France. Ces Roms par qui le scandale arrive

Publié le par Un monde formidable

Ces Roms par qui le scandale arrive par Christion Roux (Le Devoir. Ca. 18/09/10)

L'offensive du gouvernement Sarkozy a soulevé un tollé en Europe. La France dit avoir expulsé depuis deux mois 1200 Roms et démantelé près d’une centaine de camps illégaux. Les Tsiganes circulent en France depuis... 1427! Alors, pourquoi cette polémique soudaine autour d'un peuple dont les membres sont peut-être les seuls véritables Européens?

Pendant que, cet été, Nicolas Sarkozy donnait l'ordre de démanteler systématiquement les camps illégaux et qu'une circulaire officielle précisait que ceux des Roms devaient être visés «en priorité», les Roms étaient à l'honneur en Chine. C'est en effet le cirque Romanès qui représentait officiellement la France à l'Exposition universelle de Shanghai. Enfant de la célèbre famille Bouglione, Alexandre Romanès a créé son propre cirque en 1994 avec des Tsiganes roumains et la chanteuse roumaine Délia Moldovan, qui est devenue sa femme. Aujourd'hui, Romanès a pourtant toutes les misères du monde à faire venir des musiciens de Roumanie.

Fallait-il que l'Europe se déchire sur les Roms l'année du centenaire de Django Reinhart et de la sortie de Liberté, le très beau film de Tony Gatlif? Depuis deux mois, la France dit avoir expulsé 1200 Roms et démantelé près d'une centaine de camps illégaux. Cette offensive, qui a soulevé un tollé en Europe et suscité des comparaisons outrancières avec les déportations de la Seconde Guerre mondiale, a été déclenchée par le discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Grenoble le 30 juillet dernier. Il réagissait ainsi aux altercations qui s'étaient produites à Saint-Aignan, après la mort sous les balles d'un policier de Luigi Duquenet, Tsigane français pur beurre qui n'avait pourtant rien de roumain.

Une cible facile. Conscient de sa chute dans les sondages, Nicolas Sarkozy a-t-il tout simplement instrumentalisé les Roms pour récupérer un électorat qui semblait lui échapper? «Les Tsiganes roumains [les Roms] représentent la cible la plus facile qui soit, dit Emmanuel Filhol, spécialiste de l'histoire des Tsiganes à l'Université de Bordeaux-1. Sans représentation politique, dispersés à travers l'Europe, ils ne sont que 15 000 en France et n'ont pas les moyens de se défendre.» Sans compter qu'il y a toujours eu des rapports d'amour-haine à l'égard des Tsiganes en général, explique le chercheur. «D'une part, on admire leur liberté, d'autre part, ils suscitent la crainte et sont en butte au rejet.»

Depuis que la Roumanie est membre de l'Union européenne, les Roms jouissent de la liberté de circulation en Europe. Jusqu'en 2014, hors de la Roumanie et de la Bulgarie, leur droit de séjour est limité à trois mois. On peut cependant les expulser s'ils ne respectent pas les lois du pays. Or, sans moyens ni ressources, ils s'installent souvent sur des terrains qu'ils squattent illégalement. Il y aurait ainsi 300 camps roms improvisés en France, selon le ministère de l'Intérieur. Nombreux sont pourtant ceux qui s'interrogent sur l'efficacité d'une telle politique de démantèlement. Dans les Hauts-de-Seine, quatre camps ont été évacués. Mais, sur les 148 occupants, seuls 28 ont pu être expulsés. Les autres sont allés créer des camps ailleurs. Quant aux 28, ils ont le droit de revenir, ce dont certains ne se privent pas.

Ces camps qui dérangent souvent les riverains ne représentent par ailleurs qu'une quantité négligeable à côté des innombrables squats qui sont souvent tolérés un peu partout en France. Un rapport publié en 2002 dénombrait plus de 2000 squats en France, dont certains peuvent abriter des centaines de personnes.

Depuis 1427... La présence tsigane en France ne date ni de la chute du mur de Berlin, ni de l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne. Le premier témoignage de l'arrivée de «Bohémiens» aux portes de Paris remonte plutôt... à 1427! Il y a même eu un âge d'or des Tsiganes, explique Emmanuel Filhol. Au XVIe siècle, les nobles accueillaient avec joie les Bohémiens, dont ils appréciaient particulièrement les danses et la musique. Certaines villes, comme Saint-Jean-de-Luz, leur offrirent la protection. Même s'ils furent beaucoup moins bien accueillis par la suite, les Tsiganes continuèrent à arriver par vagues successives après les guerres napoléoniennes, la Seconde Guerre mondiale ou la chute du mur de Berlin.  «Il n'y a pas si longtemps, on les tolérait mieux qu'aujourd'hui, dit Filhol. Dans certains villages, on était même heureux de les voir arriver. Mais aujourd'hui, cette culture nomade se heurte à de plus en plus d'obstacles.»

Dans les années 1950, de nombreux Roms se sont ainsi installés à Montreuil, aux portes de Paris, où ils occupaient des terrains vagues. Mais avec l'urbanisation, les terrains se font de plus en plus rares. De plus, les petits métiers que pratiquaient les Tsiganes, comme la récupération, les activités foraines, le commerce des chevaux, la vannerie ou le rétamage, ont tendance à disparaître, rendant leur mode de vie de plus en plus précaire. Aujourd'hui, la culture tsigane se bute à une société de moins en moins accueillante, explique Filhol. Un peu comme les populations amérindiennes d'Amérique qui veulent conserver leur mode de vie traditionnel.

Des aires inexistantes. Dans son discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy avait affirmé que «les Roms qui viendraient pour s'installer en France sur des campements légaux seraient les bienvenus». Mais ces campements manquent cruellement, même pour les Tsiganes français. C'est pourquoi, en 2000, l'Assemblée nationale française avait adopté une loi forçant les municipalités de plus de 5000 habitants à aménager des aires d'accueil pour ceux que l'on a rebaptisés «gens du voyage». Une décennie plus tard, moins de 40 % des municipalités appliquent la loi. Ces résistances ont des raisons techniques et financières, mais souvent aussi politiques. Plus ces aires sont éloignées de la ville, plus leur raccordement au réseau d'aqueduc coûte cher. Le 1er janvier dernier, le gouvernement a d'ailleurs suspendu ses subventions à la création de nouvelles aires.

Interviewé par Le Monde, l'auteur de cette loi, Louis Besson, comparait l'aménagement de ces terrains à la création d'HLM. «On permet aux vacanciers de camper un peu partout, explique Emmanuel Filhol. Mais pour ceux dont c'est le mode de vie depuis des siècles, il n'y a pas de place.» En construisant ces aires d'accueil, les communes ont aussi l'obligation d'accueillir à l'école les enfants tsiganes. Ceux-ci ont souvent un grand retard scolaire, quand ils ne sont pas analphabètes. Dans certains endroits, on a dépêché des enseignants dans les campements. On a aussi créé des camions-écoles ambulants. Pourtant la fréquentation scolaire reste épisodique et à peine 8,5 % des enfants tsiganes sont inscrits à l'enseignement à distance.

Assez de misérabilisme. Sans le dire ouvertement, les politiques de l'État visent encore à sédentariser les Tsiganes, estime Emmanuel Filhol. Exactement comme on l'a fait en Amérique avec les Amérindiens. Longtemps obligés de détenir l'infâme carnet anthropométrique qui facilita leur internement et leur déportation pendant la guerre, les Tsiganes demeurent les seuls Français qui traînent encore une marque distinctive sur leur carte d'identité. Ils sont toujours obligés de faire tamponner à tous les trois mois un «carnet de circulation». De plus, ils peuvent difficilement voter, à moins de faire la preuve qu'ils résident dans la même commune depuis trois ans. Ce qui, pour un nomade, n'a évidemment pas beaucoup de sens.

«Tant qu'on ne reconnaît pas aux nomades le droit de vivre en mouvement, tant qu'on ne leur offre pas la possibilité de se déplacer dans des conditions décentes, on entretient des hantises racistes et xénophobes», écrivait André Glucksmann dans le quotidien Le Monde. Le philosophe, qui avait pourtant soutenu Nicolas Sarkozy lors de l'élection de 2007, accusait soudain celui-ci de «taper sur le maillon le plus faible» pour des raisons électoralistes.  Selon Emmanuel Filhol, les Tsiganes ont surtout besoin qu'on arrête de les stigmatiser. «Il faut cesser ce misérabilisme. Les Tsiganes ont été une composante de l'histoire de la France et de l'Europe. Ils ont participé aux guerres et à la résistance. Il est temps qu'on le reconnaisse.»

Alors que la France s'est mise au ban de l'Europe en ciblant sa minorité la plus démunie, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, envisagent une action plus conséquente afin de faciliter l'intégration des Tsiganes. Ce serait la moindre des choses pour ceux qui sont peut-être les seuls vrais Européens.

 

Publié dans Discriminations

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