Desertec, quel intérêt pour l’Afrique ?

Publié le par Un monde formidable

Desertec, quel intérêt pour l’Afrique ? (Les Afriques. 12/09/09)

Le projet, gigantesque, essentiellement euro-germanique, prévoit d’implanter des centrales solaires dans le Sahara.

Un investissement de 400 milliards d’euros pour satisfaire 15% des besoins énergétiques de l’Europe.

Et l’Afrique, que va-t-elle y gagner ?

Lundi 13 juillet 2009 à Munich, se signait un accord de mise en œuvre d’un projet faramineux, ambitieux, novateur et polémique… dont on n’a pas encore fini de parler. Il s’agit du protocole d’accord de création du bureau d’études Desertec Industrial Initiative (DII), qui a pour objet « l’analyse et la mise en place d’un cadre technique, économique, politique, social et écologique en faveur d’une production d’énergie sans émission de CO2 dans les déserts d’Afrique du Nord ». Le projet ne se limite d’ailleurs pas à cette région et à l’Europe, puisqu’il concerne aussi le Moyen-Orient, d’où l’appellation EU-MENA (Europe, Middle East, North Africa). L’exploitation de l’énergie solaire du Sahara à partir de centrales thermiques qui fait tant rêver, rentre donc dans une phase opérationnelle, du moins sur le papier. En plus du solaire, plusieurs autres énergies renouvelables, comme l’éolien, sont intégrées au projet.

Leadership allemand

Porté aujourd’hui par une fondation, Desertec est un concept développé par la TREC et le Centre Aérospatial Allemand. Composé de près de soixante experts et politiciens, dont le Prince Hassan Bin Talal de Jordanie, la TREC (Coopération trans-Méditerranéenne pour les énergies renouvelables), dont le but est de promouvoir le développement de l’énergie éolienne et solaire, a été fondée en 2003 par la Fondation Hambourgeoise pour la Protection du Climat, le National Energy Center de Jordanie (NERC) et le Club de Rome.

Le budget de Desertec serait suffisant pour assurer l’indépendance énergétique de l’ensemble du continent africain.

DESERTEC Industrial Initiative (DII) sera une SARL de droit allemand, dont la création effective aura lieu au plus tard le 31 octobre 2009. Parmi les premiers signataires du protocole, on note l’entreprise suisse ABB, leader mondial des technologies de l’énergie et de l’automation, l’installateur de centrales solaires espagnol ABENGOA Solar, l’algérien Cevital (seule entreprise africaine du consortium), une société agroalimentaire spécialisée dans l’huile et la margarine, la Deutsche Bank, E.ON, l’un des géants allemands de l’énergie, la banque allemande HSH Nordbank, le spécialiste allemand du solaire MAN Solar Millennium, la société d’ingénierie M+W Zander, le réassureur Münchener Rück, le second géant allemand de l’énergie RWE, le groupe solaire allemand SCHOTT Solar et enfin le groupe SIEMENS. La participation à DII reste ouverte à tout partenaire potentiel.

Viabilité technique

Le recours à l’énergie solaire est techniquement viable et des expériences similaires existent dans le monde. La plus connue est celle de Californie, dans le désert de Kramer Junction, où des centrales thermiques solaires à concentration (Concentrating Solar Power – CSP) sont exploitées depuis 1981.

Ce type de centrale utilise des miroirs pour concentrer la lumière du soleil et créer suffisamment de chaleur pour générer de la vapeur qui sert à actionner des turbines et des alternateurs produisant de l’électricité. Des réservoirs de chaleur (réservoirs de sels fondus) peuvent être utilisés pour stocker de la chaleur durant la journée afin d’actionner les turbines pendant la nuit ou lors de pics de consommation. Afin de garantir une production électrique ininterrompue en cas de longues périodes de mauvais temps (sans faire appel à des centrales de secours très chères), on peut alimenter aisément les turbines avec du pétrole, du gaz ou des biocarburants. La chaleur résiduelle du cycle de production d’électricité peut permettre (par cogénération) de dessaler l’eau de mer ou de produire du froid.

Reste l’épineux problème du transport de l’énergie, avec les pertes dans le réseau. Depuis quelques années, des chercheurs travaillent sur cette question et ont mis au point des câbles à haute tension capables de transporter du courant sur de longues distances sans trop de déperdition.

Combien ça coûtera ?

Malgré tout, la viabilité économique n’est pas encore acquise. Les experts estiment le montant du projet Desertec à environ 400 milliards d’euros sur 40 ans, dont 350 milliards d’euros pour la construction des centrales solaires thermiques et les 50 milliards restant pour la fabrication de réseaux à haute tension de transport de l’électricité entre l’Afrique et l’Europe. En prenant en compte les retards dans la mise en œuvre du projet et les délais relativement longs pour les négociations politiques avec les pays concernés, le budget sera beaucoup plus élevé. En dehors des discours et des bonnes intentions, il n’y a encore aucun euro en caisse. Un autre inconvénient est la compétitivité de l’énergie thermosolaire par rapport aux autres sources d’énergies. Le coût de production du kWh thermosolaire oscille entre 15 et 30 centimes d’euros, contre 3 à 5 centimes d’euros pour le kilowattheure nucléaire ou fossile. Des innovations technologiques (échangeurs thermiques plus performants, miroirs plus simples, augmentation du rendement des réseaux de transport) et une production de masse due à l’augmentation de la demande permettraient d’abaisser les coûts de production. D’après les estimations du Centre aérospatial allemand, si les centrales thermiques solaires étaient construites en grand nombre dans la décennie à venir, les coûts pourraient être abaissés jusqu’à 4 et 5 centimes d’euro le kWh. Dans le contexte actuel, Desertec ne peut donc pas être économique rentable sans une intervention des pouvoirs publics (subventions, tarifs d’achats, etc.).

 Qui profitera de Desertec ?

Les études satellitaires du Centre aérospatial allemand ont démontré qu’avec moins de 0,3% de la surface totale des déserts de la région MENA, on peut produire suffisamment d’électricité et d’eau douce pour répondre à l’augmentation des besoins de ces pays et de l’Europe.

Les promoteurs de Desertec envisagent de satisfaire 15% des besoins électriques de l’Europe à partir des centrales solaires du Sahara en 2050. Pour les populations du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA), ils prévoient une fourniture importante d’énergie propre, des emplois, des sources de revenus, des infrastructures améliorées, des possibilités de dessalement d’eau de mer et de nombreux bénéfices potentiels (comme par exemple pour l’agriculture) apportés par l’ombre des collecteurs solaires (miroirs de Fresnel).

Ce qui ne rassure pas Houda Ben Jannet Allal, directrice du développement stratégique à l’Observatoire Méditerranéen de l’Energie (OME), qui regroupe les principales compagnies énergétiques de la région, d’après les propos tenus dans Le Monde « A l’exception de l’Algérie, de l’Egypte et de la Libye, qui disposent de ressources fossiles, les pays du sud de la Méditerranée sont en situation de dépendance énergétique. Selon certains scénarios, leurs besoins vont augmenter de 70% dans les vingt ans à venir. Même si le soleil est une ressource illimitée, les sites les mieux adaptés à l’installation de centrales ne seront plus disponibles pour ces pays, le jour où ils posséderont leur propre technologie solaire. »

 

Eco-colonisation ou opportunité pour le Maghreb ?

Les pourfendeurs les plus virulents du projet n’hésitent pas à évoquer une nouvelle forme de colonisation. Après avoir servi de réservoir d’énergies fossiles pour le développement de l’Occident, l’Afrique risque de devenir l’une des principales sources d’énergies renouvelables pour l’Europe. On évoquera toujours les quelques salariés africains employés sur les chantiers, les projets de dessalement de l’eau de mer ou l’apport d’énergie supplémentaire pour le Maghreb. Mais quelle sera cette contribution économique par rapport au coût global du projet ? Il n’y a, à présent, qu’une société africaine associée à Desertec. On peut également s’étonner de la faible implication des institutions sous-régionales comme l’UMA et des gouvernements pour un projet qui risque d’impacter la géopolitique locale et le développement économique de plusieurs pays.

Malgré cette sous-représentation, les décideurs politiques africains peuvent tirer profit de l’initiative DII. Les études techniques étant déjà réalisées, l’UMA peut s’appuyer sur le projet Desertec, dans le cadre des négociations climatiques, en mettant en valeur l’apport d’énergies renouvelables et la limitation des émissions de CO2 pour la sous-région. L’objectif est d’obtenir des financements pour préparer l’après pétrole et gaz, notamment en Libye ou en Algérie, de contribuer à l’indépendance énergétique du Maroc ou encore de lutter contre le stress hydrique causé par le changement climatique en Tunisie.

Au-delà de l’UMA, l’Union africaine pourrait également se servir de Desertec pour obtenir des financements supplémentaires de la communauté internationale, dans l’optique de l’autonomie énergétique du continent, lors du Sommet mondial sur le climat de Copenhague en décembre.

En effet, le budget de Desertec serait suffisant pour assurer l’indépendance énergétique de l’ensemble du continent africain. En croisant le développement des centrales thermosolaires au Sahara avec des projets ambitieux d’éolien le long des côtes africaines (Maroc, Mauritanie, etc.) et la valorisation du potentiel hydro-électrique africain, l’objectif peut être atteint et le surplus d’énergie serait exporté vers l’Europe.

En dépit du gigantisme du projet, oser une telle démarche serait peut-être plus crédible qu’un énième appel à la solidarité, dont les promesses ne dureront que le temps d’une interview devant les caméras de télévision.

 

LE SUD MEDITERRANEE, AVENIR DU PLAN SOLAIRE EUROPEEN par Ihsane El Kadi

L’Europe veut se rendre moins dépendante des hydrocarbures grâce aux gisements de soleil de l’autre côté de la Méditerranée

L’Europe veut profiter du lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM) pour promouvoir un projet longuement discuté à Bruxelles, celui de mettre en oeuvre un plan sur l’énergie solaire. La Commission européenne, qui a élaboré la déclaration adoptée à Paris par les 44 chefs d’Etat au sommet fondateur de l’UPM du 13 juillet 2008, a invité le futur secrétariat de ce nouvel ensemble à « explorer la faisabilité de développer un plan méditerranéen d’énergie solaire ».

La ville allemande d’Aachen devra être reliée à la ville algérienne d’Adrar par un câble de 3000 km qui transportera de l’électricité solaire. Baptisé « clean power from desert », le projet est estimé à 2 milliards d’euros.

La raison y est clairement expliquée :  « L’actuelle dépendance du pétrole et du gaz comme sources d’énergie est porteuse de beaucoup de risques avec la réduction de la production dans un future proche ». Cette préoccupation sur la diversification des sources d’énergie paraît plus présente au nord qu’au sud. Depuis la grave crise de l’hiver 2005 entre la Russie et l’Ukraine sur la fourniture en gaz, la sécurité énergétique est devenue une priorité partagée par tous les membres de l’Union européenne (UE). L’UE a tracé un programme sur les énergies renouvelables s’étalant jusqu’à 2020, avec pour perspective de réduire les gaz à effet de serre. Un plan est également tracé pour le développement des biocarburants.

Les gisements solaires du sud intéressent le nord

Le plan solaire de l’UPM est donc inscrit dans une logique claire qui ne doit rien au hasard. Selon l’agence spatiale allemande, l’Algérie possède le plus grand gisement solaire de la région : 169,44 térawatts heure/an (TWH/an) pour le solaire thermique et 13,9 TWH/an pour le solaire photovoltaïque. Le Maroc a aussi un grand potentiel : 30% du territoire reçoit chaque année plus de 2000 kWh par m2 d’ensoleillement. Des villages au sud du Maroc sont électrifiés grâce à l’énergie solaire (ce qui évite un raccordement à un réseau national). La Tunisie a tracé un programme d’installation de 55 000 m2 de capteurs solaires, des chauffe-eau solaires et des systèmes de climatisation.

Selon les experts, le solaire thermique connaît un grand essor actuellement. D’où l’intérêt des entreprises qui maîtrisent le processus technologique de fabrication du matériel. A titre d’exemple, le Français Giordano, qui produit les capteurs thermiques, s’est bien installé en Tunisie. La volonté de l’Algérie et de l’Egypte de construire des centrales électriques hybrides gaz/solaire a mis en concurrence plusieurs grandes entreprises européennes et américaines. L’Algérie a lancé les travaux de construction d’une centrale hybride d’une capacité de 180 megawatts à Hassi Rmel (sud) qui utilisera des panneaux solaires de 100 mètres étalés sur une superficie de 18 hectares. Le coût de l’investissement est de 150 millions de dollars. Trois autres centrales sont programmées. L’Algérie a l’ambition de produire 5% de son électricité à partir de l’énergie solaire d’ici à 2015, et d’en exporter une partie vers l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne.

 Un câble de 3000 km pour l’électricité solaire

L’Algérie et l’Allemagne ont signé, début 2008, un accord de coopération pour développer l’énergie solaire et étudier la possibilité de produire de l’hydrogène à partir de cette énergie ainsi que des piles à combustible. La ville allemande d’Aachen devra être reliée à la ville algérienne d’Adrar par un câble de 3000 km qui transportera de l’électricité solaire. Baptisé « clean power from desert », le projet, qui est estimé à 2 milliards d’euros, attend des financements. L’exploitation du câble, dont le produit est durable autant que l’est le soleil, sera une juteuse affaire. Elle suscite déjà l’intérêt de la firme algérienne Sonatrach et de plusieurs entreprises allemandes.

L’Allemagne est le deuxième producteur mondial de l’électricité à partir de l’énergie solaire, derrière le Japon et devant les Etats-Unis. On comprend donc que le plan solaire de l’UPM a été imposé par Berlin avec l’assentiment de Lisbonne, Madrid et Rome. Le Portugal construit déjà la plus grande centrale solaire photovoltaïque du monde avec une capacité de 11 mégawatts.

En Italie, le groupe pétrolier italien ENI a annoncé récemment la création d'un centre de recherche sur l'énergie solaire, baptisé ENI solar frontiers center, en partenariat avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT, Etats Unis).

Le but ? « Encourager un monde moins dépendant des hydrocarbures », a expliqué un responsable du groupe.

Publié dans Afrique

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