaçants. Par ailleurs, les contrôles ont été renforcés, ce qui a un coût: c'est le cas dans les déchetteries et il a été fait appel en 2010 à un cabinet privé pour analyser les propositions lors du nouvel appel d'offres pour la collecte. (1) Président de la commission d'appel d'offres, F-N. Bernardi souligne toutefois que "les contrats actuels coûtent 4 millions de moins qu'il y a dix ans".

 

Publié dans Europe de l'Ouest

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