En attente d’un cinéma d’artistes
En attente d’un cinéma d’artistes par Barry Saidou Alceny (L'Observateur. Ougadougou.25/09/09)
Les salles ferment les unes après les autres sur le continent africain. La télé détrône le cinéma. Télénovelas sud américains et soap operas hollywoodiens colonisent le public africain. Les grands festivals à travers le monde boudent nos productions (aucun film en compétition à Cannes cette année !). Le numérique remplace le 35 mm, les vidéastes supplantent les cinéastes et tirent le 7e art vers le bas. Le cinéma doit nécessairement se réinventer pour ne pas disparaître.
Chaque fois que nous assistons à la projection d’un film américain, européen ou asiatique, il nous ramène fatalement au cinéma africain. Car voir un film, c’est le mettre en résonance avec d’autres films déjà visionnés. Ainsi, chaque plan ou séquence éveille dans la mémoire du cinéphile un autre plan, une autre séquence. Lorsque la mémoire fait remonter à la surface des morceaux de notre cinéma, la comparaison nous installe parfois dans la gêne. Il n’est pas besoin d’être du bâtiment pour se rendre compte que la qualité esthétique devient dans la plupart des films actuels ce que l’eau est sur la planète Mars : un mirage.
Pourtant le cinéma du continent étant jeune, il devrait profiter de l’héritage des autres cinémas du monde. Et puiser dans les trouvailles techniques et esthétiques, s’en inspirer, les citer (une façon de les ressusciter), les détourner, les parodier, ou les enrichir. Les œuvres d’Eisenstein, d’Hitchcock, de Kurosawa, d’Orson Welles, de Kubrick, de Pasolini, de Godard ou de Diop Mambety devraient être des références pour le cinéaste comme les tableaux de maîtres le sont pour tout peintre qui veut poser un regard neuf sur le monde. La force de la peinture de Van Gogh lui vient du fait qu’il lisait le monde et les hommes à travers les peintures de Rembrandt, de Rubens et des maîtres de l’estampe japonaise.
Cela, pour dire que l’on ne crée pas à partir de rien, toute œuvre aussi novatrice ou de rupture soit-elle porte en elle les traces des oeuvres qui l’ont précédée. Chaque œuvre qui naît se dépose comme un sédiment dans le patrimoine artistique antérieur. Pourtant le cinéma actuel ne semble pas dialoguer avec les classiques du cinéma mondial, exception faite de quelques rares cinéastes tels Abderhamane Cissako, Balufu, Bekolo, etc. Est-ce par peur de dérouter le cinéphile africain abruti par Hollywood, Bollywood et les films vidéo de Nollywood ?
Nous inclinons à penser que la vérité est plus prosaïque : nos réalisateurs sont de plus en plus des techniciens et de moins en moins des artistes. Le technicien considère le cinéma comme un outil de duplication du réel. Le langage cinématographie pour lui s’arrête à la grammaire constituée au balbutiement du cinéma, entre 1895 et 1915, c’est-à-dire de Lumière à Griffith.
Mais, tandis que le technicien se satisfait d’un langage très pauvre, l’artiste passe à la rhétorique et s’attelle à l’enrichissement du langage. L’artiste étant la conjonction heureuse entre la parfaite maîtrise de l’outil technique et une grande sensibilité qui dépose sur l’œuvre un supplément de poésie comme une électrolyse enrobe d’une pellicule d’or un métal corrompu et le transfigure. L’artiste doit donc reprendre le pouvoir dans le cinéma africain avant que les fabricants de films attentatoires à l’art ne le tuent. A l’heure actuelle du triomphe du cinéma populaire, cela vaut aussi pour les autres cinémas du monde.
Le cinéma est le seul domaine où l’art rencontre l’industrie, où le rêve s’unit à l’outil et où l’homme rencontre la machine pour créer du Beau. Le cinéma africain a eu des artistes et jamais une industrie. Mais à défaut d’industrie, on peut toujours revenir à un cinéma d’artistes. L’artiste sait que le cinéma est un prodigieux moyen de mise en discours du monde. Unique art à intégrer l’image, la bande sonore et la parole, il est une matrice qui contient tous les autres arts et les dépasse. Par ailleurs, le cinéaste dispose d’une liberté de création qui rend jaloux le peintre, le sculpteur et l’écrivain.
L’écrivain est prisonnier d’un langage déjà là, le peintre est prisonnier de la surface plane de sa toile, le sculpteur est pris dans la résistance de la matière ; seul le cinéaste invente son langage. Alors, il faut que le cinéaste africain retrouve du génie et de la folie. Qu’il réveille l’artiste qui sommeille en lui pour inventer des formes nouvelles, qu’il puise aussi dans la cinémathèque mondiale et dans son patrimoine pour réinventer un cinéma qui participe plus de l’art que de l’industrie.
Utopique, tout ça ? Oui ! Mais le jour où le cinéaste éconduira le rêve, il ne restera plus de magie dans le cinéma et donc plus de cinéma ! CQFD