Côte d’Ivoire. Voie sans issue, avenue de l’indignation sélective
Côte d’Ivoire : Voie sans issue, avenue de l’indignation sélective par Ousséni Ilboudo (Source : lefaso.net (06/01/11)
Plus d’un mois après le hold-up électoral sur fond de coup d’Etat constitutionnel perpétré par Laurent Koudou Gbagbo pour s’accrocher à un pouvoir qu’il a perdu dans les urnes le 28 novembre 2010, la communauté internationale s’arrache toujours les cheveux pour déloger celui qui a indûment prolongé son bail à la résidence présidentielle de Cocody. Qu’il faille l’obliger par tous les moyens à lâcher prise peut se concevoir.
Ce serait sans doute ainsi un signe fort donné à tous les putschistes électoraux que plus rien ne sera comme avant. Il faut cependant reconnaître, froidement, que dans ce combat de la légalité et de la légitimité, l’issue des condamnations sans appel, des pressions multiformes et tous azimuts, des menaces guerrières est plus que jamais incertaine car, dût-il y laisser sa peau, l’usurpateur, qui semble avoir vocation de martyr, est prêt à aller jusqu’au sacrifice suprême, jusqu’au bout de la forfaiture.
Et de fait, jusque-là, les agitations diplomatiques, financières et même militaires un peu désordonnées, il faut se l’avouer, sont allées se noyer les unes après les autres dans la lagune Ebrié. Tous, Gbagbo, ADO, l’ONU, l’UA, la CEDEAO, etc. sont allés trop vite et trop loin qu’ils n’ont peut-être plus d’autre choix que de revoir à la baisse leurs prétentions. Reste à savoir comment, puisque tout ce beau monde est engagé dans une voie sans issue où faire demi-tour reviendrait à perdre la face.
Malgré tout, il y a encore, si ça se trouve, un angle de tir pour une sortie pacifique et négociée de la crise, même si la République du Golf Hôtel refuse pour le moment la main tendue du diable. Pourtant, ses plus ardents supporters, qui semblaient prêts, il y a à peine dix jours, à en découdre par la force, s’ils n’ont pas battu en retraite, se sont à tout le moins refroidis en reconnaissant que le dénouement sera sans doute plus long qu’ils ne voulaient l’admettre. Si ce n’est pas une reculade, ça y ressemble fort à moins que tout cela ne fasse partie du plan de bataille.
Mais si l’enfant terrible de Mama, déjà flatté avant le scrutin par des sondages à la carte qui le donnaient vainqueur à tous les coups et pariant sur un mauvais report des voix de Bédié sur ADO au second tour, est allé jusqu’au seuil de l’irréel, c’est parce qu’il a pu s’inspirer de précédents peu glorieux qui n’avaient pas rencontré l’opposition quasi unanime de la communauté africaine et internationale. Cela a beau ne pas être une excuse absolutoire, on peut comprendre le sentiment d’injustice qui l’habite, juste parce que sa gueule ne revient pas à certains.
Certes, il faut bien commencer un jour par quelqu’un mais pourquoi précisément ce cas-ci alors que, de par le passé, par intérêt, par "sécuritarisme", par lâcheté ou pour toute autre considération plus ou moins inavouables, de nombreux dénis démocratiques, qui sont légion sur le continent, ont souvent été couverts par le silence complice de ceux qui bandent les muscles actuellement ? Et le fait que les puissants de ce monde aient mis beaucoup d’argent dans ce qui est réputé être les élections les plus chères au monde n’explique pas tout.
Car tout de même, comment comprendre que les vertueux outragés, qui poussent des cris d’orfraie aujourd’hui et menacent à tout-va, soient les mêmes qui ont passé par pertes et profits électoraux le Guinéen Cellou Dalein Diallo qui a peut-être été floué d’une victoire qui semblait certaine à l’issue du premier tour de la présidentielle et qui a subi mille et une pressions pour renoncer ? Comment comprendre qu’au Togo et au Gabon, les mêmes aient adoubé des héritiers de véritables dynasties dont le seul mérite est d’être né d’un père président ?
Comment comprendre que les Etats-Unis, l’Union européenne, la France et tous ces donneurs de leçons de démocratie du haut de leur chaire arrogante et condescendante soient les mêmes qui cajolent de quasi-dictateurs comme les Moubarak, Ben Ali, Kagamé, Museveni sans parler de Kadhafi ; ou qui cautionnent les agissements des tripatouilleurs constitutionnels professionnels qui n’ont pour seul programme de gouvernement que de trouver des artifices politico-juridiques afin de s’accrocher au pouvoir ?
Un peu comme Gbagbo dont seul le tort, en réalité, est d’avoir été, en bon bagarreur, trop grossier dans sa façon de procéder quand les autres le font en douceur, le tout étant d’organiser régulièrement des élections plus ou moins irrégulières pour se prévaloir de la qualité de démocrate. Autant qu’on se souvienne, les parangons de vertu démocratique n’ont pas fait toujours montre de la même fermeté.
Il faut du reste convenir que ce n’était déjà pas très malin pour le RDR, alors que la suspicion était installée, d’ériger son QG de campagne à l’hôtel du Golf où un certain Guillaume Soro avait établi ses pénates de Premier ministre et qui a toujours été connu comme l’antre des rebelles. Et comme si cela ne suffisait pas, il fallait en plus que le président de la CEI y aille proclamer les résultats provisoires sous prétexte qu’il ne pouvait le faire au siège de l’institution. Soit, mais toute ADOlâtrie mise à part, les militants du RHDP auraient-ils accepté des chiffres diffusés depuis le siège du FPI ?
Le braconnage électoral de Gbagbo, qui se présente pourtant comme un enfant de la démocratie et des élections, ne fait sans doute pas de doute mais c’est aussi toutes ces maladresses qui ont contribué à rendre inextricable l’imbroglio dans lequel tout le monde se démène depuis avec cette batterie d’oukases et d’ultimatums assez humiliants qui n’ont eu pour seul effet, jusqu’à présent, que de braquer davantage un animal politique blessé et donc encore plus dangereux. Peut-être qu’à force de le traquer, les chasseurs finiront par abattre le fauve même s’il n’est pas sûr que ce sera pour autant la fin des problèmes.
En vérité, l’indignation sélective et à géométrie variable de cette communauté dite internationale, réputée pour son esprit foncièrement injuste et vénale, est assez gênante et malsaine, voire suspecte, car les Occidentaux, les Américains surtout, qui ne font jamais rien pour rien, ne sont certainement pas insensibles aux belles perspectives en matière de pétrole au large de la Côte d’Ivoire et du Ghana, l’avenir de leur approvisionnement en hydrocarbures étant, comme chacun le sait, sur le golfe de Guinée.
Mieux vaut donc sécuriser la zone et avoir comme interlocuteur l’américanophile Ouattara au lieu de l’incontrôlable Gbagbo. Car tout de même, autant qu’on se souvienne, on n’a pas coutume d’entendre pareilles imprécations de la part de l’Oncle Sam, qui sait couver les imposteurs. Serait-ce la nouvelle marque Obama ?