Egypte. Coptes, salafistes, tribalisme et vendetta
Egypte. Les extrémistes jouent aux trouble-fêtes par Samar Al-Gamal Ahmed Loutfi (Al-Ahram Hebdo. N° 868. )
Tension Religieuse . A Qéna et à Minya, des incidents inter-confessionnels sont venus perturber la scène politique. La montée des salafistes serait une des principales causes de la résurgence de ce phénomène.
Un vendredi de la révolution, encore jeune, des Egyptiens. Les coptes se dressent pour protéger les musulmans lors de leur prière hebdomadaire contre une éventuelle attaque des partisans et voyous du régime de Moubarak. Peu après, c’est au tour des musulmans de se poster comme garde de corps en attendant que les chrétiens achèvent leur messe. C’était sur la place Tahrir que le slogan « Musulmans, chrétiens, une seule main » trouvait écho dans les autres coins du pays. Les Egyptiens, au moins ceux qui étaient sortis pour réclamer le départ du régime, croyaient enfin en finir avec une tension religieuse qui ne cessait de frapper depuis des années la relation entre musulmans et chrétiens. Le pays était alors bercé par un souffle optimiste derrière lequel des tensions confessionnelles attendaient un moment pour surgir. Les slogans d’unité nationale semblent une fois de plus être aussi fragiles.
A quelques kilomètres du Caire, direction sud, vers le gouvernorat de Minya, c’est un dos d’âne qui alimente une dispute entre musulmans et chrétiens. Des habitants du village d’Abou-Qorqas, furieux de ce dos d’âne fait pour ralentir les véhicules devant la villa d’un éminent avocat copte et membre de l’ancien parti au pouvoir, s’efforcent de l’enlever et affrontent les gardes qui ouvrent le feu tuant deux musulmans et blessant d’autres. Une foule en colère va se venger en saccageant des propriétés de chrétiens. Résultat : le couvre-feu est imposé.
Minya fait de nouveau parler d’elle. La veille c’est une manifestation des salafistes au Caire. Ils entament une marche qui voulait atteindre le siège de l’armée pour réclamer la « libération de Camélia ». Cette femme copte, épouse d’un prêtre, et qui avait suscité de vives tensions entre les deux communautés en « disparaissant » à la suite d’une dispute conjugale de sa maison à Minya, revient sur le devant de la scène. Les salafistes, ces musulmans rigoureux, la considèrent une des leurs et réclament son relâchement. Un de leurs cheikhs a même menacé de se diriger en direction du couvent pour la récupérer si le conseil militaire qui dirige le pays ne parvient pas à trouver une solution. Mais c’est encore un peu plus vers le sud que la tension prend une autre dimension. A Qéna, ville où vit une importante communauté copte. A l’origine, c’est une manifestation des résidents de la province pour protester contre la nomination du nouveau gouverneur, Emad Mikhail, un ancien général de la police ayant servi pour le président déchu. Mais Mikhail est également un de ces deux coptes nommés par le Conseil suprême des forces armées. Les manifestations ont rassemblé des musulmans, des militants salafistes aussi bien que des coptes tous hostiles à la nomination de l’ancien policier.
L’affaire tourne subitement de manière différente. Les manifestants réclament le départ du nouveau gouverneur pour un autre motif : il est chrétien. Les slogans changent et deviennent discriminatoires et les drapeaux de l’Arabie saoudite sont hissés. « On n’est pas le ministère de l’Environnement », dit l’un des manifestants en allusion à ce portefeuille souvent occupé par un ministre chrétien. L’ancien gouverneur était aussi chrétien, Magdi Ayoub. Ce dernier a été critiqué pour sa réaction jugée « lâche » dans la foulée de l’attentat qui a visé l’an dernier les chrétiens à la sortie de la messe de Noël copte à Nag Hammadi. Jusqu’au bouclage du journal, les manifestants bloquaient toujours les routes principales et même la ligne de chemins de fer. Des hommes de religion et le ministre de l’Intérieur se sont dépêchés sur place, le premier ministre devait suivre mais aucune issue n’est encore à l’horizon. Quant au gouvernement, il ne veut pas lâcher du lest en écartant le nouveau gouverneur parce que, dit-on, des anciens du régime de Moubarak sont désignés du doigt à Qéna comme à Minya pour avoir contribué à provoquer cette tension.
Cette situation résulte d’une certaine collaboration entre des membres de l’ancien parti au pouvoir déchu et des agents de la Sûreté de l’Etat. De toute façon, la sédition confessionnelle a toujours été jugée comme un instrument utilisé par l’ancien régime pour tenir d’une main de fer le pouvoir. On relève par exemple les différents incidents confessionnels, dont l’attentat contre l’église des Deux saints à Alexandrie le jour de l’an dernier et qui a suscité de nombreuses accusations jusqu’à présent. Voire des accusations sont lancées contre l’ancien ministre de l’Intérieur, Habib Al-Adely, selon lesquelles il aurait commandité cet attentat. D’habitude, ce genre d’affaire avait lieu à certains moments critiques, élections ou crise économique pour détourner l’attention des citoyens et faire des forces de sécurité le principal élément à maîtriser le pays. Ou tout simplement, c’était une excuse avec laquelle ils garantissait le maintien de l’état d’urgence.
Cela dit, la question religieuse relève de plusieurs facteurs en Egypte. Il ne s’agit pas de simples différends entre musulmans et coptes, mais de tout un contexte socioculturel. Un certain tribalisme surtout en Haute-Egypte encourage la vendetta et la rend plus aiguë quand il s’agit de règlement de comptes entre des clans de religions opposés. Ceci explique l’embarras de l’armée qui tient le pouvoir à l’heure de la transition. Elle est consciente de l’aspect peu facile de la question religieuse où son intervention devrait avoir lieu avec une certaine prudence. Elle a par exemple eu recours au cheikh Mohamad Hassane, cette figure de proue salafiste, pour pouvoir calmer le musulmans révoltés d’Atfih. Cette intervention a suscité beaucoup d’interrogations mais selon plusieurs analystes, il s’agit tout simplement de faire une sorte d’équilibre et d’éviter aussi la montée des islamistes qui restent sans doute une menace pour la majorité des Egyptiens.
Cependant, on peut se demander ce qui justifie la libération des grandes figures salafistes et des cadres des Frères musulmans suite à la révolution et à ces moments très délicats de la transition, notamment Tareq et Aboud Al-Zomor qui sont trempés dans l’assassinat du président Sadate et qui sont devenus tout d’un coup pour certains des héros. Il existe donc une réelle incompréhension liée au relâchement et à la libération de ces djihadistes. Des explications soulignent qu’ils ont terminé la durée de leur peine et qu’avec un régime démocratique qui se prépare il serait difficile de ne pas les libérer comme cela a été le cas dans l’ancien régime. Mais on se demande toujours s’il ne fallait pas les garder ou au moins les mettre sous surveillance jusqu’à la fin de cette étape qui doit être marquée par des législatives, des présidentielles et une nouvelle Constitution ? Ce qui est sûr, c’est que uniquement à travers les médias que ces personnalités ont pu acquérir cette célébrité.
Et par conséquent, ce fut la sortie subite des salafistes de leur cachette. D’aucuns affirment que l’on pourrait jouer sur le différend Frères musulmans-salafistes qui régnait auparavant. En plus, les salafistes au départ n’avaient aucun rôle politique, du moins c’est ce qu’ils laissaient entendre. Aujourd’hui, les choses ont changé et il y a une sorte de manœuvre liant les différents mouvement islamistes qui voudraient profiter de la notion de démocratie qui s’instaure profondément après la révolution pour pouvoir s’intégrer non pas seulement dans la vie politique mais sociale aussi. Ceci est vrai, puisque au moment où des salafistes font agression ici ou là d’autres, aussi salafistes, tentent de tous leurs efforts de résoudre ces problèmes.
De toute façon, l’Egypte s’engage sur une voie inédite, elle n’a jamais connu de démocratie depuis 1952. Mais il reste que combattre la sédition confessionnelle constitue une priorité pour que cet Etat puisse voir le jour.