"Européen ou raciste, il faut choisir"

Publié le par Un monde formidable

La brutalité et l'arrogance ne passent plus par Joëlle Meskens (Le Soir. 09/2010))

Le 29 septembre, la Commission européenne a renoncé à poursuivre la France pour discrimination contre les Roms. La jubilation semblait de mise à Paris, entre déni des faits et mépris pour les institutions. Le quotidien belge Le Soir n'a pas de mots assez durs pour fustiger cette attitude.

Eric Besson a "la tête haute" ["La France sort la tête haute dans l'échange qu'elle avait avec la Commission", a-t-il déclaré le 29 septembre devant l'Assemblée nationale]. Le ministre français de l'Immigration et de l'Identité nationale ne voit dans la décision européenne "aucun camouflet" pour sa politique, "au contraire". Il ne voit pas davantage où est le problème quand il désigne à son ministère l'objectif de fabriquer de "bons Français". Le quai d'Orsay lui aussi se "félicite" que la Commission européenne n'ait pas engagé à ce stade de procédure d'infraction pour discrimination [une procédure d'infraction a toutefois été lancée pour non-respect des règles européennes dans sa politique d'expulsion des Roms]. On se pince. La France non seulement ne fait pas profil bas, mais elle bombe le torse en prétendant avoir raison contre le reste du monde !



Le gouvernement français réalise-t-il à quel point les mots ont un sens ? Les propos de Bruxelles sont carrément manipulés. Non, la commissaire Viviane Reding n'a pas "pris acte" du fait qu'aucune discrimination n'avait été commise à l'encontre des Roms. Elle demande à en savoir plus et exige des preuves, c'est très différent. C'est la deuxième fois que la France prétend entendre l'inverse de ce que la commissaire dit. Au lendemain de sa déclaration menaçant Paris d'une procédure d'infraction, Viviane Reding n'avait pas du tout exprimé d'"excuses" pour avoir évoqué la seconde guerre mondiale, comme l'avait alors prétendu Nicolas Sarkozy. Elle avait - cela n'a rien à voir - "regretté l'interprétation" de ses propos...

Pas un jour ou presque sans que la France soit montrée du doigt à l'étranger. En témoigne cette nouvelle couverture Newsweek [pour son édition européenne datée du 4 octobre] où la photo de Nicolas Sarkozy illustre un dossier sur l'extrémisme en Europe. Certes, certains médias étrangers ne font pas dans la nuance, mais tout de même. Sourde à la moindre critique sur sa politique sécuritaire et migratoire, la France ajoute à sa brutalité son éternel péché d'arrogance. "Circulez, il n'y a rien à voir..."

 

Européen ou raciste, il faut choisir par Louise Doughty* (The Guardian. 09/2010)

Enfin. C’est la seule réaction qui vaille, après que la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, a ouvertement attaqué les expulsions de Roms par le gouvernement français [le 14 septembre]. Enfin, elle se dit “consternée”. Enfin, elle menace le gouvernement Sarkozy de poursuites judiciaires [pour violation du droit européen – c’est la circulaire française ciblant expressément les renvois de Roms, alors que Paris avait affirmé qu’aucun texte ne visait une population particulière, qui lui a fait voir rouge]. On se demande toutefois où était Viviane Reding ces dix-huit derniers mois, pendant que des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants étaient embarqués par les policiers français sans avoir le temps de rassembler leurs affaires, publiquement catalogués comme criminels et renvoyés en Roumanie et en Bulgarie.

Il y a une chose qu’il ne faut pas oublier : ce sont des citoyens européens, et ils sont expulsés par un Etat membre vers un autre Etat membre à cause de leur appartenance ethnique. Imaginons le tollé qui s’élèverait si Sarkozy commençait à expulser des gens qui étaient juifs ou noirs. L’Union européenne mettrait-elle alors dix-huit mois à réagir ? 



Reste à voir maintenant, alors que le gouvernement français continue à estimer qu’il n’a rien à se reprocher, si l’indignation de la commissaire va être suivie de sanctions. Il est question d’une lourde amende. Une amende ? Pourquoi ne pas tout simplement bouter la France hors de l’Union européenne ? Virer les Français sans plus de ménagement qu’ils n’en ont accordé aux familles roms ? Un régime raciste n’a pas sa place dans une Europe civilisée. Si Sarkozy n’a pas besoin de motifs légaux pour expulser des gens de son territoire, pourquoi devrait-il bénéficier d’une procédure régulière avant d’être renvoyé de l’UE ? 



Selon les estimations, il y a 10 millions de Roms en Europe, dont 86 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. Et c’est la minorité ethnique qui grandit le plus vite sur le continent. Les moyens extrêmes utilisés par la France ne sont que l’exemple le plus visible de l’augmentation actuelle des mesures anti-Roms dans toute l’Europe. Il sera intéressant de voir quelles conséquences l’action de l’UE contre Sarkozy aura en France. D’après les sondages, 56 % des Français approuvent leur président [et désapprouvent le lancement par la Commission européenne d’une procédure judiciaire à l’encontre de Paris, selon un sondage du Figaro ; d’après un autre sondage du Parisien, ils seraient en revanche 56 % à juger que la Commission européenne est dans son rôle quand elle critique la France]. 



Toutefois, une humiliation devant un tribunal à Bruxelles aurait peut-être plus de mal à passer. Malgré son protectionnisme culturel affiché, la France s’est toujours enorgueillie d’être au cœur de l’Europe. Il y a deux ans, Berlusconi [le président du Conseil italien] avait été forcé de revenir sur sa décision de relever les empreintes digitales et de photographier tous les immigrés roms en Italie, après une levée de boucliers générale. Nul doute qu’il observera maintenant avec intérêt ce que fait Bruxelles. [Il a de fait plusieurs fois affirmé son soutien à Nicolas Sarkozy sur ce dossier.] 

C’est pourquoi le face-à-face entre la commissaire à la Justice et le gouvernement français est si important.

Si Sarkozy n’est pas sanctionné pour ces expulsions, d’autres gouvernements de droite en déduiront que la persécution des Roms est une mesure rentable électoralement parlant, et qui ne leur coûte rien. Mme Reding devrait agir vite et fort si elle veut que sa volte-face ait le moindre impact, et les autres gouvernements européens, y compris le Royaume-Uni, doivent la soutenir sans réserve.

*Née en 1963, Louise Doughty est une romancière, journaliste et dramaturge britannique. Elle collabore notamment avec la BBC et le Daily Telegraph. Dotée de lointaines origines roms par l’un de ses arrière-grands-pères, elle a consacré deux de ses romans à l’histoire de ce peuple : Fires in the Dark et Stone Cradle (2003 et 2006, inédits en français).

 

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